CJUE – arrêt Dong Yang aff. C-547/18 du 7 mai 2020 : une filiale peut-elle constituer un établissement stable TVA de sa société mère étrangère ?

18/05/20

eAlerte TVA

CJUE – arrêt Dong Yang aff. C-547/18 du 7 mai 2020 : une filiale peut-elle constituer un établissement stable TVA de sa société mère étrangère ?   

Lien vers l’arrêt de la CJUE, 7 mai 2020, aff. C-547/18, Dong Yang Electronics sp. z o.o. contre Dyrektor Izby Administracji Skarbowej we Wrocławiu

En bref

Par cet arrêt du 7 mai 2020, la CJUE considère que l’existence, sur le territoire d’un État membre, d’un établissement stable d’une société établie dans un État tiers ne peut pas être déduite par un prestataire de services du seul fait que cette société y possède une filiale. Par ailleurs, ce prestataire n’est pas tenu de s’enquérir, aux fins d’une telle appréciation, des relations contractuelles entre les deux entités.

Les faits

Au cas particulier, Dong Yang, une société de droit polonais, a conclu avec LG Corée, une société de droit coréen un contrat de fourniture de services d’assemblage de cartes de circuits imprimés à partir de matériaux et composants qui sont la propriété de LG Corée.

Ces matériaux et composants étaient physiquement livrés à Dong Yang par LG Pologne, une filiale polonaise de LG Corée, mais étaient la propriété de LG Corée.

Après leur assemblage, Dong Yang livrait physiquement ces cartes de circuits imprimés (toujours propriété de LG Corée) à LG Pologne qui, sur la base d’un contrat avec LG Corée, les utilisait pour produire des modules TFT LCD. Ces modules (produit finis), propriété de LG Corée, étaient par la suite livrés à la société LG Display Germany Gmbh, société de droit allemand.

LG Corée ayant assuré à Dong Yang ne pas disposer d’un établissement stable TVA en Pologne et ne pas employer de salariés ou posséder d’immeubles ou d’équipements techniques en Pologne, Dong Yang a facturé les services d’assemblage de cartes de circuits imprimés à LG Corée sans TVA polonaise en application de l’article 44 de la Directive 2006/112/CE (ci-après « Directive TVA »).

A l’occasion d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale polonaise a considéré qu’en raison des liens contractuels entre les deux sociétés du groupe LG, LG Corée utilisait LG Pologne comme son propre établissement stable de sorte que les prestations de services d’assemblage de cartes de circuits imprimés avaient été exécutées par Dong Yang pour les besoins de cet établissement stable en Pologne (LG Pologne). Par conséquent, ces prestations de services devaient être soumises à la TVA polonaise.

Il convient de souligner qu’en raison de l’Accord de libre échange entre la Corée et la Pologne, une société coréenne ne peut exercer une activité économique en Pologne qu’en constituant une société en commandite, une société à responsabilité limitée ou une société anonyme. Cette disposition s’oppose à la possibilité pour les entreprises de droit coréen d’exercer directement une activité économique en Pologne. Dans ces conditions, l’administration fiscale polonaise en a déduit que la filiale polonaise (LG Pologne) était nécessairement dans un lien de dépendance tel qu’elle ne pouvait agir sur le territoire polonais qu’en tant qu’établissement stable de la société LG Corée.

Enfin, l’administration fiscale polonaise reprochait également à Dong Yang de ne pas avoir fait preuve de diligence en se fondant uniquement sur la seule déclaration de LG Corée sans examiner, conformément à l’article 22 du règlement d’exécution n° 282/2011, qui était le bénéficiaire réel des services qu’elle fournissait. Il convient de souligner que Dong Yang n’avait pas accès aux contrats conclus entre LG Pologne et LG Corée.

