Conseil d’Etat : la garantie de l’article L 80 A du LPF ne peut être opposée dans les situations artificielles

29/10/20

eAlerte Fiscale

En bref 

Par une importante décision d’Assemblée du 28 octobre 2020 (CE, Ass., 28 oct. 2020, n°428048, Publié), le Conseil d’Etat juge que l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ne s’applique pas dans le cas d’un montage artificiel constitutif d’un abus de droit.

Rappel de la législation

L’article L.64 du livre des procédures fiscales (LPF) autorise l’administration à écarter certains actes réalisés par les contribuables lorsqu’ils :

  • présentent un caractère fictive
  • ou constituent une fraude à la loi, c’est-à-dire que les contribuables :
    • recherchent « le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs »
    • et ont pour but exclusif d’obtenir un avantage fiscal en réalisant ces actes.

L’article L.80 A du LPF a quant à lui pour objet de conférer une garantie empêchant l’administration de procéder à un redressement lorsque le contribuable s’est borné à faire application de l’interprétation des textes telle qu’elle l’a publiée dans sa doctrine administrative.

Dans un avis d’Assemblée du Conseil d’Etat publié en 1998, dans une affaire concernant les « fonds turbo », il avait indiqué que dans l’hypothèse où le contribuable n’a pas appliqué les dispositions de la loi fiscale mais a seulement entendu se conformer à l’interprétation contraire qu’en avait donné l’administration dans une instruction, cette dernière ne pouvait recourir à la procédure de l’abus de droit et faire échec à la garantie de l’article L. 80 A du LPF en se fondant sur ce que le contribuable, tout en se conformant aux termes mêmes d’une instruction, aurait outrepassé la portée que l’administration entendait en réalité conférer à la dérogation aux dispositions de la loi que ladite instruction autorisait (CE, Avis, Ass., 8 avr. 1998, n°192539, Publié) .

En d’autres termes, dès lors que le contribuable applique à la lettre une instruction il n’y a pas à rechercher si celui-ci en a fait une application conforme à l’intention de son rédacteur.

Toutefois, la Cour administrative d’appel de Paris avait récemment jugé que les dispositions de l’article L 64 du LPF, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2008, pouvaient trouver à s’appliquer à l’encontre d’un contribuable qui a recherché, sans autre motif que celui d’éluder l’impôt dont il était redevable, le bénéfice d’une application littérale de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par l’auteur de l’instruction. La Cour se fondait sur la modification du texte de l’article L.64 du LPF qui vise désormais « une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » pour juger qu’en introduisant le terme « décision » le législateur a entendu viser notamment les instructions et circulaires de l’administration fiscale comportant des dispositions impératives opposables sur le fondement de l’article L.80 A du LPF (CAA Paris, 20 déc. 2018, n°17PA00747).

La position du Conseil d’Etat suite au pourvoi du contribuable était donc très attendue.

La décision du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat réaffirme, sur le fondement de l’article L.80 A, que l’administration ne saurait fonder un rehaussement en soutenant que le contribuable, tout en se conformant aux termes mêmes d’une instruction, aurait outrepassé la portée que l’administration entendait en réalité conférer à la dérogation aux dispositions de la loi que ladite instruction permettait.

Néanmoins dans un second temps, la Haute assemblée estime que « l’administration peut mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales et faire échec à ce mécanisme de garantie si elle démontre, par des éléments objectifs, que la situation à raison de laquelle le contribuable entre dans les prévisions de la loi, dans l’interprétation qu’en donne le ministre par voie d’instruction ou de circulaire, procède d’un montage artificiel, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que d’éluder ou d’atténuer l’impôt ».

A ce stade une ambiguïté pouvait demeurer : le Conseil d’Etat entendait-il autoriser la procédure d’abus de doctrine, plus exactement la consécration de l’abus de droit lorsque le contribuable s’est mis artificiellement dans la situation de bénéficier de la doctrine administrative, ou jugeait-il que la procédure d’abus de la disposition législative (le cas échéant telle qu’interprétée par l’administration) peut être mise en œuvre sans que la doctrine administrative ne puisse être opposée ?

Appliquant ce considérant de principe à l’affaire, le Conseil d’Etat lève ce doute en précisant que le terme « décision » contenu dans l’article L.64 ne peut être interprété comme faisant référence aux instructions ou circulaires de l’administration. Dès lors, il ne saurait y avoir d’abus de la doctrine administrative. Il est donc possible de conclure que, selon le Conseil d’Etat, face à une situation artificielle l’administration peut rechercher l’abus du texte législatif sans que l’article L.80 A ne puisse être opposé par le contribuable.

Ainsi, contrairement à la Cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat refuse de consacrer l’abus de doctrine. Nous attendons avec impatience les conclusions sous cette décision pour éclaircir les zones d’ombre.

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