Publication de la loi sur l'industrie verte : focus sur les mesures clés

25/10/23

eAlerte ESG

La loi n° 2023-973 du 23 octobre relative à l’industrie verte a été publiée au journal officiel à la suite de son adoption en procédure accélérée au Parlement.

Cette loi a pour objectif, à la fois de réindustrialiser la France et celui d’assurer la transition écologique. Cela peut sembler paradoxal d’accoler les termes « industrie » et « vert ». Il faut donc d’ores et déjà lever une ambiguïté. Il ne s’agit pas d’une loi qui a pour objet de verdir l’industrie mais de favoriser l’installation de nouvelles activités permettant de réindustrialiser la France et « en même temps » les industries concernées devront être de transition (dites « vertes ») ce qui doit permettre de minimiser les impacts en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Il faut également noter que la loi a été dépouillée de ses mesures fiscales. La définition du crédit d’impôt « Investissement Industrie Vertes » a été renvoyée à la loi de finances pour 2024. C’est sans doute plus sûr de traiter des mesures fiscales dans une loi de finances, mais le texte perd de sa puissance et de ce fait ne se situe pas au même niveau que l’Inflation Reduction Act américain, auquel cette loi est censée répondre.

Cela reste une loi très riche qui comporte des mesures allant de la reconnaissance du retrofit pour transformer des véhicules thermiques en véhicules à faible émission à la mise en place d’instruments financiers pour financer l’industrie verte. Nous allons nous concentrer ici sur deux types de mesures proposés par la loi, d’une part, la mobilisation d’un foncier industriel pour des industries liées à la transition verte et, d’autre part, l’allégement des procédures administratives pour accélérer l’implantation d’industries vertes. On évoquera également quelques mesures plus ponctuelles mais néanmoins significatives de la loi en matière de commande publique.

I. Faciliter et accélérer la mobilisation du foncier industriel

Une des conditions pour mener une réindustrialisation de la France – que la loi industrie verte cherche à lever – est de pouvoir mobiliser le foncier nécessaire à l’installation de nouvelles activités économiques.

Cependant, cet objectif de politique économique se heurte directement à l’objectif fixé par la loi Climat et Résilience d’atteindre en 2050 « […] l’absence de toute artificialisation nette des sols […] », dit « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN). Cette loi a établi un premier objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme de la consommation d’espaces dans les dix prochaines années (2021 – 2031) puis un objectif très qualitatif de « protection des sols vivants, y compris dans les espaces déjà urbanisés ». L’artificialisation de nouveaux espaces sera alors conditionnée à une renaturation à proportion égale des espaces artificialisés.[1]

Or, pour attirer les « gigafactory » destinées à produire des batteries ou des voitures électriques, la France a besoin de très grands sites industriels. La loi industrie verte, et c’est sans doute sa principale batterie de mesures, cherche à faciliter et accélérer la mobilisation du foncier industriel.

La loi pose diverses mesures techniques pour faciliter la mobilisation du foncier industriel :

o   Planification de la localisation des implantations industrielles : en France, l’action publique doit commencer par la planification. Les régions se voient ainsi confier le soin de définir, dans les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), des objectifs en matière de localisation de ces implantations industrielles. On retrouve le même type de dispositif de planification territoriale des énergies renouvelables que celui prévu dans la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

o   Amélioration de la procédure de remise en état des sites industriels : l’article 8 de la loi prévoit des mesures permettant de fluidifier les cessations d’activités ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) et à favoriser la réhabilitation du foncier industriel. Pour cela, cet article permet, de manière facultative, que des bureaux d’études interviennent pour attester de la mise en sécurité et de la réhabilitation des sites ICPE pour les cessations d’activités notifiées avant le 1er juin 2022 et jusqu’au 1er janvier 2026.

o   Elargissement de la faculté de substitution d’un tiers intéressé : selon la procédure dite du « tiers demandeur[2] », un tiers intéressé peut demander au préfet de se substituer au dernier exploitant d’une ICPE, avec son accord, pour réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l’usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné. En l’état actuel du droit, les tiers intéressés ne peuvent formuler une demande de substitution qu’à la mise à l’arrêt définitif du site. Cette mesure doit permettre de rendre un mécanisme, peu utilisé aujourd’hui (environ une vingtaine de demandes par an[3]) plus attractif pour les industriels en permettant une substitution dès la mise à l’arrêt d’une partie de site industriel et sans attendre la cessation d’activité de l’ensemble du site. A voir à l’usage, l’effet de cette mesure.