Les questions posées à la Cour

Les questions posées à la Cour étaient de savoir :

· si l’existence, sur le territoire d’un Etat membre, d’une filiale d’une société établie dans un Etat tiers suffit pour considérer que cette dernière dispose d’un établissement stable preneur de services en Pologne au sens de l’article 44 de la directive TVA ;

· ou, en cas de réponse négative, si le prestataire de services est tenu de s’enquérir des relations contractuelles entre les deux entités (le siège étranger et sa filiale locale) aux fins d’une telle appréciation.

L’analyse de la Cour

Concernant l’existence d’un établissement stable au travers d’une filiale :

La Cour reconnait que, dans un tel contexte, une filiale pourrait constituer un établissement stable de son siège étranger. A cet égard, la Cour rappelle l’arrêt DFDS qui avait conclu à l’existence d’un établissement stable d’une société étrangère au travers de sa filiale locale (arrêt du 20 février 1997, DFDS, C‑260/95, EU C – 1997/77, points 25 et 26).

Toutefois, la qualification d’un établissement stable ne saurait dépendre du seul statut juridique de l’entité concernée (filiale) mais implique de tenir compte de la réalité économique et commerciale. Ainsi, en application de l’article 11 du règlement d’exécution n° 282/2011 relatif à la définition de l’établissement stable preneur, un tel établissement stable « se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement ».

Dès lors, l’existence, sur le territoire d’un État membre, d’un établissement stable d’une société établie dans un État tiers ne saurait être déduite par un prestataire de services du seul fait que cette société cliente y possède une filiale.

Concernant l’obligation pour le prestataire d’examiner les relations contractuelles des parties aux fins d’identifier un établissement stable :

Pour rappel, l’article 22 du règlement d’exécution n° 282/2011 prévoit une série de critères dont un prestataire de services doit tenir compte afin de déterminer l’établissement stable du client preneur du service (le siège ou l’un des établissements stables du client). Le prestataire doit s’appuyer sur la nature et l’utilisation du service fourni. Si ces deux éléments sont insuffisants, le prestataire doit s’attacher à un faisceau d’indices tels que le contrat, le bon de commande, le numéro d’identification TVA sous lequel le client entend se faire facturer la prestation de service ou l’entité qui paie pour le service[1].   

La Cour souligne que l’article 22 du règlement d’exécution n° 282/2011 n’emporte pas une obligation pour le prestataire de services d’examiner les relations contractuelles entre une société établie dans un Etat tiers et une autre entité susceptible de constituer son établissement stable[2]. Elle souligne également que ces informations ne sont pas accessibles pour le prestataire.

- Un prestataire n’est pas tenu de s’enquérir des relations contractuelles entre le siège et la filiale de son client pour identifier un établissement stable preneur.

Portée de l’arrêt

Au cas présent, le traitement TVA de la prestation de service réalisée en Pologne et relevant des dispositions de l’article 44 de la Directive TVA dépendait du lieu d’établissement du preneur du service, à savoir la société coréenne (ayant contractualisé avec le prestataire polonais) ou bien sa filiale polonaise en tant qu’établissement stable de cette société coréenne et agissant comme bénéficiaire effectif du service. 

Ainsi, si la société coréenne ne dispose pas d’établissement stable TVA en Pologne, il ne fait pas de doute que le prestataire polonais rend un service à une société établie hors de Pologne et que la prestation de service peut être facturée sans TVA polonaise. A l’inverse, si la société coréenne dispose également d’un établissement stable TVA polonais, il convient de déterminer si le preneur du service reste toujours la société coréenne ou bien s’il s’agit de son établissement stable polonais. Dans ce dernier cas, la prestation de service devra être soumise à la TVA polonaise.

La solution de la Cour soulève les commentaires suivants :

Concernant la question de l’établissement stable, la Cour apporte une réponse favorable mais n’écarte pas totalement le risque d’établissement stable. En effet, la Cour répond par la négative à la question de savoir si une filiale constitue nécessairement un établissement stable pour son siège étranger. Cette réponse était attendue dans la mesure où un siège et sa filiale sont deux personnes morales différentes, c’est-à-dire deux assujettis différents.

