Aux termes de l'article 244 quater B II b) du code général des impôts, les dépenses de personnel afférentes à des personnes titulaires d'un doctorat, au sens de l'article L. 612-7 du code de l'éducation, ou d'un diplôme équivalent, sont prises en compte pour le double de leur montant pendant les vingt-quatre premiers mois suivant leur premier recrutement en CDI pour le calcul du Crédit d’Impôt Recherche (“CIR”), sous réserve que l'effectif du personnel de recherche salarié de l'entreprise ne soit pas inférieur à celui de l'année précédente.
Selon l’administration fiscale (BOI-BIC-RICI-10-10-20-20 du 13 juillet 2021, n° 220), dans le cas où le jeune docteur fait l’objet d’une première embauche en CDI par l’entreprise avant l’obtention de son doctorat et par tolérance, les dépenses de personnel y afférentes peuvent être doublées pour le calcul du CIR (i) à compter de la date à laquelle a été signé un avenant au CDI initial reconnaissant la qualité de jeune docteur suite à l’obtention du doctorat (ii) ou à compter de la date prévue dans une clause du CDI initial qui détermine la reconnaissance de la qualité de jeune docteur suite à l’obtention du doctorat.
Par une décision du 31 mai 2023, la Cour Administrative d’Appel (“CAA”) de Paris, confirmant la position de l’administration fiscale, a jugé que le doublement des dépenses de personnel n’est pas applicable lorsque le jeune docteur a été embauché en CDI avant l’obtention de son doctorat à défaut d’avenant ou de nouveau contrat de travail constatant sa qualité de docteur signé après la date de soutenance de la thèse. Selon la Cour, le salarié ne pouvait être vu comme ayant bénéficié d’un premier CDI en tant que jeune docteur dans la mesure où la signature du contrat de travail était intervenue à une date à laquelle il ne disposait pas de cette qualité (CAA Paris, 31 mai 2023, N° 22PA02557, Société : Awalee Consulting). Au cas d'espèce un des salariés concernés avait été embauché le 28 novembre 2016 alors que sa soutenance de thèse avait eu lieu onze jours plus tard soit le 9 décembre 2016.
Le Conseil d’Etat casse la décision de la CAA de Paris et refuse de souscrire à l’interprétation rigoriste retenue par les juges d’appel (Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 31 mai 2024, n°476354, Awalee Consulting).
On rappelle en effet, que la volonté du législateur était de favoriser l’embauche des jeunes docteurs. Or, il existe un délai administratif entre la date de finalisation de la thèse et la date de soutenance, condition sine qua none pour l’obtention du grade de docteur au sens des dispositions du code de l‘éducation précitées. Ainsi, la position de la CAA de Paris conduisait à introduire une condition de temporisation somme toute artificielle empêchant l’embauche en CDI du jeune chercheur en attente de sa soutenance, ce qui irait à l’encontre de l’esprit du dispositif.
Revenant à une lecture conforme à l’esprit du texte, éclairée par les conclusions de son rapporteur public Romain Victor, la Haute Cour retient une analyse littérale des critères liés à la première embauche en relevant que si le texte exige une première embauche en CDI, il ne prévoit pas que le salarié soit titulaire d’un doctorat au moment de cette embauche.
En conséquence, dans la situation où le salarié obtient le titre de docteur à une date postérieure à sa première embauche en CDI, c’est la date d’obtention de ce titre qui doit être retenue comme point de départ du doublement des dépenses, le point d’arrivée restant fixé vingt-quatre mois après la date de première embauche en CDI, ce qui réduit de facto la période de doublement des dépenses de personnel. Le point de départ du calcul du délai maximal de vingt-quatre mois et le point d’arrivée sont ainsi invariables. Au cas d'espèce, pour le salarié embauché le 28 novembre 2016 mais officiellement diplômé le 9 décembre l'entreprise peut donc bénéficier de l'avantage à partir de cette dernière date et jusqu'au 27 novembre 2018.
Pour les dépenses de jeunes docteurs relatives aux CIR déjà déclarées, la doctrine administrative précitée, plus favorable que la décision du Conseil d’Etat, dans l'hypothèse où un avenant au CDI initial reconnaissant la qualité de jeune docteur suite à l’obtention du doctorat a été signé ou dans le cas où une clause du CDI initial détermine la reconnaissance de la qualité de jeune docteur suite à l’obtention du doctorat, est opposable en application de l’article L80 A du Livre des Procédure Fiscales, permet de sécuriser une période de doublement des dépenses de vingt-quatre mois à compter de la date de l’avenant ou à compter de la date prévue dans une clause du CDI initial.
Pour les dépenses de CIR non encore déclarées (i.e. à compter de l’année 2024), il conviendra en revanche de calculer la période de doublement des dépenses en tenant compte de la décision du Conseil d’Etat, c’est à dire en retenant comme point de départ la date d’obtention du doctorat et comme point d’arrivée l’expiration du vingt-quatrième mois suivant la date de la première embauche en CDI (et non la date de l’avenant ou celle prévue par une clause du contrat initial). Il restera toutefois possible de se prévaloir de la doctrine administrative plus favorable dans certaines hypothèses (voir ci-dessus) si celle-ci n’est pas rapportée avant la date limite de dépôt de la déclaration du CIR.
Enfin, comme rappelé à juste titre par le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire, cette décision n’interdit pas aux entreprises d’embaucher les jeunes chercheurs en CDD pour la période antérieure à l’obtention du grade de docteur puis de convertir le CDD en CDI, ce qui permet alors de bénéficier d’une période de doublement des dépenses de vingt-quatre mois à compter de la date de reconnaissance de cette qualité de docteur, puisque celle-ci sera concomitante à la date de première embauche en CDI.
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