Arrêt de la CAA de Versailles : Prestations de service fournies par un siège à ses succursales – Droit à déduction – Groupement autonome

06/07/20

eAlerte TVA & Douanes

Lien vers l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles, 7e ch., 19 septembre 2019 n°5VE00454 et 17VE01071 BNP Paribas Securities Services :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechExpJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000041402003&fastReqId=133114015&fastPos=1

En bref

Les succursales étrangères d’une banque, membres de groupes TVA à l’étranger forment des assujettis distincts de leur siège au regard de la TVA. Cet arrêt est la deuxième reconnaissance directe du concept de groupe TVA après un arrêt du Conseil d’Etat du 7 décembre 2015 N° 371403 Holidays Auto UK. Un concept qui n’a pas encore été transposé en France (envisagé à l’horizon 2022), mais qui est mis en œuvre dans de nombreux autres pays européens.

La CAA de Versailles en tire la conséquence que l’appartenance de succursales étrangères à des groupes TVA locaux permet d’éviter  de devoir appliquer la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 24 janvier 2019 (CJUE, 4e ch., 24 janv. 2019 aff. C-165/17, Morgan Stanley & Co. International). Cet arrêt, qui part du principe qu’un siège et sa succursale étrangère (non autonome) forment un seul et même assujetti à la TVA, impose de calculer un prorata de TVA transnational (tenant compte de l’ensemble des opérations de l’assujetti unique) particulièrement complexe quand l’un rend des services à l’autre.

En détail

La société BNP Paribas Sécurities Services fournit, outre les prestations de services destinées à sa propre clientèle, des prestations d’assistance essentiellement informatiques au profit de ses succursales. Certaines de ses succursales, établies à Madrid, Londres et Francfort, sont membres d’un groupement autonome au sens de l’article 11 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. La société BNP Paribas Sécurities Services a déduit l’intégralité de la TVA ayant grevé les dépenses afférentes à ces deux catégories de services.

L’administration fiscale, estimait que les opérations internes réalisées au profit des succursales, établies dans les différents pays membres de l’UE, se situaient hors du champ d’application de la TVA. Elle a donc remis en cause le droit à déduction portant sur la TVA ayant grevé l’acquisition de biens et services utilisés exclusivement pour les besoins de ces opérations internes. Cependant, par mesure de tempérament, elle avait admis la déduction d’une fraction de la TVA en cause tenant compte d’une certaine proportion d’opérations imposables à la TVA réalisées par les succursales dans leur pays d’implantation respectif.

La Cour Administrative d’appel de Versailles, pour déterminer l’étendue du droit à déduction de la société BNP Paribas Sécurities Services, a distingué d’une part (i) les services fournis aux succursales non-membres de groupements autonomes et d’autre part (ii) les succursales membres de groupements autonomes :

  • S’agissant des succursales non-membres du groupement autonome, elle fait application de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 24 janvier 2019 (voir en ce sens CJUE, 4e ch., 24 janv. 2019 aff. C-165/17, Morgan Stanley & Co. International) et considère que c’est à tort que l’administration fiscale a qualifié d’opérations situées hors du champ de la TVA les services internes rendus par le siège à ses succursales. Ces services sont internes et n’ont pas d’influence sur les droits à déduction, qui doivent se déterminer par rapport aux opération réalisées avec les tiers uniquement. Le redressement n’étant étayé par aucun autre argument (comme par exemple un calcul de prorata transnational) de la part de l’administration, il est donc annulé.
  • S’agissant des succursales membres du groupement autonome (groupe TVA), la Cour rappelle qu’elles forment un assujetti unique distinct de leur siège conformément à la jurisprudence Skandia de la CJUE (voir en ce sens CJUE, 17 septembre 2014, aff.7-13, Skandia America Corp.). Dans ces circonstances, elle en tire la conséquence logique que l’arrêt Morgan Stanley n’est pas applicable.  De façon surprenante, la Cour refuse la déduction de la TVA affectant les dépenses engagées par la société BNP Paribas Sécurities Services pour rendre des services à ces succursales. Elle lui reproche de ne fournir « aucune précision à l’appui de son moyen sur les opérations réalisées par les groupements respectifs permettant de déterminer le caractère déductible de la taxe grevant les dépenses supportées par la société requérante selon qu’elles sont affectées à des opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ou à des opérations exonérées de cette taxe ». Une position contradictoire si l’on considère ces succursales comme des assujettis distincts du siège : le fournisseur d’un service n’a pas à justifier de l’usage que son client fera de ce service pour déterminer ses droits à déduction de la TVA. Seul importe le régime de TVA des services qu’il rend à ce client. Or, ici ce sont des services informatiques, en principe taxables (sous réserve des règles de territorialité) et qui ouvrent droit à déduction. En réclamant de justifier de l’usage que ces succursales vont faire de ces services, elle traite le siège et les succursales comme un assujetti unique, après avoir dit justement le contraire.

En pratique

La Cour administrative d’appel de Versailles fait une nouvelle fois application de la décision Morgan Stanley rendue par la CJUE le 24 janvier 2019 (voir également CAA Versailles 4 juillet 2019 n°16VE02700 Sté Kepler Cheuvreux c/ Min. de l’action et des comptes publics), sans avoir à entrer dans le détail des modalités de calcul particulièrement complexes d’un prorata transnational.

Elle précise logiquement que ces règles ne s’appliquent pas lorsque les succursales étrangères sont membres d’un groupe TVA dans leur propre pays. En effet, dans ce cas, elles constituent un assujetti distinct du siège, et doivent être traitées comme des tiers.

Mais la Cour administrative d’appel de Versailles entretient une confusion quant aux conséquences à en tirer lorsqu’elle exige que BNP Paribas Sécurities Services justifie de l’usage que les groupes TVA étrangers feront de ces services. Cette logique ne serait valable que si BNP Paribas Sécurities Services et ses groupes TVA ne formaient qu’un seul assujetti, ce que la Cour exclut précisément.

En pratique, il nous semble plus important de s’attacher à bien analyser la nature et le régime de TVA des services rendus par le siège à ces succursales pour déterminer s’ils ouvrent ou non droit à déduction de la TVA.

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