Néanmoins, cette position est tempérée par la Cour qui n’exclut pas totalement la possibilité d’identifier l’établissement stable d’une société étrangère au travers de sa filiale dans certaines circonstances, telles que dans l’affaire DFDS où la filiale locale n’était qu’un simple auxiliaire de son siège étranger. Toutefois, la Cour n’apporte pas plus de commentaires et ne s’attache pas à expliciter les raisons pour lesquelles la solution DFDS n’avait pas vocation à s’appliquer au cas présent. Les conclusions de l’Avocat Général peuvent apporter un éclairage. En effet, ce dernier considère, dans un souci de sécurité juridique des parties et de préservation d’un système de collecte simple de la TVA, que la jurisprudence DFDS ne peut se justifiée que par les circonstances de l’espèce qui ne se retrouvent pas dans le cas de l’affaire Dong Yang et par l’existence d’un risque de fraude à la TVA, ce point n’étant pas soulevé par les autorités polonaises. Un tel éclairage aurait pu être repris par la Cour afin de préciser la portée de cet arrêt DFDS qui peut être utilisé par les administrations fiscales en cas de contrôle fiscal.   

Concernant l’obligation du prestataire d’identifier l’établissement stable preneur de son client, la Cour prend une position en faveur de la sécurité juridique du prestataire en confirmant que le prestataire n’est pas tenu de vérifier les relations contractuelles liant le siège de son client et sa filiale afin d’identifier un établissement stable preneur TVA.

En pratique

Un prestataire de service peut légitimement considérer que la seule présence d’une filiale locale de son client étranger n’implique pas l’existence d’un établissement stable preneur en TVA. Toutefois, cette solution nous semble devoir être écartée lorsqu’il existe un risque de fraude TVA. Dans ce cas, pour écarter le risque de redressement TVA, le prestataire devra démontrer qu’il « ne savait pas ou ne pouvait pas savoir » l’existence d’un tel risque de fraude et d’un établissement stable associé.   

L’identification d’un l’établissement stable preneur ne peut reposer que sur les éléments matériels et économiques et n’impose pas la recherche des relations contractuelles entre les entités clientes (siège et filiale). Toutefois, ce principe nous semble devoir être atténué si le prestataire et le client sont membres d’un même groupe de société dans la mesure où un accès à ces informations pourrait être établi.     

Enfin, la possibilité pour une société de constituer un établissement stable TVA d’une autre entité n’est pas inédite et continue son évolution tant au niveau de la CJUE que du Conseil d’Etat. A cet égard, la recherche du preneur effectif de prestations de service peut également aboutir à la recherche du siège social effectif du client pour écarter son adresse légale d’établissement. Ainsi, le Conseil d’Etat a dernièrement jugé (arrêt du 26 septembre 2019, n° 415916, Worms Management Services) qu’une filiale étrangère (cliente de services rendus par son siège français) avait son siège effectif (et donc preneur des services) à l’adresse du siège français de sa société mère holding (également prestataire) dans la mesure où l’ensemble des décisions de gestion de cette filiale étaient rendues par les dirigeants de la société mère et que ces filiales avaient au niveau local une substance très limitée. Dans ces conditions, les prestations de services devaient être facturées avec TVA française dans la mesure où le siège de la filiale cliente était localisé en France.

[1] Ces dispositions sont reprises dans le BOI-TVA-CHAMP-20-50-20

[2] Il convient de souligner que l’article 22 vise à régler le lieu d’établissement du preneur lorsqu’il existe pour un même assujetti un siège et un ou plusieurs établissements stables. Cette disposition n’emporte pas la définition des critères permettant de définir un établissement stable TVA au sens de l’article 44 de la Directive TVA.  

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José Manuel Moreno

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Avocat, Associé TVA & Indirect Tax, PwC Société d'Avocats

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