BEFIT : la Commission européenne publie sa proposition de directive

15/09/23

eAlerte Fiscale

Annoncée dès mai 2021 par la Commission européenne dans sa communication sur la fiscalité du XXIème siècle, l’initiative BEFIT (pour « Business in Europe : Framework for Income Taxation » ou en français « Entreprises en Europe : Cadre pour l’Imposition des Revenus ») part du constat que la co-existence de 27 régimes fiscaux nationaux différents au sein de l’Union européenne constitue une contrainte et un coût pour les entreprises, décourageant les investissements transfrontières dans l'Union et désavantageant ainsi les entreprises européennes par rapport à leurs concurrents du reste du monde.

Objectifs et objet de la directive

Dans sa proposition de directive BEFIT publiée le 12 septembre 2023, la Commission européenne propose un nouvel ensemble unique de règles pour déterminer la base d'imposition des grandes entreprises, principalement celles qui exercent leurs activités dans plusieurs États membres avec pour objectif de réduire leurs coûts de conformité fiscale tout en permettant aux autorités fiscales de déterminer plus facilement les impôts dus par les entreprises. Comme l’a souligné la Commission, la proposition de directive s’appuie notamment sur l’accord fiscal international de l’OCDE sur le niveau minimum d’imposition et sur la directive européenne sur le Pilier 2.

En quelques mots, le projet BEFIT s’articule autour de trois principes :

1.    la mise en place de règles communes pour calculer la base d'imposition : toutes les sociétés membres d'un même groupe BEFIT calculeront leur base imposable conformément à un ensemble commun de règles à partir de leurs états financiers ;

2.    l'agrégation de l'assiette imposable au niveau du groupe BEFIT : les assiettes fiscales de tous les membres du groupe seront regroupées en une seule assiette imposable, ce qui impliquera notamment une compensation transfrontière des pertes. Au passage ce mécanisme assurera une plus grande sécurité fiscale en matière de prix de transfert ;

3.    l’allocation de l’assiette imposable agrégée entre les membres du groupe BEFIT : dans le cadre d’une période transitoire qui devrait durer jusqu’en 2035 la répartition de l’assiette imposable s’opérera entre les membres du groupe sur la base de la moyenne des résultats imposables des trois exercices précédents.

On notera que la Commission européenne a également publié le même jour une proposition de directive sur la fixation des prix de transfert. 

Nous présentons ci-après les principales caractéristiques du dispositif BEFIT proposé par la Commission.

Champ d’application

Les règles prévues par la proposition de directive s’appliqueront obligatoirement aux sociétés et entités membres d’un groupe BEFIT. Sont visés à ce titre les sociétés résidentes fiscales d’un État membre, leurs établissements stables situés dans l’Union, et les établissements stables européens de sociétés résidentes d’un État tiers remplissant les conditions suivantes :

  • ils appartiennent à un groupe national ou multinational dont les états financiers sont consolidés, ayant dégagé un chiffre d’affaires total cumulé d’au moins 750 millions d’euros au cours d’au moins deux de ses quatre derniers exercices fiscaux ;
  • la société est soit l’entité mère ultime, soit une société dont cette dernière détient, directement ou indirectement, au moins 75 % des droits de propriété ou des droits à percevoir des bénéfices ;
  • lorsque l’entité mère ultime du groupe est située dans un État tiers, le chiffre d’affaires cumulé du groupe au sein de l’Union européenne excède soit 5 % du chiffre d’affaires cumulé du groupe, soit 50 millions d’euros au cours d’au moins deux des quatre derniers exercices fiscaux.

Les sociétés et établissements stables appartenant à un groupe national ou multinational dont les états financiers sont consolidés qui ne remplit pas la condition tenant au seuil de chiffre d’affaires total cumulé d’au moins 750 millions d’euros pourront sur option appliquer les règles prévues par la proposition de directive.

Fonctionnement du dispositif

La proposition de directive vise à instaurer des règles communes de calcul de la base d’imposition au niveau de chaque entité du groupe BEFIT, les assiettes de chaque membre du groupe étant ensuite agrégées en une seule assiette imposable. L’assiette imposable agrégée doit ensuite faire l’objet d’une répartition aux États membres selon des règles spécifiques.

