Fusions : la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence sur le transfert de la responsabilité pénale entre société absorbée et société absorbante

01/12/20

eAlerte juridique

Dans un arrêt important du 25 novembre 2020, la Cour de cassation vient de juger que la société absorbante peut être poursuivie et condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant la réalisation de l’opération de fusion-absorption.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu, le 25 novembre 2020, un arrêt qui marque un important revirement de jurisprudence concernant la question du transfert de la responsabilité pénale d’une personne morale en cas de fusion-absorption d’une société par une autre (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86955).

La Cour de cassation décide, en effet, qu’en cas de fusion absorption d’une société par une autre société, entrant dans le champ de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes (codifiée par la directive UE 2017/1132 du 14 juin 2017), la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des infractions commises par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption. Il y a donc, à présent, un transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante.

Dans le cas d’espèce, la société absorbée s’était vu reprocher la destruction involontaire du bien d’autrui par un incendie résultant d’un manquement à une obligation de sécurité. La responsabilité pénale qui en découle est, selon la Cour de cassation, transférée à la société absorbante.

Auparavant, la Cour de cassation considérait que l’article 121-1 du code pénal, aux termes duquel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », s’opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion (Cass. crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742; Cass. crim., 18 févr. 2014, n° 12-85.807). Cette interprétation de l’article 121-1 du code pénal se fondait sur l’assimilation de la situation de la personne morale absorbée à celle d’une personne physique décédée. La société absorbée perd, par l’opération de fusion, sa personnalité juridique, de sorte, que l’auteur de l’infraction ayant disparu, l’action publique était nécessairement éteinte. La société absorbante, personne morale distincte, ne pouvait, par conséquent, être poursuivie pour les faits commis par la société absorbée. 

Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme, se fondant sur la continuité économique existant entre la société absorbée et la société absorbante, avait déjà déduit que « la société absorbée n’est pas véritablement "autrui " à l’égard de la société absorbante ». Elle avait ainsi jugé que l’application d’une amende civile, couverte par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, à une société absorbante pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée ne portait pas atteinte au principe de personnalité des peines (CEDH, 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14).

C’est dans ce mouvement que s’inscrit l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 novembre 2020, qui souligne qu’elle abandonne l’approche anthropomorphique de la fusion-absorption. Cette approche était selon elle contestable en ce que, d’une part, elle ne tenait pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme et de nom sans pour autant être liquidée et, d’autre part, elle était sans rapport avec la réalité économique. Ainsi, pour l’application de l’article 121-1 du code pénal, la Cour de cassation considère que la société absorbante continue la personne de la société absorbée.

La Cour de cassation écarte dorénavant, concernant les fusions-absorptions, l’analyse selon laquelle la dissolution de la société absorbée est assimilée au décès d’une personne physique. Sur un terrain pratique, cette nouvelle jurisprudence aboutit à ce que la fusion-absorption ne puisse plus faire obstacle à la mise en jeu de la responsabilité pénale d’une société ayant fait l’objet d’une fusion-absorption. Là où, auparavant, l’action pénale s’éteignait par la disparition de la société absorbée, cette action pénale sera, à présent, maintenue et dirigée contre la société absorbante, continuatrice de la société absorbée.

Cette nouvelle jurisprudence appelle plusieurs précisions.

La Cour de cassation précise que seules les fusions-absorptions qui relèvent de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes (codifiée par la directive UE 2017/1132 du 14 juin 2017), c’est-à-dire les opérations impliquant une SA, une SAS ou une SCA, sont concernées par le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante.

Ensuite, ce transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante ne concerne que les actions pénales où la peine encourue est une amende ou une mesure de confiscation.

Par ailleurs, la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière se voit transférer tous les moyens de défense de la société absorbée. La société absorbante pourra donc se prévaloir de tout moyen de défense que la société absorbée aurait pu invoquer.

En outre, dans la mesure où cet arrêt constitue un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a, elle-même, précisé qu’il ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues (et non pas réalisées) postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique, tel qu’il résulte de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Toutefois, quelle que soit la date de la fusion ou la forme sociale des sociétés concernées, la responsabilité pénale de la société absorbante pourra être engagée si l’opération de fusion-absorption a eu pour but de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale, constituant ainsi une fraude à la loi.

Sous ces réserves et précisions, il apparait donc que la société absorbante se voit transférer la responsabilité pénale de la société absorbée pour des infractions commises par cette dernière avant la réalisation de l’opération de fusion-absorption. En conclusion, il conviendra, à présent, pour les dirigeants de la société absorbante, d’effectuer, préalablement à la réalisation de l’opération de fusion-absorption, un audit précis de l’activité et des agissements passés de la société absorbée, au moins pour la période non atteinte par la prescription, pour pleinement appréhender le risque de transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante. 

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Frédéric Danos

Frédéric Danos

Professeur des universités en droit privé, Of Counsel, PwC Société d'Avocats

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