II. Accélérer les procédures pour permettre l’implantation d’industries vertes

Un des autres enjeux du développement de l’industrie verte réside dans les délais nécessaires pour obtenir les autorisations administratives nécessaires à l’ouverture d’une usine qui seraient, en France, beaucoup plus longs, par rapport à nos voisins : le délai réel moyen est estimé à 17 mois, contre 4 mois en Allemagne. Les mesures envisagées auraient pour objectif d’abaisser la durée des procédures à 9 mois.

La loi prévoit tout d’abord que les projets industriels verts pourront bénéficier de la procédure de déclaration de projet. La liste des hypothèses pouvant bénéficier de cette procédure ne cesse de s’allonger. Cette procédure permet de mettre en compatibilité de manière accélérée les documents d’urbanisme locaux avec un projet d’aménagement d’intérêt général. Cela devrait donc faciliter le développement de ces installations industrielles vertes.

Elle prévoit ensuite une série de mesure pour les projets de grande ampleur afin d’offrir des perspectives de réalisation rapide aux investisseurs potentiels.

L’article 19 de la loi crée la notion de « projets industriels d’intérêt national majeur », définis comme les projets industriels qui revêtent, eu égard à leur objet et à leur envergure notamment en termes d’investissement et d’emploi, une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale. Ces projets doivent être identifiés par un décret. Selon l’avis du Conseil d’Etat, l’intention du gouvernement est d’inclure des projets qui « par la nature de leurs productions, […] réduisent la dépendance de la France dans des secteurs stratégiques ou contribuent à la transition écologique et [qui] revêtent un intérêt national eu égard à leur importance en termes d’investissement et de création d’emplois, des ordres de grandeurs en milliards d’euros et en milliers d’emplois étant évoqués, sans que des seuils puissent d’emblée être fixés. ».

La loi prévoit un mécanisme de mise en compatibilité des documents d’urbanisme et de planification locaux nécessaires à la réalisation d’un projet industriel d’intérêt national majeur. La mise en compatibilité repose sur une procédure d’évaluation environnementale et une procédure de participation du public.

Les maires et présidents d’EPCI du lieu d’implantation du projet d’intérêt national majeur peuvent s’opposer à la mise en compatibilité en amont de la procédure, après que l’autorité compétente de l’Etat leur ai transmis les données essentielles du projet.

Ensuite, l’article 19 du projet de loi donne compétence à l’Etat – et non pas aux maires ou aux présidents d’EPCI – pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les projets d’intérêt national majeur. C’est une mesure assez classique

Ces projets pourront en outre être qualifiés de projets répondant à une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM), première condition pour bénéficier d’une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées.

Enfin, les projets d’intérêt national majeur pourront également bénéficier des dérogations temporaires pour accélérer le raccordement au réseau de transport d’électricité prévu par la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

Toutefois, la commission mixte paritaire a supprimé une mesure ambitieuse introduite par l’Assemblée nationale en première lecture, qui aurait permis au porteur d’un projet d’intérêt national majeur de solliciter de l’autorité environnementale une évaluation environnementale pendant toute la durée d’un projet (et non pas une procédure d’évaluation environnementale ex ante) consistant en un dispositif certifié d’évaluation et de réduction des incidences environnementales pendant toute la durée de réalisation et d’exploitation du projet.

III. Mesures en matière de commande publique

La loi comporte deux mesures en matière de commande publique permettant à des acheteurs publics d’exclure des procédures d’appel d’offres des candidats qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière (i) de bilan d’émissions de gaz à effet de serre et (ii) de publication d’un rapport extra-financier.