Détermination du résultat « préliminaire »

Le point de départ de la détermination du résultat préliminaire est le résultat net comptable tel qu’il figure dans les comptes consolidés, qui doivent être tenus selon une norme comptable unique pour tous les membres du groupe BEFIT. La norme utilisée, qui doit correspondre à l'un des standards applicables et reconnus dans l’UE (GAAP nationaux ou IFRS), est celle de l’entité mère ultime ou, si le groupe a son siège en dehors de l'UE, celle de l'entité déclarante.

Un certain nombre de retraitements doivent être opérés comme par exemple :

  • Déduction de 95% du montant des dividendes perçus et des plus ou moins-values sur actions ou parts sociales, en cas de détention supérieure à un an de plus de 10% des bénéfices, du capital, des réserves ou des droits de vote sauf exceptions (trading ou assurance-vie), ainsi que les gains ou pertes de réévaluation de ces mêmes titres (articles 8 à 11 et article 14) ;
  • Exclusion du résultat de l’entité membre du groupe BEFIT des bénéfices ou pertes de ses établissements stables (article 12) ;
  • Réintégration des surcoûts d’emprunt au sens de la directive ATAD 1 dès lors qu’ils sont payés à des tiers au groupe BEFIT (article 13) ;
  • Réintégration des amendes, pénalités et paiements illégaux tels que les pots-de-vin (article 16) ;
  • Application de règles spécifiques en matière d’amortissement (comme par exemple la possibilité d’amortir le goodwill dans certaines conditions), ou encore visant à prévenir certains abus, relatives à des questions de timing et d’évaluation (notamment en ce qui concerne les provisions, les stocks et les travaux en cours, les produits et les coûts des contrats à long terme, le traitement des instruments de couverture).

Si les transactions (y compris entre les membres du groupe BEFIT et au moins jusqu’au terme de la période de transition) devront respecter le principe de pleine concurrence, la proposition de directive prévoit la mise en place par les États membres d’approches par les risques qui varient selon que les transactions ont lieu entre membres du groupe BEFIT ou, pour certains types de transaction, entre un membre de ce groupe et un non-membre.  

Des règles spécifiques prévoient les modalités et incidences de la sortie ou de l’entrée d’une entité dans le groupe BEFIT et des restructurations.

Détermination de « l’assiette imposable BEFIT »

Une fois le résultat fiscal préliminaire déterminé au niveau de chaque entité du groupe BEFIT, ces résultats (positifs et négatifs) sont agrégés et constituent l’assiette imposable BEFIT, étant précisé qu’en présence d’un résultat global déficitaire, celui-ci peut être reporté en avant.

Allocation de l’assiette imposable entre les entités membres du groupe BEFIT

La proposition de directive ne prévoit à ce stade qu’une règle d’allocation de la base fiscale dite « transitoire » et applicable au plus tard jusqu’en 2035. À l’issue de cette période une méthode de répartition permanente devrait être mise en place qui pourrait être basée sur d’autres critères que ceux initialement retenus (valeur des actifs de la société notamment). 

Dans le cadre de l’allocation transitoire chaque membre du groupe BEFIT disposera d'un pourcentage de l'assiette imposable agrégée calculé sur la base de la moyenne des résultats imposables des trois exercices précédents (des modalités spécifiques de détermination de cette moyenne sont prévues pour les trois premières années d’application du régime BEFIT à un groupe).

Ce pourcentage sera déterminé selon la formule d’allocation :

Cette clé de répartition permettra aussi d’allouer le montant déterminé selon des règles spécifiques des crédits d’impôt contrepartie de retenues à la source, étant précisé qu’au sein de l’UE, aucune retenue à la source ne peut être prélevée sur des transactions intragroupe lorsque le bénéficiaire effectif est un membre du groupe BEFIT.

Les États membres pourront, sur la base imposable qui leur est allouée, procéder à certains ajustements avant d’appliquer leur taux national d’imposition.

Calendrier 

La proposition de directive prévoit un délai de transposition par les États membres au 1er janvier 2028 pour une entrée en vigueur du nouveau mécanisme BEFIT à compter du 1er juillet 2028.

