Le CbCR public est transposé en droit français

30/06/23

eAlerte fiscale

La transposition des règles relatives au CbCR public vient d’être réalisée par l’ordonnance n° 2023-483 du 21 juin 2023, publiée au Journal officiel du 22 juin, prise en application de l’article 11 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023, portant diverses dispositions d’adaptation du droit de l’UE dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture. 

Cet article habilite le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance, afin de transposer la Directive (UE) 2021/2101 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021, plus communément appelée « directive sur le CbCR public » modifiant la Directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d'informations relatives à l'impôt sur les revenus des sociétés.

L’ordonnance, qui reprend les principes clés de la Directive, est complétée par le décret 2023-493 du 22 juin 2023 et par l’arrêté du 22 juin 2023, tous deux publiés au Journal Officiel du 23 juin, qui précisent notamment les seuils d’assujettissement des sociétés soumises à l’obligation de publication, ainsi que plusieurs modalités de présentation du rapport, de publication et de mise à disposition du rapport. En outre, des précisions devront encore être apportées par la Commission européenne via des actes d’exécution notamment en ce qui concerne le format (dit “lisible par une machine”) des informations à publier et qui seront vraisemblablement repris dans un arrêté du ministre chargé de l’économie (art. R.232-8-2.-I.) 

Les nouvelles règles issues de l’ordonnance s’appliqueront aux exercices ouverts à compter du 22 juin 2024, ce qui est conforme à la Directive.

Les entités concernées

Les nouvelles règles, qui sont intégrées au code de commerce, imposent à certaines sociétés d’établir, de publier et de mettre à disposition un rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices, lorsqu’elles réalisent un certain niveau de chiffre d’affaires consolidé.  Les modalités de calcul du chiffre d’affaires à prendre en compte sont détaillées par l’article A. 232 du Code de commerce, issu de l’arrêté du 23 juin 2023, qui prévoit notamment que le chiffre d’affaires comprend les transactions passées avec les entités liées. 

Les entités concernées sont les suivantes : 

Certaines sociétés françaises :

  • sociétés autonomes (entités qui ne contrôlent pas et se sont pas contrôlées par une autre société au sens des règles prévues par l’art. L. 233-16 du Code de commerce en matière de comptes consolidés) et dont le chiffre d’affaires excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, 750 millions d’euros (C. com. art. L. 232-6 et D. 232-8-1, I) ;

  • entités mères ultimes de groupes consolidés (entités consolidantes qui ne sont pas contrôlées par une autre société au sens de l’art. L. 233-16 du Code de commerce) dont le chiffre d’affaires consolidé excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, 750 millions d’euros (C. com. art. L. 233-28-1 et D. 232-8-1, I) ;

  • sociétés commerciales ne relevant ni de la catégorie des micro-entreprises ni de celle des petites entreprises au sens des articles L. 123-16-1 et L. 123-16 du Code de commerce, contrôlées par une société ne disposant pas d’un siège social dans un État membre de l’UE ou de l’EEE qui comptabilise un chiffre d’affaires consolidé excédant, à la clôture de deux exercices consécutifs, 750 millions d’euros. Cette société étrangère doit établir des comptes consolidés dans lesquels les actifs, les passifs, les fonds propres, les produits et les charges sont présentés comme étant ceux d’une seule entité économique, du plus grand ensemble d’entreprises (C. com art. L. 233-28-2, I et III et D. 232-8-1, I).

Les sociétés françaises constituées sous forme de sociétés en nom collectif ou de sociétés en commandite simple ne sont concernées que si tous leurs associés indéfiniment responsables sont soit des sociétés par actions, des sociétés à responsabilité limitée ou des sociétés de droit étranger d’une forme comparable.

Les sociétés autonomes ou les entités mères ultimes relevant du droit d’un autre État membre sont soumises à l’obligation de publication dans cet autre État, y compris le cas échéant pour leurs filiales ou succursales françaises, ce qui explique que ces dernières ne soient pas visées.

Certaines sociétés ne disposant pas d’un siège social dans l’UE ou l’EEE : 

  • sociétés autonomes, disposant en France d’une succursale dont le chiffre d’affaires excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, 12 millions d’euros et qui comptabilisent elles-mêmes un chiffre d’affaires qui excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, 750 millions d’euros (C. com. art. L. 232-6-1, D. 238-2-1, I et II) ;

  • sociétés disposant en France d’une succursale dont le chiffre d’affaires excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, 12 millions d’euros, contrôlées par une société qui ne dispose pas elle-même d’un siège social dans l’UE ou l’EEE et qui comptabilise un chiffre d’affaires qui excède, à la clôture de deux exercices consécutifs, 750 millions d’euros. La société contrôlante doit établir des comptes consolidés dans lesquels les actifs, les passifs, les fonds propres, les produits et les charges sont présentés comme étant ceux d’une seule entité économique, du plus grand ensemble d’entreprises (C. com. art. L. 233-28-2, II et III et D. 232-8-1, I et II).

