05/03/21
Le dossier « CbCR public » a obtenu le soutien d’une majorité des ministres chargés du marché intérieur et de l'industrie de l’UE. Depuis le 4 mars, les négociations peuvent débuter dans le cadre de la procédure du Trilogue (réunissant le Conseil, le Parlement et la Commission) avec pour objectif d’aboutir à un vote du Conseil avant fin juin 2021 pour une adoption d’une directive en 2021.
Depuis la proposition par la Commission de cette directive, il y a près de cinq ans, le débat sur la publication du CbCR public a ressurgi régulièrement. Sous l’impulsion de la présidence portugaise du Conseil de l’UE, l’accélération sur ce dossier est notable. Néanmoins, il ne faut pas négliger les difficultés techniques et politiques qu’il reste à surmonter. On relèvera notamment que malgré l’accord du COREPER, il n’est pas certain que l’utilisation de la procédure législative ordinaire ne puisse être contestée. De même, l’accord entre le Parlement et le Conseil de l’UE n’est pas acquis, ni même peut être l’adoption par le Conseil.
Dans l’hypothèse où la directive serait adoptée en 2021, le compromis portugais prévoit que sa transposition en droit interne devrait intervenir au plus tard en 2023, et devrait s’appliquer, au plus tard, pour l’exercice 2025. Les groupes concernés devraient, dès à présent, entamer une réflexion sur la manière dont la publication du CbCR va influer sur leur stratégie de communication financière mais aussi extra-financière.
Où en est-on ?
La question de la publication du CbCR s’était déjà posée dès la mise en place de cette déclaration fiscale au sein de l’UE. Faute d’accord au niveau européen, certains parlementaires français avaient voulu l’imposer unilatéralement dans la loi dite « Sapin II » en 2016, mais le Conseil constitutionnel avait alors censuré cette disposition.
En 2016, la Commission a proposé une directive communément appelé « directive relative à la publication d'informations pays par pays ». Dès juillet 2017, le Parlement européen a adopté des amendements à cette directive, puis a reconfirmé sa position en première lecture en mars 2019. Il appartenait au Conseil de se prononcer, lui aussi en première lecture.
Au sein du Conseil, le débat sur le CbCR public a régulièrement été mis à l’agenda sans succès. Un des principaux points de blocage « technique » résidait dans la base légale de la proposition. En effet, s’il s’agit de modifier la Directive 2013/34/UE sur l’information financière cette décision relève en principe de l’article 50 (1) du TFUE et nécessite une adoption par le Conseil à la seule majorité qualifiée (et l’accord du Parlement européen). Or, certains Etats membres estimaient que la directive ayant trait à la matière fiscale elle relevait de l’article 115 du TFUE lequel requiert l’adoption par le Conseil à l’unanimité. D’aucuns parmi ces Etats Membres redoutaient que l’utilisation de la majorité qualifiée ne crée un précédent et engendre des difficultés pour de futures décisions. Politiquement, plusieurs Etats membres avaient en outre exprimé leur désaccord face à cette proposition.
Toutefois, lors d’une vidéoconférence informelle le 25 février 2021, les ministres chargés du marché intérieur et de l'industrie de l’UE ont procédé à « un échange de vues » (en session publique) sur la manière de faire avancer la proposition de directive. Une « nette » majorité a estimé que la proposition était techniquement aboutie et a exprimé son soutien à l’initiative. La Présidence portugaise a alors sollicité du Conseil un mandat afin de pouvoir engager la négociation avec le Parlement européen sur la proposition de directive.
Le 3 mars 2021, les ambassadeurs des Etats membres (COREPER) lui ont donné mandat de négocier sur la base du texte de compromis proposé le 13 janvier 2021.
Le 4 mars 2021, les principaux négociateurs du Parlement européen ont reçu le mandat officiel pour négocier avec le Conseil sur la base de la proposition adoptée en 2017.
La négociation dans le cadre du Trilogue entre le Conseil, le Parlement et la Commission peut donc débuter avec pour objectif affiché de parvenir à un accord sur un texte qui serait soumis au vote du Conseil sous la présidence portugaise (c’est-à-dire avant fin juin 2021) et ferait l’objet d’une adoption en deuxième lecture au Parlement.
Selon le projet de directive, dans l’hypothèse où celle-ci serait adoptée en 2021, la transposition en droit interne devrait intervenir au plus tard en 2023, et devrait s’appliquer, au plus tard, pour l’exercice 2025.