Premiers regards

Si l’idée d’un cadre commun d’imposition des sociétés naît dès le début des années 1960 au sein de la Communauté économique européenne d’alors, il faudra attendre 2011 pour qu’elle se matérialise juridiquement sous la forme de la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ou ACCIS). Trop ambitieux pour l’époque, puisqu’il s’agissait d’uniformiser la définition de l’assiette imposable sur le continent européen, d’assurer leur consolidation aux bornes des groupes puis de répartir cette base taxable globale entre États membres, il ne rencontra pas le succès escompté. Malgré tout, la Commission européenne relança ce projet titanesque en 2016 en le scindant cette fois-ci en deux étapes : s’arrêter sur une assiette commune puis la consolider. Ce fût derechef un échec.

À la faveur de l’adoption par les États membres de la directive GloBE, qui repose sur la définition d’une base taxable commune aux fins de calcul d’un taux effectif d’imposition par juridiction en vue du prélèvement d’un impôt complémentaire le cas échéant, Bruxelles ressuscite ce dossier comme elle l’avait annoncée en 2021.

Si les règles BEFIT empruntent largement aux règles GloBE, les divergences sont à ce jour légions entre les deux systèmes et l’on peut en fournir plusieurs exemples.

S’agissant du périmètre, la qualité de membre d’un groupe BEFIT est réservée aux entités détenues à au moins 75 % par l’entité mère ultime qui la consolide par intégration globale (alors que ce seuil n’existe pas sous GloBE qui, en outre, englobe en son sein les entités consolidées par mise en équivalence détenues à au moins 50 %), les entités localement transparentes sont exclues du dispositif BEFIT.

S’agissant du point de départ du calcul du résultat fiscal préliminaire du BEFIT il diverge par exemple, dans l’hypothèse où l’entité mère ultime a sa résidence fiscale hors de l’Union puisqu'il convient alors de partir du résultat net comptable déterminé conformément aux GAAP de l’État membre de résidence fiscale de l’entité déclarante du groupe BEFIT (ou aux IFRS si elles y sont en vigueur). Sous GloBE, s'agissant d'un groupe américain, la norme comptable serait les US GAAP. Cette différence est susceptible d’engendrer pour un groupe étranger des calculs et partant des coûts supplémentaires.

Enfin, si les grandes familles de retraitements du résultat net comptable prévus sous GloBE se retrouvent sous BEFIT, ce second système comprend de nombreux ajustements inconnus au premier – déjà connus en revanche des fiscalistes ayant travaillé sur l’ACCIS (e.g. les règles relatives aux provisions, amortissements ou déduction pour renouvellement des immobilisations) ou d'autres directives. Ces différentes inspirations donnent parfois de curieux résultats. Le cas des dividendes exclus en est une illustration : BEFIT exclut 95 % (comme sous la directive mère-fille le cas échéant ; 100 % sous GloBE en revanche) des dividendes attachés aux participations d’au moins 10 % détenus par la société mère (à l’image de la directive mère-fille ; en revanche, apprécié aux bornes du groupe d’entreprises multinationales sous GloBE) pendant au moins un an à la date de la distribution (à l’instar de GloBE ; en revanche, en décalage avec la directive mère-fille).

Si l’on ajoute à cela que les États membres sont libres de procéder, à leur discrétion, à des ajustements complémentaires de la part de base taxable BEFIT allouée aux entités localisées sur leur territoire (e.g. déduire en tout ou partie des redevances de propriété intellectuelle), la simplification n’est peut-être pas à la hauteur des espérances.

Les apports de BEFIT pour les contribuables siègent probablement moins dans la perspective d’une réduction des coûts de conformité fiscale que les avantages fiscaux qui y sont prévus tels que la suppression des retenues à la source sur les flux internes au groupe BEFIT, une sécurisation accrue des prix de transfert et surtout l’agrégation des résultats entre les 27 États membres permettant de compenser des pertes et bénéfices de juridictions distinctes. L’on peut se demander si des réflexions approfondies ont eu lieu sur l’incidence que pourrait avoir ce nouveau résultat agrégé et surtout son allocation par le biais de la clé de répartition explicitée ci-dessus sur le taux effectif d'imposition calculé selon les modalités de la directive GloBE...


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