Arrêt de la Cour de Justice : Précisions sur la spécificité des services à rendre aux gérants de fonds pour bénéficier d’une exonération de TVA

06/07/20

eAlerte TVA & Douanes

Lien vers l’arrêt de la CJUE, 02 juillet 2020, Aff. C-231/19 BlackRock Investment Management (UK) Ltd

http://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf?docid=228044&text=&dir=&doclang=FR&part=1&occ=first&mode=req&pageIndex=0&cid=7769993

En bref

Une prestation de services de gestion fournie au moyen d’une plateforme informatique, appartenant à un fournisseur tiers, au profit d’une société de gestion de fonds qui gère à la fois des fonds communs de placement et d’autres fonds ne relève pas de l’exonération prévue à l’article 135 paragraphe 1, sous g).

En détail

BlackRock est une société membre d’un groupe TVA établi au Royaume-Uni dont elle est le représentant et qui réunit des sociétés exerçant l’activité de gestion de fonds. Elle gère des fonds communs de placement ainsi que d’autres fonds ne répondant pas à cette qualification.

Pour gérer l’ensemble de ces fonds, BlackRock bénéficie de prestations de service fournies par BlackRock Financial Management Inc.

Ces prestations sont fournies au moyen d’une plateforme informatique, dénommée Aladdin, constituée d’une combinaison de matériel informatique, de logiciels et de ressources humaines. Aladdin fournit aux gestionnaires de portefeuilles des analyses de marché ainsi que des contrôles de performance et de risque pour les assister dans la prise de décisions d’investissement, surveille le respect de la réglementation et permet de mettre en œuvre les décisions portant sur les opérations.

Il s’agit d’une seule et même prestation, quels que soient les fonds gérés.

BlackRock a considéré que les services utilisés pour la gestion des fonds communs de placement devaient être exonérés de TVA en application de l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA. En revanche, elle s’est acquittée de la TVA ayant grevé les services utilisés pour la gestion des autres fonds. La valeur de ces services est calculée au prorata du montant de ces fonds dans le montant total des fonds gérés.

La Cour a donc dû statuer sur le point de savoir si « lorsqu’une seule et même prestation de services visée à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive [2006/112] est effectuée par un fournisseur tiers au profit d’un gestionnaire de fond qui y a recours tant dans la gestion de fonds communs de placement que dans la gestion d’autres fonds qui ne sont pas des fonds communs de placement (les autres fonds), cette disposition doit-elle être interprétée :

  • en ce sens que cette seule et même prestation doit être soumise à un seul et même taux de taxation, et si oui, comment ce taux doit-il être déterminé, ou
  • en ce sens que la contrepartie de cette seule et même prestation doit être ventilée en fonction de la destination des services de gestion (en tenant compte, par exemple, des montants des fonds sous gestion dans les fonds communs de placement et dans les autres fonds) de manière à traiter une partie de cette prestation comme étant exonérée et l’autre partie comme étant taxable ? »

Premièrement, la Cour répond à l’affirmative à la première question en considérant que la prestation vers les deux types de fonds constitue bien une seule et même prestation de service.

En effet, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il serait possible de distinguer au sein de la prestation fournie par la plateforme telle que celle en cause au principal des prestations principales et accessoires.

Les services d’analyse des marchés, de contrôle des performances, d’évaluation des risques, de contrôle du respect de la réglementation et de mise en œuvre des opérations correspondent à des étapes successives, toutes également nécessaires à la réalisation dans de bonnes conditions des opérations d’investissement. En conséquence, une telle prestation s’analyse comme une unique prestation composée de différents éléments d’importance équivalente.

De plus, dans sa jurisprudence antérieure, la Cour avait déjà jugé que la prestation de gestion de portefeuille est une prestation unique. Elle se compose d’une prestation d’analyse et de surveillance du patrimoine du client investisseur et d’une prestation d’achat et de vente de titres, l’une et l’autre également indispensables à la réalisation de la prestation globale (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C‑44/11).

Deuxièmement, il découle de la qualification même de prestation unique d’une opération comportant plusieurs éléments que cette opération doit être soumise à un seul et même taux de TVA.

La Cour avance l’argument que la faculté laissée aux États membres de soumettre les différents éléments composant une prestation unique aux différents taux de TVA applicables auxdits éléments conduirait à décomposer artificiellement cette prestation et risquerait d’altérer la fonctionnalité du système de la TVA (arrêt du 18 janvier 2018, Stadion Amsterdam, C‑463/16).

Une prestation unique telle que celle en cause au principal doit alors faire l’objet d’un traitement fiscal unique.

