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De la rémunération positive des dépôts à vue intragroupe… en période de taux négatifs !

L’arrêt SAP, ou de la rémunération positive des dépôts à vue intragroupe… en période de taux négatifs !
  • Publication
  • 09 avr. 2024

La juste rémunération des placements à vue intragroupe par une société disposant de trésorerie excédentaire auprès d’une société liée disposée à rémunérer ces dépôts, le plus souvent dans le cadre d'opérations de centrale de trésorerie, fait l’objet de toutes les attentions des services de vérification.

Ainsi, la société SAP France s'est-elle vue redressée en raison de l'absence d'intérêts reçus au titre de sommes mises à disposition de sa grand-mère allemande en 2012 et 2013, dans le cadre d'une convention de gestion de trésorerie. « [E]u égard aux taux de marché constatés [devenus négatifs] », la société avait pourtant bénéficié d'un taux plancher à 0 % venant se substituer au taux interbancaire EONIA minoré de 0,15 % prévu par la convention. Nonobstant ce caractère mieux-disant, l'administration a qualifié l'absence d'intérêts d'acte anormal de gestion et de transfert de bénéfices, et rectifié les résultats de la requérante à hauteur d'une statistique de taux de rémunération de dépôts à vue tiré d’un observatoire de la Banque de France, et variant entre 0,15 et 0,18 % sur la période en cause.

Ayant à connaître in fine de ce redressement, le Conseil d’Etat a opposé aux juges du fond la nécessité de procéder à un examen in concreto de l’intérêt des parties, prenant en compte l’intégralité des circonstances de la transaction. Plus précisément, la Haute Assemblée a annulé pour erreur de droit l’arrêt d’appel jugeant comme dépourvu d'incidence le fait que le taux résultait de stipulations contractuelles négociées entre parties, qu’elles avaient au demeurant fait le choix de limiter à un résultat non négatif en cours d'exécution, sans rechercher si la déposante avait agi conformément à son intérêt en la concluant en ces termes, ni quelles étaient les obligations qui en découlaient pour elle au cours des années en litige (CE, 8e et 3e ss-sect., 20 sept. 2022, n° 461639, SAP).

Par un arrêt en date du 28 mars 2024, la Cour de Versailles (3ème chambre, n°22VE02242) a ainsi eu à connaître à nouveau, en renvoi, du redressement. L’intérêt de cet arrêt tient au fait qu’après avoir écarté tout intérêt opérationnel notable à privilégier un placement des excédents auprès de la centrale de trésorerie, le juge d’appel relève l’absence d'obligation contractuelle pour la requérante à rester dans la centrale de trésorerie au-delà d'un délai d'un mois, et que le taux de rémunération des avances, qui résulte des termes de la convention, n'est pas figé, les parties pouvant convenir d'un taux différent, ainsi qu'elles l'ont fait en 2012. Surtout, le juge relève que la requérante ne critique pas sérieusement (la requérante « qui ne propose au demeurant aucun autre comparable, ne critique pas sérieusement les taux retenus par l'administration ») la statistique bancaire retenue par l'administration. L’ensemble de ces éléments fondent la réintégration dans les résultats de SAP France de l'avantage consenti à sa grand-mère.

L’intérêt de l’arrêt tient moins à la latitude de renégociation reconnue aux parties, que dans l’acceptation tacite des comparables bancaires du service de vérification.

Il est en effet permis de douter de la pertinence de ces comparables qui correspondent aux taux de rémunération annuelle des dépôts à vue publiés par la Banque de France[1] en 2012 et 2013. Dans sa documentation méthodologique applicable pour l’époque[2] la Banque de France précise que ces taux s'appliquent aux dépôts des sociétés non financières, ce qui semble correspondre à la situation de la requérante, mais également aux dépôts des ménages, des intermédiaires financiers non bancaires et des sociétés d'assurance. En outre, les taux en cause incluent non seulement les comptes ordinaires créditeurs des sociétés de l'échantillon, mais également les dépôts de garantie, comptes d'affacturage disponibles et autres sommes dues. Cette diversité de profils de déposants et de postes comptables ne permet pas en première analyse de s'assurer d'une comparabilité de ces données à la transaction intragroupe.

Surtout, sur le fond, l’admission de ces comparables conduit à une incertitude fiscale notable sur les années où ils présentent un rendement supérieur aux rendements de SICAV monétaires, considérés explicitement comme comparables pour ces transactions depuis plusieurs années par le juge de l’impôt. En effet, à compter de 2009, tant la Haute Assemblée (CE, 10e et 9e ss-sect., 31 juil. 2009, n° 301935, SARL Jean-Marc Brocard) que les juges du fond (CAA Versailles, 3e ch., 9 févr. 2016, n° 15VE00394, min. c/ SNC Rhodia Participations), mettent en avant de manière constante, comme comparables pour des dépôts à vue, les « Sicav monétaires ou aux parts de fonds communs de placements monétaires auxquelles recourent les entreprises pour placer des fonds susceptibles d’être immédiatement disponibles, les titres acquis pouvant être vendus à tout moment sans frais ».

On ne peut que recommander, le cas échéant, de s’assurer que ses taux de dépôt intragroupe sont, dans l’attente de nouveaux développements ou éclaircissements, cohérents avec ces données bancaires.


[1] http://webstat.banque-france.fr/fr/#/node/5385836.

[2] Méthode Taux de rémunération des dépôts bancaires, 26 juill. 2017, www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2017/08/25/m17-xxx_methode_taux_remuneration_depots_fr.pdf.

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Fabien Fontaine

Fabien Fontaine

Associé, PwC Société d'Avocats

Louis  Brun d'Arre

Louis Brun d'Arre

Avocat, Senior Manager, PwC Société d'Avocats

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