Deux décisions principales intéressent compte tenu de la récurrence des rehaussements de l’administration fiscale sur le sujet : (i) la soumission à la TVA des honoraires non-rétrocédés par une société d’exercice à un médecin remplaçant et la notion de remplacement occasionnel et (ii) l’impossibilité d’assimiler un biologiste associé (codirigeant) à un salarié pour les besoins de la taxe sur les salaires, excluant ainsi sa rémunération de la base taxable.
De même, et de façon moins novatrice, d’autres décisions sont venues préciser le champ d’application de l’exonération de TVA sur les activités médicales, s’agissant (i) de la chirurgie esthétique et (ii) des avis médicaux préalables rendus par un expert judiciaire ou par un psychologue pour les besoins du certificat d’aptitude au permis de conduire.
A propos de CAA Paris, 28 juin 2024, n°23PA00101, SELARL Imagerie 114
Pour rappel, l’article 261, 4, 1° du CGI prévoit l’application d’une exonération de TVA aux soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées.
Par ailleurs, la doctrine administrative (reprenant la jurisprudence du Conseil d’Etat) prévoit que “quelle que soit leur qualification (loyers, redevances, etc.) et quelle que soit la nature du service dont elles constituent la contrepartie (mise à disposition de locaux, de personnel, de matériel, comptabilisation des honoraires, etc.), les sommes versées à ces établissements par les praticiens et auxiliaires médicaux qui y exercent leur activité à titre libéral sont soumises à la TVA dans les conditions de droit commun” (BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-70 §210).
Ainsi, il est clair et non contesté aujourd’hui que les redevances dites de “cliniques ouvertes”, à savoir la rémunération perçue par un laboratoire au titre de la mise à disposition de ses locaux (et non au titre des soins médicaux versés aux médecins qui eux conservent le bénéfice de l’exonération) à un médecin dispensant des soins à sa propre patientèle (et non à celle du laboratoire ou d'un autre médecin, subtilité ayant son importance), est soumise à la TVA de plein droit au taux standard (CE, 31 décembre 2008, n°306091, Iridis Nord).
Mais qu’en est-il des sommes appréhendées par un laboratoire dans le cas où les soins sont prodigués par un médecin externe, non pas à sa propre patientèle, mais à celle d’un médecin du laboratoire ?
Dans ce cas, il est admis que pour les médecins remplaçants, la redevance pour clinique ouverte (rémunérant la mise à disposition de locaux par le laboratoire, l’exonération des prestations de soins étant toujours acquise) ne soit pas taxable si le remplacement revêt un caractère occasionnel. A ce jour, la doctrine administrative ne propose malheureusement pas de définition du caractère occasionnel, et indique uniquement que l’origine du remplacement est indifférente : maladie, congé, formation postuniversitaire, exercice d'un mandat électif auprès d'une organisation professionnelle.
Sur la définition du caractère occasionnel du remplacement, il convient dès lors de se tourner vers les illustrations jurisprudentielles.
C’est pourquoi la solution commentée ici revêt une grande importance. En effet, en l’absence de définition claire, les laboratoires ont tendance à considérer comme “occasionnel” tout remplacement de médecin quelqu'en soit la raison, là où l’administration a tendance à vouloir l’encadrer dans un critère non-récurrence, voire de durée.
La Cour Administrative d’Appel a ici confirmé que certains contrats de remplacement présentés ne couvraient pas des besoins temporaires ou occasionnels, dès lors qu'ils étaient " établis sur une longue période, pour des remplacements d'une ou plusieurs demi-journées par semaine pendant plusieurs mois d'affilée " - à savoir 31,5 mois sur 3 ans et 13,5 mois sur 15 mois d’après les faits présentés devant le Tribunal Administratif de Paris, dont le jugement est attaqué ici (TA Paris, 8 novembre 2022, n°2014135).
Cette décision présente l’intérêt d’étayer les critères peu nombreux déjà relevés par de rares jurisprudences. A ce titre, même s’il semble que la durée soit un élément pris en compte, ce critère ne semble pas décisif mais doit être considéré avec les circonstances du remplacement - à l’instar de la grille de lecture retenue par le passé par la Cour Administrative d’Appel de Nancy (CAA Nancy, 27 décembre 2016, n°15NC02525), qui avait confirmé qu’un remplacement mis en place suite à un congé maternité suivi d'un congé parental peut revêtir un caractère occasionnel, quand bien même ce remplacement se serait étendu sur deux années quasi-complètes. Ainsi, le montant de l'honoraire non rétrocédé au médecin remplaçant n'a en l’espèce pas été soumis à la TVA.
