PLF pour 2023 : deux nouvelles contributions pour les producteurs d'énergie

21/10/22

eAlerte Fiscale

Contexte

Alors qu’un large débat s’est installé en France sur la taxation des « super-profits » des entreprises, le Conseil de l’UE a adopté le 6 octobre dernier un règlement visant à mettre en œuvre une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie (Règlement (UE) 2022/1854, publié au JOUE du 7 octobre et entré en vigueur le 8 octobre).

Ce règlement entérine un ensemble de mesures dont l’objectif est d’atténuer les risques d’envolée supplémentaire des prix de l’électricité et d’éviter l’adoption par les Etats membres de mesures individuelles non coordonnées qui seraient porteuses de risques pour l’approvisionnement de l’Union européenne dans son ensemble. Parmi les mesures adoptées dans le Règlement figurent notamment :

  • L’instauration d’une contribution de solidarité temporaire (ci-après « CST ») pour les entreprises et les établissements stables de l’UE exerçant leur activité dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage ;
  • L’instauration d’un dispositif de plafonnement des recettes issues du marché obtenues par les producteurs d’électricité à un maximum de 180 €/MWh (revenus dits « infra-marginaux ») sur l’ensemble du territoire européen.

Bien que les règlements européens soient d’application immédiate dans le droit interne des Etats membres, ces derniers ont toutefois la possibilité de légiférer afin d’assurer la transposition des dispositions du règlement.  

Le texte (première partie du projet de loi de finances) sur lequel le gouvernement a décidé d’engager sa responsabilité en application des dispositions de l’article 49,3 de la Constitution prévoit ainsi la transposition des deux mesures évoquées ci-dessus, qui n’auront fait l’objet d’aucune discussion devant l’Assemblée nationale. Ces deux mesures ne devraient toutefois concerner qu’un nombre restreint d’entreprises.

L’instauration d’une contribution de solidarité temporaire (CST) (article 4 nonies nouveau)

Cette nouvelle contribution aurait un caractère exceptionnel et temporaire et s’appliquerait au titre du premier exercice ouvert à compter du 1er janvier 2022.

On notera à cet égard que le règlement adopté laisse aux états membres la possibilité d’appliquer la contribution au titre des bénéfices réalisées en 2022 et /ou 2023.

Champ d’application

Les redevables de la CST seraient les personnes morales ou établissements stables exerçant une activité en France, ou dont l’imposition du bénéfice est attribuée à la France par une convention internationale, et dont le chiffre d’affaires provient, pour 75 % au moins, des secteurs de l’extraction, de l’exploitation minière, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie au sens du règlement (CE) n°1893/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006.

Base de calcul de la CST

L’assiette de la CST serait égale à la différence entre le résultat imposable constaté au titre de l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2022 et 120 % du montant égal au quart de la somme algébrique des résultats imposables constatés au titre de l’ensemble des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018 et précédant l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2022, multiplié par le rapport entre quatre ans et la durée cumulée de l’ensemble de ces exercices.

Le projet de texte précise en outre que les résultats servant de base au calcul de la différence mentionnée ci-dessus s’entendent des résultats effectivement imposés à l’impôt sur les sociétés, avant imputation des réductions et crédits d’impôts et créances fiscales de toute nature.

Taux de la CST

Le taux de la contribution serait fixé à 33 %.

Précisions concernant le régime de l’intégration fiscale et les sociétés non soumises à l’IS

Le texte précise les conditions d’application et de calcul de la CST en présence d’un groupe fiscal intégré. Il est indiqué que la CST serait due par chaque membre d’un groupe formé en application des articles 223 A et 223 A bis du CGI qui remplit individuellement les conditions d’entrée dans le champ d’application de la CST.

L’assiette de la contribution de chacune des entités membre du groupe serait calculée sur la base des résultats qui auraient été imposables en leur nom à l’impôt sur les sociétés, si ces redevables avaient été imposés séparément.

Pour les sociétés relevant de l’article 8 du CGI ainsi que pour les GIE, il serait prévu que l’assiette de leur contribution vienne en diminution, à proportion des droits qu’ils détiennent chacun, de l’assiette de la contribution due, le cas échéant, par les associés ou les membres de ces sociétés ou groupements.

Précisions en cas de restructurations

En cas de fusion, scission ou d’apport partiel d’actif ayant pour effet direct d’augmenter ou de réduire la différence mentionnée ci-dessus qui sert de base au calcul de la CST, ladite base serait corrigée à due concurrence.   

