Steria bis repetita : extension de la neutralisation de la QPFC aux sociétés mères non-intégrées

17/05/23

eAlerte fiscale

Par une décision en date du 11 mai 20231, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, sur le terrain de la liberté d’établissement, que l’ancien dispositif de neutralisation de la quote-part de frais et charges (ci-après « QPFC »), réservé initialement aux distributions réalisées au sein d’une intégration fiscale, doit être étendu aux produits de participation distribués, par des filiales intégrables établies dans un autre Etat membre de l’Union européenne, à une société mère française qui n’a pas opté pour l’intégration fiscale alors même que des liens capitalistiques avec d’autres sociétés françaises lui auraient permis de le faire.

Historique

Jusqu’au 31 décembre 2015, les produits de participation étaient exonérés d’impôt sur les sociétés, en application des articles 145 et 216 du Code général des impôts (ci-après : « CGI »), sous réserve de la réintégration d’une QPFC de 5 % censée représenter les frais de gestion afférents à ces participations. La réintégration de la QPFC était néanmoins neutralisée lorsque les sociétés mères et distributrices appartenaient à un même groupe fiscal au sens de l’article 223 A du CGI2.

Ce dispositif de neutralisation de la réintégration de la QPFC a toutefois été condamné le 2 septembre 2015, par la Cour de justice de l’Union européenne, dans une affaire Groupe Steria3 sur le fondement de la liberté d’établissement. Il était alors reproché à la France de discriminer les sociétés mères intégrantes qui percevaient des dividendes d’une filiale française intégrée, lesquels étaient exonérés à 100 % d’impôt par le truchement de la neutralisation de la QPFC, et celles qui recevaient des dividendes d’une filiale intégrable établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne, lesquels n’étaient exemptés qu’à hauteur de 95 %. La Cour de justice, dans sa décision Groupe Steria, ne se prononçait pas en revanche sur d’autres configurations, par exemple, lorsque la société mère n’était pas membre d’un groupe fiscal par choix ou par contrainte capitalistique. Le Conseil d’Etat, par deux renvois préjudiciels, lui a offert cette opportunité. 

Si les deux affaires transmises par les juges du Palais-Royal présentaient des structures capitalistiques différentes, leur point commun résidait dans le fait que, dans chacune de ces espèces, la société mère française qui avait perçu les dividendes européens n’avait pas adhéré à un groupe fiscal alors qu’elle avait la capacité de le faire. D’un côté, la société Manitou BF détenait, directement ou indirectement, à plus de 95 % cinq sociétés dans d'autres Etats membres de l’Union européenne et une société établie en France. De l’autre côté, la société Bricolage Investissement France, qui était détenue par une société mère française à 100 %, détenait une filiale polonaise à 100 %. Dans les deux cas, aucune des sociétés mères françaises n’avait pour autant intégré, au titre des exercices litigieux, un groupe fiscal. Ce défaut d’exercice d’option n’a pas été jugé dirimant par la Cour de justice.

La décision

Fidèle à sa démarche triptyque, les juges de Luxembourg caractérisent, en premier lieu, la différence de traitement. Ils relèvent, pour ce faire, qu’une société mère française détenant des filiales situées en France a toujours la possibilité de bénéficier du dispositif de neutralisation de la QPFC en optant pour le régime de l’intégration fiscale dans le périmètre qu’elle définit librement. En revanche, une société mère française qui détient des filiales dans un autre Etat membre de l’Union n’a pas la possibilité de bénéficier de ce dispositif sauf à faire préalablement partie d’un groupe fiscal intégré en France comprenant d’autres filiales françaises. 

S’appuyant sur les critères de comparabilité retenus par la Cour de justice dans les affaires X Holding4 et SCA Group Holding5, les autorités françaises défendaient que cette différence de traitement s’expliquait par une différence de situation dans la mesure où Manitou BF et Bricolage Investissement France avaient manifesté leur souhait de ne pas constituer de groupe fiscal, alors même qu’elles remplissaient les conditions pour le faire. Dès lors, ces sociétés mères ne sauraient se comparer à celles qui ont effectivement opté pour ce régime. Ce moyen est écarté par la Cour, notamment, au motif que le dispositif de neutralisation de la réintégration de la QPFC est détachable du régime de l’intégration fiscale, de sorte que la comparabilité s’apprécie à l’aune de l’objectif poursuivi par la QPFC et le régime des sociétés mères auquel il est attaché (reprenant en ce sens la solution dégagée dans la décision Groupe Steria). Or, peu importe que la société mère et/ou la filiale appartienne à un groupe fiscal intégré, dans tous les cas, la première supporte des frais et charges attachés à la participation dans la seconde et les profits distribués sont susceptibles de faire l’objet d’une double imposition. Partant, une restriction à la liberté d’établissement est en l’espèce caractérisée. Le gouvernement français n’ayant pas fait valoir de raison impérieuse d’intérêt général la justifiant, elle est jugée incompatible avec les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. 

Prospectif

A la suite du précédent Groupe Steria, le législateur a supprimé le mécanisme de neutralisation de la QPFC au sein du régime de l’intégration fiscale et a, en parallèle, modifié le dispositif de réintégration de la QPFC dans la perspective de le mettre en conformité avec les exigences communautaires. Il en résulte, aujourd’hui, un système d’exonération des produits de participation à deux vitesses, en fonction du taux de QPFC applicable. 

Fixé à 5 % par principe, le taux de QPFC est réduit à 1 % si les distributions interviennent entre sociétés membres d’un même groupe fiscal. Pour éviter l’écueil de la liberté d’établissement, cet avantage fiscal a été étendu, dans un premier temps, aux dividendes distribués par une filiale intégrable établie dans un autre Etat membre de l’Union au profit de sa société mère intégrée6, puis, dans un second temps, au profit de sa société mère non-intégrée à condition toutefois que l’absence d’appartenance à un groupe fiscal résulte d’une impossibilité d’opter et non d’un choix7. Ces amendements itératifs n’auront pas suffi pour assurer une parfaite adéquation de la législation française avec le droit de l’Union européenne, comme en témoigne la présente décision. A l’aune de la jurisprudence Manitou BF, il appartiendra donc au législateur de modifier de nouveau l’article 216 du CGI tout en veillant à ne pas créer de discrimination à rebours. Un exercice d’équilibriste qui s’annonce par avance périlleux.

Sources

[1] CJUE, 11 mai 2023, aff. C-407/22 et C-408/22, Manitou BF.

[2] Article 223 B, deuxième alinéa du CGI, dans sa rédaction antérieure à l’article 40 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

[3] CJUE, 2 sept. 2015, aff. C-386/14, Groupe Steria.

[4] CJUE, 25 févr. 2010, aff. C-337/08, X Holding.

[5] CJUE, 12 juin 2014, aff. C-39/13 à C-41/13, SCA Group Holding e.a.

[6] Article 40 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

[7] Article 32 de la n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

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Emmanuel Raingeard de la Blétière

Emmanuel Raingeard de la Blétière

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Valentin Leroy

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Directeur, PwC Société d'Avocats

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