Les sociétés dont le siège social n’est ni dans l’UE ni dans l’EEE ne sont concernées que si elles revêtent une forme juridique comparable à celle des sociétés par actions ou des sociétés à responsabilité limitée.

Comme prévu dans le cadre de la directive, les entités du secteur bancaire, déjà soumises à une obligation de publication d’informations financières sur leurs implantations (Comofi art. L. 511-45 transposant l’article 89 de la directive 2013/36/UE du 26 juin 2013), sont dispensées de publication.

On notera que l’ordonnance comporte un certain nombre de dispositions anti-abus prévoyant l’extension des obligations déclaratives à des situations impliquant des entités situées en deçà des seuils de déclarations mais n’ayant pas d’autres fins que celle d’éluder l’application du dispositif.

Enfin, selon la Directive, l’obligation ne s’applique pas aux entreprises autonomes ou aux entreprises mères ultimes ni à leurs entreprises liées lorsque ces entreprises, y compris leurs succursales, sont établies ou ont leur installation fixe d’affaires ou leur activité économique permanente sur le territoire d’un seul État membre et dans aucune autre juridiction fiscale (Dir. art. 48 ter.2 §2). Cette règle est transposée par l’ordonnance de manière relativement peu intelligible, notamment en son article 3 qui précise que l’obligation « ne s’applique pas lorsque ni les sociétés consolidantes, ni les sociétés qu’elles contrôlent comprises dans la consolidation en vertu de l’article L. 233-16 ne disposent, à l’étranger, d’un établissement stable ». 

Dans l’ensemble, les dispositions de la Directive s’agissant du champ d’application de l’obligation de publication d’informations financières pays par pays ont été transposées. 

Informations et données à publier

Le rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices doit, en vertu de l’article L 236-2 du Code de commerce, contenir les informations suivantes, relatives au dernier exercice clos :

  • l’exercice concerné ;

  • la devise utilisée ;

  • le nom de la société ;

  • une brève description de la nature des activités ;

  • le nombre de salariés employés (en équivalent temps plein) ;

  • le chiffre d’affaires ;

  • le montant du bénéfice ou des pertes avant impôt sur les bénéfices ;

  • le montant de l’impôt sur les bénéfices dû ;

  • le montant de l’impôt sur les bénéfices acquitté sur la base des règlements effectifs ;

  • le montant des bénéfices non distribués.

Lorsqu’il est établi par une société française, mère ultime d’un groupe consolidé, le rapport porte sur l’ensemble des activités de la société consolidante et des sociétés sur lesquelles elle exerce un contrôle et comprises dans la consolidation, au titre de l’exercice concerné. Il doit comporter la liste des sociétés contrôlées comprises dans la consolidation qui sont établies dans un État membre de l’UE ou l’EEE ou dans une juridiction fiscale sur la liste révisée de l’Union européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales (ETNC). 

Lorsque le rapport est établi par une société contrôlée par une société ne disposant pas d’un siège social dans l’UE ou l’EEE, qu’il s’agisse d’une société commerciale nationale ne relevant ni de la catégorie des micro-entreprises ni de celle des petites entreprises (C. com. art. L. 233-28-2, I) ou d’une société d’un État tiers à l’UE ou l’EEE disposant en France d’un établissement stable (C. com. art. L. 233-28-2, II), il est prévu qu’il porte sur l’ensemble des activités de la société qui contrôle et des sociétés contrôlées comprises dans la consolidation.

Dans ces deux derniers cas, ainsi que lorsque le rapport incombe à une personne morale autonome sans siège social dans l’UE ou l’EEE mais disposant d’une succursale en France (C. com. art. L. 232-6-1), le représentant légal en France, ou la personne ayant le pouvoir de l’y engager, doit, si le rapport ou les informations requises pour l’établir ne sont pas disponibles, demander à la société étrangère de lui communiquer toutes les informations nécessaires. Il doit alors établir, publier et mettre à disposition le rapport. Si la société ne communique pas l’ensemble des informations, son représentant légal en France, ou la personne ayant le pouvoir de l’y engager, établit le rapport et intègre dans ce dernier toutes les informations en sa possession, assorties d’une déclaration mentionnant que la société concernée n’a pas mis à sa disposition les informations requises (C.  com. art. L. 236-2-1, III et L. 233-28-2, V). 

Conformément à la Directive, le décret du 22 juin 2023 prévoit que les informations sont présentées séparément pour : 

  • chaque État membre de l’UE et autre État partie à l’accord sur l’EEE ; 

  • chaque juridiction fiscale qui, au 1er mars de l’exercice pour lequel le rapport est établi, figure à l’annexe I des conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la liste révisée de l’Union européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales (liste « noire » des ETNC) ;

  • chaque juridiction fiscale qui, au 1er mars de l’exercice pour lequel le rapport est établi et au 1er mars de l’exercice précédent, figure à l’annexe II de cette même liste révisée (liste « grise » des ETNC).

