Crédits d’impôts étrangers non imputés : le Conseil d’Etat confirme l’impossibilité du report

16/03/23

eAlerte Fiscale

Dans une décision du 8 mars 2023 (CE - 8 mars 2023, n° 456349, SA Natixis), le Conseil d’Etat a confirmé l’impossibilité pour les sociétés déficitaires françaises de tirer parti des crédits d’impôt d’origine étrangère qu’elles n’ont pas pu imputer sur leur impôt faute d’en être redevable.

La SA Natixis ayant connu quatre exercices déficitaires consécutifs avant de redevenir bénéficiaire en 2012, elle souhaitait diminuer par voie de réclamation l’impôt dû au titre de cet exercice à concurrence des crédits d’impôt non utilisés afférents aux intérêts, dividendes et redevances de source étrangère perçus lors des exercices précédents. Après avoir rappelé que le droit interne français en général et l’article 220 du CGI en particulier ne prévoient aucun mécanisme de report en avant des crédits d’impôts étrangers n’ayant pu être imputés par une société déficitaire, le Conseil d’Etat a rejeté un à un les arguments de la société visant à contester les trois étapes du raisonnement suivi par les juges du fond sur le terrain du droit international pour refuser de faire droit à sa demande.

Pour juger que les conventions fiscales bilatérales en cause ne pouvaient pas être lues comme autorisant une société déficitaire à reporter l’imputation de ses crédits d’impôts non utilisés sur un exercice bénéficiaire ultérieur, le Conseil d’Etat a raisonné en trois temps :

  • Comme les juges du fond avant lui, il a dans un premier temps constaté qu’aucune des quinze conventions fiscales applicables au litige ne prévoyait expressément une telle possibilité ;
  • Estimant ensuite, à l’instar de la CAA de Versailles, que la notion de double imposition juridique au sens des conventions fiscales ne concerne que les situations où deux Etats entendent exercer leur compétence fiscale à raison d’un même fait générateur et pour des périodes identiques, il a jugé qu’une société française ne subissait pas une double imposition à raison des revenus perçus au cours d’un exercice déficitaire dès lors que par construction ils ne sont pas imposés en France, le mécanisme de report en avant du déficit prévu par l’article 209 du CGI étant sans incidence à cet égard ;
  • De cette absence de double imposition juridique découlent alors selon lui deux conséquences :

- l’absence de report des crédits d’impôt conventionnels n’ayant pas pu être utilisés n’est pas de nature à priver le contribuable du bénéfice de l’élimination d’une double imposition

- même lu à la lumière de l’objet et du but poursuivi par les conventions fiscales, leur silence sur la question ne peut pas être interprété comme l’octroi d’un droit implicite à reporter leur imputation

Le Conseil d’Etat a ensuite estimé que cette absence de report en avant des crédits d’impôt non imputés n’était pas incompatible avec le principe de libre circulation des capitaux, sans juger utile de poser une question préjudicielle à la CJUE. Il a, là encore, raisonné en trois temps :

  • Si le droit de l’Union européenne n’implique pas que l’Etat membre de résidence d’un actionnaire soit tenu de le prémunir contre le risque de double imposition résultant de l’exercice concurrent de la compétence fiscale d’un autre Etat membre, le Conseil d’Etat a cependant reconnu que, le cas échéant, l’exercice de cette faculté doit se faire dans le respect du droit de l’Union ;
  • A cet égard, il a estimé que l’Etat membre qui se borne à compenser les désavantages découlant de la double imposition juridique telle que définie précédemment, par des mesures telles que celles examinées en l’espèce, dont l’effet est de réserver  aux seules sociétés bénéficiaires l’utilisation d’un crédit d’impôt, n’entrave pas de facto la liberté de circulation des capitaux. Dès lors qu’au regard de cette double imposition une société déficitaire et une société bénéficiaire ne se trouvent pas dans la même situation, la charge définitive que supporte la première du fait de l’imposition subie à la source contrairement à la seconde ne contrevient pas au droit de l’Union ;
  • Sur le fondement d’une motivation plus lapidaire, il a enfin jugé que contrairement à ce que soutenait la SA Natixis, le fait que le risque d’élimination imparfaite de la double imposition économique ne soit encouru que par les revenus de source étrangère, et non par les revenus de source française, n’était pas non plus de nature à porter atteinte à la liberté de circulation des capitaux. En se reportant aux conclusions du rapporteur public pour comprendre le raisonnement suivi, il semblerait que le Conseil d’Etat s’est inspiré de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions qui interdisent de reporter sur un exercice ultérieur un crédit d'impôt d'origine étrangère « traitent de la même manière toutes les sociétés, quels que soient leurs résultats » et ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi (Cons. const., 28 septembre 2017, n° 2017-654 QPC, §11).

Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, le Conseil d’Etat a enfin estimé que dès lors qu’un crédit d’impôt conventionnel ne constitue ni un acompte sur le paiement de l’impôt, ni une créance restituable, il ne peut pas être regardé comme un bien au sens de l’article 1er de son protocole additionnel.

En retenant une conception stricte de la notion de double imposition juridique au sens des conventions fiscales, le Conseil d’Etat semble avoir scellé le sort des crédits d’impôts étrangers non utilisés par les sociétés déficitaires françaises, même si d’autres voies paraissent encore pouvoir être explorées.

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Emilie  Dussau

Emilie Dussau

Tax Manager, Département Doctrine, PwC Société d'Avocats

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