Quelles sont les sociétés concernées et les obligations prévues ?
Les entreprises concernées seraient celles assujetties à l’obligation de déposer le CbCR (chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros l’année précédant celle faisant l’objet de la déclaration), à l’exception des entreprises du secteur bancaire. En effet, ces dernières publient déjà des informations financières sur leurs implantations dans toutes les juridictions, dans le cadre de la directive CRD IV.
La publication interviendrait 12 mois après la clôture de l’exercice, c’est-à-dire dans le même délai que pour le dépôt de la déclaration CBCR, sans s’y substituer. La liste des informations à publier est énumérée de manière exhaustive dans le projet de directive : il s’agit des mêmes informations que celles prévues dans le cadre de la déclaration CbCR (cf. Annexe ci-dessous) hormis le total des actifs corporels qui n’a pas été repris. Lors de la transposition, l’option serait laissée aux Etats membres de demander la vérification des informations par un commissaire aux comptes avant publication. Chaque entreprise est, en outre, encouragée à publier davantage d’éléments, en particulier sous forme narrative afin d’expliquer les chiffres publiés.
Nombres d’acteurs de l’économie se sont inquiétés de l’impact de cette large publicité, notamment sur la confidentialité de données commerciales stratégiques et, dans un contexte de menaces d’atteinte à l’image, sur le risque d’interprétation erronée de certains agrégats fiscaux (par exemple l’effet de l’utilisation de déficits reportables sur le taux effectif d’imposition). Pour tenter de répondre à ces inquiétudes le texte de compromis a retenu plusieurs mesures de sauvegarde :
Pourquoi anticiper ?
Les groupes concernés devraient, dès à présent, réfléchir à la manière dont la publication du CbCR va influer sur leur stratégie de communication financière mais aussi extra-financière.
Pour la communication financière, un travail de réconciliation pourrait s’avérer nécessaire dans la mesure où plusieurs différences majeures existent entre les informations déclarées dans le CbCR et les informations financières publiées. Citons, par exemple, la différence majeure entre la définition comptable de « Chiffre d’affaires » et l’agrégat du même nom dans le CbCR ou encore l’absence de prise en compte des impôts différés et des positions fiscales incertaines dans le CbCR.
S’agissant de la communication extra-financière sur la fiscalité, les groupes ont vraisemblablement d’ores et déjà initié une démarche de communication, ne serait-ce qu’au travers du paragraphe obligatoire sur la lutte contre l’évasion fiscale dans leur DPEF annuelle (Déclaration de performance extra-financière). La publication du CbCR constitue une nouvelle obligation sur laquelle les groupes devront également déterminer leur stratégie de communication. Deux approches semblent possibles :
Enfin, il est intéressant de noter qu’aux Etats-Unis une proposition de loi similaire est en discussion au congrès depuis 2019 (« Disclosure of Tax Havens and Offshoring Act »).
Exposé des motifs et projet de modification : « Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council amending Directive 2013/34/EU as regards disclosure of income tax information by certain undertakings and branches - consolidated compromise proposal »
Informations à publier :
Article 48c: Content of the report on income tax information
The report on income tax information shall include information relating to all the activities of the standalone undertaking or the ultimate parent undertaking, including those of all affiliated undertakings consolidated in the financial statement in respect of the relevant financial year […]
(a) a brief description of the nature of the activities;
(b) the number of employees which is the average number of employees during the financial year;
(c) the revenues which are:
(i) the sum of the net turnover, other operating income, income from participating interests, excluding dividends received from affiliated undertakings, income from other investments and loans forming part of the fixed assets, other interest receivable and similar income as listed in Annexes V and VI of this Directive, or
(ii) the income as defined by or within the meaning of the financial reporting framework on the basis of which financial statements are prepared excluding value adjustments and dividends received from affiliated undertakings;
(d) the amount of profit or loss before income tax;
(e) the amount of income tax accrued during the relevant financial year which is the current tax expense recognised on taxable profits or losses of the financial year by undertakings and branches in the relevant tax jurisdiction;
(f) the amount of income tax paid on cash basis which is the amount of income tax paid during the relevant financial year by undertakings and branches in the relevant tax jurisdiction; and
(g) the amount of accumulated earnings at the end of the relevant financial year