Pour les autres juridictions fiscales, les informations sont présentées sous une forme agrégée.

Le décret du 22 juin 2023 précise également que le rapport est présenté à l’aide d’un modèle et de formats de déclaration électroniques lisibles par machine publiés par arrêté du ministre chargé de l’économie, dont il est probable qu’ils s’inspireront d’actes délégués de la Commission européenne prévus dans la Directive.

La transposition reprend la décomposition par juridictions des données chiffrées ainsi que l’essentielle des définitions. Nous reviendrons dans un prochain article sur les différences de définition et de périmètre entre la déclaration fiscale CbCR répondant aux instructions OCDE et la publication des informations pays par pays, à l’aune des précisions apportées par le document des régimes de protection du Pilier 2 de l’OCDE1.

Différé de publication de certaines informations

Comme prévu par la Directive, l’ordonnance prévoit que les informations dont la divulgation porterait gravement préjudice à la position commerciale des sociétés auxquelles elles se rapportent peuvent être omises du rapport. À cet égard, on soulignera que ni la Directive ni l’ordonnance n’apporte de précision sur les informations ou le préjudice visés, renvoyant à un décret en Conseil d’Etat 

Le décret précise par ailleurs, en conformité avec les dispositions de la directive, que lorsque qu’il est fait usage de cette possibilité par l’entité déclarante, le rapport doit indiquer clairement les motifs de l’omission. En outre, les informations omises doivent être publiées dans un rapport ultérieur dans un délai maximal de cinq ans après leur omission. Enfin, comme le prévoit la directive il est précisé que les informations relatives à des juridictions fiscales mentionnées aux annexes I et II de la liste de l’UE des ETNC ne peuvent pas être omises du rapport.  

Ce différé est identique à celui précisé dans la directive mais n’apporte pas plus de précision sur sa portée. Il conviendra d’attendre le décret en Conseil d’Etat.

Conditions de publication et d’accessibilité du rapport 

Le décret précise que le rapport, le cas échéant traduit en français, devra être déposé au greffe du tribunal de commerce pour être annexé au registre du commerce et des sociétés dans un délai de douze mois à compter de la clôture de l’exercice. Le dépôt s’accompagnera d’une insertion au Bodacc réalisée par le greffe du Tribunal de commerce attestant du dépôt du rapport.  

Dès sa date de dépôt, le rapport devra être mis gratuitement à disposition du public, pendant au moins cinq années consécutives et, selon les cas, sur le site internet :

  • de la société tenue au dépôt du rapport ; 

  • de la succursale émanant de la société tenue au dépôt (ou à défaut sur le site internet de la société elle-même) ;

  • de la société consolidante ultime ou de l’une des sociétés qu’elle contrôle ou de la succursale de la société tenue au dépôt.  

Nouvelle vérification spécifique par les commissaires aux comptes 

L’article L. 823-10 du Code de commerce est complété afin de préciser que les commissaires aux comptes devront :

  • indiquer dans le rapport joint au rapport de gestion ou au rapport sur la gestion du groupe le cas échéant, si la personne morale ou l’entité est soumise à l’obligation de publication du rapport ;

  • dans l’affirmative, attester que ce rapport a été publié et mis à disposition conformément aux dispositions au titre de l’exercice précédent celui pour lequel les comptes sont certifiés.

Malgré une rédaction de l’article portant à confusion, cette nouvelle vérification spécifique à insérer dans le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes annuels ou consolidés était prévue par la Directive.

Sanctions

On rappelle que la Directive renvoie aux États membres le soin de fixer les sanctions en cas de violation des dispositions nationales relatives au CbCR public.  

L’ordonnance ne prévoit pas les sanctions qui s’appliqueront en cas de violation de l’obligation de publication du rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices. La détermination des sanctions par le législateur pourrait intervenir à un stade ultérieur, possiblement lors de la prochaine loi de finances.  

En revanche, l’ordonnance prévoit, en conformité avec les dispositions de la Directive, que toute personne peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au conseil d’administration, au directoire, aux gérants, au représentant légal, d’établir, de publier ou de mettre à disposition le rapport (article L. 238-7 nouveau du Code de commerce), en outre, lorsqu’il sera fait droit à la demande, l’astreinte et les frais de de procédure seront à la charge, individuellement ou solidairement selon les cas, des administrateurs, des membres du directoire, des gérants, du représentant légal de la société de pays tiers en France ou de la personne ayant le pouvoir de l’y engager.  

Comme pour d’autres réglementations récentes, la responsabilité personnelle des membres des organes de gouvernance des sociétés concernées est, ici, directement spécifiée. 


OECD (2020), Safe Harbours and Penalty Relief: Global Anti-Base Erosion Rules (Pillar Two), OECD/G20 Inclusive Framework on BEPS, OECD, Paris.

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François Roux

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