Régime fiscal de la CST

La contribution ne serait pas admise dans les charges déductibles pour la détermination du résultat imposable.

Paiement de la CST

La contribution devrait être acquittée spontanément par les redevables au plus tard à la date prévue pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés. Les réductions, crédits d’impôt et créances fiscales de toute nature ne seraient pas imputables sur la contribution.

Enfin, il est prévu que la CST serait établie, contrôlée et recouvrée comme l’IS et sous les mêmes garanties et sanctions.

Le dispositif de plafonnement des revenus infra-marginaux des producteurs d’électricité (article 4 duovicies nouveau)

La mise en œuvre de ce dispositif serait opérée via l’instauration d’une contribution dont les règles seraient déterminées par les dispositions du livre Ier du code des impositions sur les biens et services (CIBS), complétées par des dispositions plus spécifiques et sous réserve de modalités d'application à déterminer par décret. 

Champ d’application

Serait soumise à cette contribution la rente infra-marginale dégagée par l’exploitation d’une installation de production d’électricité située sur le territoire métropolitain, sous réserve que :

  • la technologie de production ne repose pas sur la transformation d’énergie  hydraulique stockée dans des réservoirs, y compris lorsqu’ils sont alimentés au moyen de stations de pompage ;
  • il ne s’agisse pas d’une installation de stockage au sens du 60 de l’article 2 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 ;
  • elle n’approvisionne pas un petit réseau isolé ou connecté au sens respectivement des 42 et 43 de l’article 2 de la directive précitée.

Seraient toutefois exemptées les installations exploitées par une entreprise pour laquelle la puissance installée cumulée des installations de production d’électricité ne dépasse pas 1 mégawatt.

Assiette de la contribution

La contribution serait égale à la fraction des revenus de marché de l'exploitant de l'installation excédant le seuil de 180 €/MWh (sous réserve de certaines corrections). Ce seuil pourrait être abaissé ou augmenté par décret pris après avis de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) pour les installations dont la production présente des coûts ou des sujétions différents de ceux des autres technologies.

Les revenus de marché seraient ceux résultant de l’ensemble des contrats de fourniture conclus par l'exploitant, à l'exclusion, notamment, des revenus de la production d’électricité déjà plafonnés du fait de mesures publiques (par exemple, l’accès régulé à l’électricité nucléaire ou les énergies renouvelables régies par les contrats d’obligation d’achat ou le complément de rémunération).

Le texte prévoirait un abattement de 10% sur la fraction des revenus de marché excédant le seuil forfaitaire, qui pourrait être porté jusqu'à 40% pour l’électricité produite au second semestre 2023, le nouveau taux devant être fixé par un futur décret.

L’assiette de la contribution serait évaluée séparément sur les périmètres suivants :

  • fourniture sur les marchés de gros ;
  • fourniture aux consommateurs finals, chaque ensemble de contrats présentant des caractéristiques identiques ou similaires constituant un périmètre distinct.

Modalités d’application

La contribution serait due par l’entreprise exploitant l'installation. Conformément au règlement européen, son fait générateur serait constitué par la production d’électricité pendant la période débutant le 1er décembre 2022 et s’achevant le 31 décembre 2023. Il interviendrait à l’achèvement de cette période.

Afin d’assurer un effet budgétaire dès 2023, la contribution serait acquittée par voie d'acomptes selon des conditions restant à déterminer par décret.

Poursuite du processus législatif

Pour mémoire, l’engagement de la responsabilité du gouvernement ouvre un délai de 24 heures au cours duquel les députés peuvent déposer une motion de censure. Le vote sur cette motion ne peut intervenir moins de 48 heures après son dépôt. Si la motion de censure n’est pas adoptée, le texte sur lequel le gouvernement s’est engagé est considéré comme adopté (dans le cas contraire le premier Ministre doit remettre sa démission et le texte sur lequel portait l’engagement du Gouvernement est rejeté).

L’utilisation de la procédure de l’article 49,3 est sans impact sur la suite du processus législatif ce qui signifie qu’en cas d’adoption du texte sans vote, la navette parlementaire se poursuivra dans les conditions habituelles. Le Sénat sera donc appelé à débattre sur le texte et une Commission mixte paritaire pourra être convoquée avant un nouveau vote de l’Assemblée nationale. 

Compte tenu de la mise en œuvre par le Gouvernement de la procédure de l’article 49,3, les éventuelles modifications apportées sur le projet de loi au cours du processus législatif devraient demeurer marginales.   


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Emmanuel Raingeard de la Blétière

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Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

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