Les conditions de remplacement médical doivent dès lors être documentées par les laboratoires faisant appel à des médecins extérieurs. En particulier, les raisons et les circonstances du remplacement doivent être spécifiquement explicitées. Si des laboratoires devaient ainsi soumettre une partie de leur chiffre d’affaires à la TVA, ils pourraient alors en tirer les conséquences en matière de droit à déduction de la TVA dont ils pourraient naturellement bénéficier, ainsi qu’en matière de taxe sur les salaires dont le rapport d’assujettissement serait symétriquement diminué.
A propos de CAA Douai, 13 juin 2024, n°23DA00529, SALAFA Biocéane
Pour rappel, la taxe sur les salaires (“TS”) est applicable aux employeurs (i) dont le chiffre d’affaires généré en année civile n-1 a été soumis à la TVA à moins de 90 % (ii) ou s’ils ne sont pas assujettis à la TVA en année civile n (CGI, art. 231). Cette taxe est assise sur les rémunérations (salaires et sommes de nature équivalente) versées aux employés de la société concernée, et fait l’objet d’une progressivité par tranche de rémunération versée à chaque employé considéré, pour un taux moyen d’environ 13 %.
Cette taxe est pleinement applicable aux sociétés d’exercice médical dont les activités sont, pour la majorité, exonérées de TVA. La base d’imposition de cette taxe, quant à elle, nourrit depuis plusieurs décennies de houleux débats.
En effet, si l’application de la taxe sur les salaires ne pose guère de difficultés pour les professionnels exerçant sous un statut de salarié (biologiste salarié), la question se pose dans des termes plus délicats s’agissant des biologistes non-salariés, notamment les associés dirigeants.
Par principe, l’assiette de la TS est identique à celle applicable en matière de contribution sociale généralisée (« CSG »), sauf exclusions spécifiques prévues par le CGI (principe de l’unicité d’assiette, v. BOI-TPS-TS-20-10 §10). Ainsi, sont incluses dans l’assiette de la TS toutes les sommes considérées comme des rémunérations au sens du droit social (BOI-TPS-TS-20-10 §20), c’est-à-dire, en application de l’article L.136-1-1 du Code de la sécurité sociale (« CSS »), toutes les sommes et avantages dus en contrepartie ou à l’occasion d’un travail, d’une activité ou de l’exercice d’un mandat ou d’une fonction élective (BOI-TPS-TS-20-10 §30).
Il convient donc, pour déterminer l’assujettissement de la rémunération d’une personne à la taxe sur les salaires, de renvoyer à son statut en matière de sécurité sociale. A ce titre, s’agissant des dirigeants de sociétés, l’administration fiscale (BOI-TPS-TS-20-10 §40) renvoie aux rémunérations versées aux dirigeants de sociétés désignés à l’article 80 ter du CGI et visés par l’article L.311-3 du CSS. En application de ces dispositions, certains dirigeants sont assimilés à des salariés à raison de leur mandat social, notamment (i) les gérants de SARL et SELARL (pour autant que les gérants ne détiennent pas ensemble la moitié du capital social), (ii) les présidents du conseil d’administration, directeurs généraux (et délégués) de SA et SELAFA et (iii) les présidents et dirigeants des SAS et SELAS (art. L.311-3, 11°, 12° et 23° du CSS).
Or, la pratique des laboratoires en matière de rémunération des dirigeants associés fait l'objet de tentatives régulières de rehaussements de la part de l’administration fiscale. En effet, il est usuel pour les laboratoires de scinder la rémunération de leurs associés praticiens en, d’une part, une rémunération au titre du mandat social (fonction de dirigeant) et d’autre part, une rémunération au titre de l’exercice de l’activité libérale (fonction de biologiste). Les statuts constitutifs prévoient à ce titre une rémunération nulle au titre du mandat social, et que les seules rémunérations perçues par le biologiste associé seront celles à raison de ses “fonctions techniques”, i.e. son activité de biologiste libéral.
Cette méthode de rémunération aboutit en principe à l’exclusion de la base d’imposition à la taxe sur les salaires de la rémunération perçue par les biologistes associés à raison de leur activité libérale, non salariée.
Mais l’administration fiscale tente de remettre en cause cette pratique en assimilant les associés à des salariés des sociétés d’exercice pour les besoins de la TS. C’est précisément l’objet de l’arrêt commenté. L'administration tire notamment cette position des statuts, en considérant que les modalités d’exercice de l’activité médicale sont telles qu’elles traduisent en réalité un lien de subordination entre les biologistes associés et la société d’exercice. Les rémunérations liées aux fonctions techniques seraient dès lors considérées comme des salaires pour les besoins de la TS.
La CAA de Douai semble mettre un coup d’arrêt à cette analyse de l’administration fiscale en rejetant la requalification d’un biologiste associé en salarié pour les besoins de la taxe sur les salaires.