Tout d’abord, la loi prévoit que les acheteurs pourront décider d’exclure des procédures de passation des contrats de la commande publique les entreprises qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un bilan des émissions de gaz à effet de serre prévue par l’article L. 229-25 du code de l’environnement. Il s’agit en particulier des personnes morales de droit privé employant plus de cinq cents personnes.

Puis, la loi complète l’habilitation à intervenir par ordonnance de l’article 12 de la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, pour permettre d’exclure les entreprises ne respectant pas les obligations de publication d’informations en matière de durabilité qui leur incomberont après transposition de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) ainsi que par les normes européennes d’informations de durabilité (« ESRS » - European Sustainability Reporting Standards). A partir de 2025, sur les données de l’année fiscale 2024, les entreprises qui ne sont actuellement pas soumises à la déclaration annuelle de performance extra-financière (DPEF) vont devoir progressivement publier un rapport de durabilité.

Ce ne sont pas les premières mesures qui visent à établir un achat public durable. Par exemple, la loi Climat relatif au verdissement de la commande publique avait déjà créé la possibilité d’exclure des candidats n’ayant pas établi leur plan de vigilance, mais cette dernière obligation ne concerne que les plus grosses entreprises. Les acheteurs publics vont progressivement, quand ils ne le font pas déjà, intégrer dans leur critère d’attribution les caractéristiques environnementales de l’offre ou encore le coût du cycle de vie.

La commande publique est de toute évidence un levier essentiel en matière de développement durable. En revanche, si ces cas d’exclusion sont utilisés, cela risque d’être un « tick the box ». On voit mal les acheteurs publics se livrer à une analyse qualitative des rapports de durabilité des candidats. Cela posera également des questions juridiques intéressantes : comment apprécier que le critère soit satisfait si le plan de vigilance d’une entreprise fait l’objet d’une injonction ou si celle-ci fait l’objet d’un recours en responsabilité en raison de son impact environnemental, ou si le rapport de durabilité est jugé insuffisant et sanctionné (lorsque les sanctions auront été définies) ?

Il reste que cela nous semble significatif de prévoir ces exclusions aujourd’hui. Cela atteste du tsunami réglementaire qui va s’appliquer dans les prochaines années pour les entreprises entrant dans le champ de la directive CSRD et de l’ESG en général. Ces réglementations souvent incitatives et pas nécessairement assorties de sanctions vont devenir de plus en plus contraignantes.

*

En conclusion, les mesures de cette loi faciliteront un peu le développement de projets industriels de petite taille ou de taille moyenne mais est-ce que ce sera vraiment suffisant pour donner une impulsion forte au développement des industries vertes ? En matière de foncier, n’est-ce pas l’action de la banque des territoires, qui doit investir un milliard d’euros entre 2023 et 2027 pour créer 50 sites « clés en main » pré-aménagés, en dépolluant des friches industrielles qui sera la plus efficace ?

Pour les grands projets, en revanche, la France déroule le tapis rouge procédural pour les « gigafactory ».

Enfin, nous n’avons pas pu évoquer toutes les mesures de ce texte mais il faut mentionner une disposition très intéressante, résultant d’un amendement déposé par le Groupe LR à l’Assemblée en première lecture pour inciter à la relocalisation des activités faiblement émettrices par le mécanisme des certificats d’économie d’énergie (CEE). L’article 24 de la loi prévoit la possibilité de délivrer des certificats d’énergies pour les opérations industrielles qui entraînent une baisse des émissions de gaz à effet de serre, notamment à la suite de relocalisations d’activités. Les conditions de délivrance de ces certificats d’économie d’énergie seront définies par décret. Nous constatons en effet que l’équilibre économique de nombreux projets industriels repose sur les subventions éventuelles, les aspects fiscaux et ces certificats d’économie d’énergie. C’est donc probablement un levier intéressant pour la relocalisation d’activités industrielles pour lesquelles le coût en carbone du transport pourra être allégé.


 

[1] Rapport de l’Inspection générale des finances, Stratégie nationale de mobilisation pour le foncier industriel, Juillet 2023.

[2] Article L. 512-21 et articles R. 512-76 à R. 512-81 du code de l’environnement.

[3] Rapport d’information sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives, 27 janvier 2021 (lien). 

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