Troisièmement, la Cour s’interroge sur l’appréciation du traitement fiscal unique d’une telle prestation et donc de savoir s’il doit être déterminé en fonction de la nature des fonds majoritairement gérés.

La Cour écarte un traitement fiscal différencié puisqu’une telle conséquence irait à l’encontre du caractère strict de l’interprétation de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g).

Dès lors, dans des circonstances telles que celles au principal, le traitement fiscal de la prestation de services ne saurait être déterminé en fonction de la nature des fonds majoritairement gérés par la société concernée. C’est pourquoi, dans des circonstances telles que celles au principal, le traitement fiscal de la prestation de services ne saurait être déterminé en fonction de la nature des fonds majoritairement gérés par la société concernée.

Quatrièmement, l’arrêt ajoute aussi que pour être qualifiés d’opérations exonérées, au sens de l’article 135, paragraphe 1 sous g), les services fournis par un gestionnaire tiers doivent former un ensemble distinct, apprécié de façon globale, destiné à satisfaire des fonctions spécifiques et essentielles de la gestion de fonds communs de placement (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 2006, Abbey National, C‑169/04 et arrêt du 7 mars 2013, GfBk, C‑275/11).

Or, il apparaît clairement des faits que le service en cause a été conçu aux fins de la gestion d’investissements de natures variées et que, en particulier, il peut être indifféremment utilisé pour la gestion de fonds communs de placement et pour celle d’autres fonds.

Comme le mentionne l’Avocat Général dans ses conclusions, un tel service ne peut être considéré comme spécifique car il peut être indifféremment rendu à différents types de fonds.

L’Avocat Général indique, que « s’agissant des services d’Aladdin, il n’est pas possible d’isoler une caractéristique distincte au sein de cette prestation pour déterminer quelle portion de services vise à gérer les FCP et les autres fonds ».

Par ailleurs, l’Avocat Général reconnaît que s’il admet « que la situation serait différente si les services d’Aladdin bénéficiaient à une société qui s’occupe uniquement de la gestion de FCP » car « les opérateurs doivent pouvoir choisir le modèle d’organisation qui […] leur convient le mieux » un tel principe « « doit être appliqué parallèlement au principe selon lequel les exonérations sont d’interprétation strictes.

La Cour suit ce raisonnement en statuant que, dans le cas d’Aladdin, il n’est pas possible de considérer que les services fournis forment un ensemble distinct, apprécié de façon globale, destiné à satisfaire des fonctions spécifiques et essentielles de la gestion de fonds communs de placements » puisque ces services peuvent également être indifféremment utilisés pour la gestion d’autres fonds.

Dès lors, la Cour juge qu’une prestation de services telle que celle en cause au principal ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’exonération prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA.

En pratique 

Comme le mentionne l’Avocat Général dans ses conclusions, la TVA est « une nouvelle fois soumise à l’épreuve des nouvelles technologies puisque le service en cause consistait en une intelligence artificielle en matière d’investissement ».

Cet arrêt met en évidence la vigilance dont doivent faire preuve les sociétés qui gèrent à la fois des fonds de placement, qui peuvent bénéficier de l’exonération, et des fonds dit « autres », qui ne peuvent pas bénéficier de l’exonération.

Ces sociétés devront veiller à bien individualiser les prestations de services (particulièrement si ces prestations sont fournies par voie informatique) qui leurs sont rendues selon le type de fonds qui bénéficie de ces dernières.

Cette appréciation du caractère spécifique, reprise notamment dans les arrêts ATP PensionService (13 mars 2014, C-464/12, point 65) et Abbey National (point 64) est un enjeu essentiel pour ce type de prestations de service. Quel aurait été le jugement de la Cour si certains services, fournis par la plateforme, ne pouvaient être utilisés que dans le cadre de la gestion de fonds exonérés alors que d’autres seraient indifféremment utilisés pour gérer tous types de fonds ?

Cet arrêt conduit à s'interroger sur les services externalisés par une société de gestion (comme le conseil en investissement par exemple). Ces derniers pourraient tout aussi bien servir aux différents fonds qu'aux investisseurs privés. La jurisprudence GfBk (7 mars 2013, C‑275/11) qui retenait que de tels services de conseils en investissement fournis par un tiers à un gestionnaire de fonds pouvaient bénéficier de l’exonération, pourrait alors paraitre fragilisée, sauf à démontrer que le service concerné est adapté à la politique ou à la structure particulière des fonds en question.

{{filterContent.facetedTitle}}

{{contentList.dataService.numberHits}} {{contentList.dataService.numberHits == 1 ? 'result' : 'résultats'}}
{{contentList.loadingText}}
Suivez-nous !
Masquer