Elle rappelle à titre préalable que l’activité salariée suppose “l'existence d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné”. Nous noterons que cette notion avait été centrale dans le raisonnement adopté par le Conseil d’Etat pour conclure que même en l’absence d’un lien de subordination, un dirigeant de société pouvait voir sa rémunération entrer dans la base d’imposition à la taxe sur les salaires (CE, 21 janvier 2016, n°388676, SAS Sovaro et CE, 21 janvier 2016, n°388989, Sté Juliane).
Or, selon la CAA de Douai, un tel lien de subordination ne saurait exister entre une société d’exercice (au cas d’espèce, une SELAFA), et un biologiste associé (dit “coresponsable”) dès lors que :
Par suite, le biologiste associé coresponsable d’un laboratoire ne saurait être considéré comme salarié dudit laboratoire, de sorte que la rémunération qu’il perçoit au titre de ses fonctions techniques échappe à la taxe sur les salaires.
Cette décision apporte une confirmation bienvenue pour les sociétés d’exercice libéral d’activités médicales exonérées en ce qu’elle devrait permettre de tempérer les velléités de l’administration fiscale de soumission à la taxe sur les salaires des rémunérations versées à un biologiste associé coresponsable. Elle constitue un argument complémentaire à l’appui de discussions en cours avec l’administration fiscale.
Il convient malgré tout de prêter une attention particulière à la rédaction des statuts, et notamment à la répartition de la rémunération des biologistes associés/mandataires sociaux, qui doit faire l’objet d’une documentation précise.
A propos de CE, 31 mai 2024, n°476051, SELARL A.
L’article 261, 4, 1° du CGI (qui transpose l’article 132 de la Directive TVA) prévoit l’exonération de TVA pour les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées. En matière de chirurgie esthétique, la CJUE réserve l’application de ce principe aux actes de chirurgie esthétique dispensés dans le but de diagnostiquer, de soigner ou de guérir des personnes nécessitant une telle intervention (CJUE, 21 mars 2013, C-91/12, PFC Clinic).
En France, l’exonération des actes médicaux est notamment subordonnée à la prise en charge totale ou partielle de l’acte, ce qui résulte notamment de son inscription sur la liste des produits et prestations (LPP) de la sécurité sociale, listant les prestations bénéficiant d’une prise en charge par cet organisme.
Néanmoins, en matière de chirurgie esthétique, la seule inscription d'un acte sur la LPP n'implique pas une exonération de TVA automatique de l'acte considéré dès lors que la chirurgie esthétique fait l’objet, au même titre que la chirurgie réparatrice, d’une inscription automatique sur la LPP. Pour les actes de chirurgie esthétique, le remboursement est subordonné à l’accord préalable délivré au cas par cas par l'assurance maladie.
A défaut d’un tel accord préalable, l’acte ne peut faire l’objet d’un remboursement. Par conséquent, l’acte ne bénéficie pas de l’exonération de TVA. Cette position est déjà prévue par la doctrine administrative (BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10 §40 et 45), et fait l’objet d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat (CE, n.a., 7 avril 2022, n°458207, SAS Chantereau P&M ; CE, n.a., 20 février 2023, n°463029, M. A. B. ; CE, n.a., 6 mars 2024, n° 483466, Sté Docteur B A…).
A propos de CAA Toulouse, 23 mai 2024, n°22TL20241, M. F. A. et CAA Versailles, 7 mai 2024, n°22VE00992, M. A. B.
La Cour de Justice de l’Union européenne a jugé que si une prestation médicale est effectuée dans un contexte permettant d'établir que sa finalité principale n'est pas la protection (y compris le maintien ou le rétablissement) de la santé mais plutôt la fourniture d'un avis exigé préalablement à l'adoption d'une décision produisant des effets juridiques, l'exonération de TVA ne s'applique pas.
Ce raisonnement a notamment conduit la CJUE à soumettre à la TVA les prestations d'expertises médicales mandatées par les juridictions ou les compagnies d'assurance dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de soigner, mais constituent uniquement un préalable à l’adoption d’un acte produisant des effets juridiques (la détermination de l’étendue d’un dommage physique pour la détermination de la durée d’une ITT, le calcul du montant d’une indemnité… - CJCE, 20 novembre 2003, C-212/01, Margarete Unterpertinger ; C-307/01, Peter d'Ambrumenil et Dispute Resolution Services Ltd). Ces raisonnements sont déjà appliqués par l’administration fiscale qui exclut de l’exonération tous les actes rendus par des médecins (ou assimilés) mais à visée non thérapeutique (BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10 §80).
Ainsi, dans les deux affaires citées :
Ces décisions rappellent ainsi que l’exonération de TVA applicable aux praticiens du secteur médical ne s’applique qu’à raison de leurs seules activités à visée thérapeutique (diagnostic, prévention, soin), et non pas à toutes leurs activités, quand bien même elles auraient une nature médicale.