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Qualification des titres émis lors de la recapitalisation d’une filiale avant dissolution

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  • Publication
  • 13 juin 2024

Saisi d’un pourvoi à l’encontre de la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Paris dans une décision du 23 novembre 2022, le Conseil d’État confirme que les titres émis à l’occasion d’une recapitalisation doivent recevoir la même qualification de titres de participation que ceux émis initialement dans l’hypothèse particulière où cette opération est suivie à court terme de la dissolution de la société avec transmission universelle de son patrimoine à sa mère. 

Les faits soumis au Conseil d’État étaient les suivants : une société procède à la recapitalisation de deux de ses filiales dont elle est l’unique actionnaire, puis moins de deux ans plus tard, procède à l’absorption de la première et à la dissolution de la seconde, ces opérations donnant lieu à la transmission du patrimoine des filiales à leur mère.

Ces opérations ont généré des moins-values que la société a qualifiées de moins-values à court terme, qu’elle a déduites de son résultat imposable.

À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause cette déduction sur le fondement des dispositions de l’article 39 quaterdecies, 2 bis, introduites par la loi de finances rectificative pour 2012 (L. n° 2012-958, 16 août 2012, art. 18), qui visent à encadrer les règles de déduction des moins-values réalisées à l’occasion de la recapitalisation d’une filiale en difficulté en cas de cession, moins de deux ans après leur émission, des titres de participation reçus en contrepartie de l’apport. Elle a en effet considéré que les titres en question étaient, contrairement à ce que soutenait la société, des titres de participation et que l’opération réalisée était bien constitutive d’une « cession » au sens de ces dispositions.

Dans sa décision du 11 juin 2024 n° 470721, mentionnée au recueil Lebon, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 23 novembre 2022 (n° 21PA05210) et rejette le pourvoi de la société.

  • Sur la notion de « cession » au sens de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI 

Le Conseil d’État juge que présente le caractère d’une cession au sens de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI l'annulation de titres détenus par une société à la suite d'une opération de restructuration entraînant la transmission universelle à son profit du patrimoine de la société dont les titres sont annulés.

Comme le relève la rapporteure publique dans ses conclusions rendues sous la présente décision, si la notion de « cession » est retenue dans son acception large et s’écarte ici de celle retenue en droit civil et commercial, c’est en raison du fait que le droit fiscal retrouve son autonomie « lorsque sa finalité le commande » et dans la mesure où l’on ne trouve pas dans la jurisprudence de la Cour de cassation de définition « gravée dans le marbre, claire et univoque ». 

Or, bien qu’il ne soit pas nécessaire, selon Céline Guibé, et contrairement à ce qu’avait estimé la rapporteure publique Marie Prévot dans ses conclusions sous l’arrêt de la CAA de Paris précité du 23 novembre 2022, d’aligner la notion de « cession » retenue pour l’application de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI sur celle retenue pour l’application de l’article 39 duodecies qui définit le champ d’application du régime de droit commun de l’imposition des plus ou moins-values des entreprises, une définition large de la notion assure le respect de l’intention du législateur d’assurer la neutralité fiscale du choix du mode de renflouement d’une filiale en difficulté tout en luttant contre l’utilisation optimisante des règles de déduction de droit commun des moins-values à court terme.

La formulation utilisée par le Conseil d’État est toutefois différente de celle retenue par la Cour administrative d’appel qui visait « les opérations de fusion ou de liquidation de sociétés (…) dès lors qu’elles se traduisent par un transfert de l’actif social de la société absorbée ou liquidée », afin de réserver le cas, peu fréquent selon la rapporteure publique, de moins-values constatées à l’issue de la liquidation d’une filiale dont le contribuable ne serait pas l’actionnaire unique.

  • Sur la qualification des titres reçus à la suite d’une augmentation de capital 

Après avoir rappelé que sur le plan comptable, les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle (CE, 22 juill. 2022, n° 449444, SA Areva), le Conseil d’État donne raison à l’administration et juge que : 

  • revêtent ce caractère les titres qu'une société mère souscrit dans le cadre de la recapitalisation de sa filiale suivie, à court terme, de la dissolution de celle-ci avec transmission universelle de son patrimoine (TUP) à sa mère, 
  • dès lors que cette opération conduit la société détentrice des titres à exercer un contrôle direct des actifs et des passifs de la société dont les titres ont été annulés.

La société soutenait au contraire que les nouveaux titres acquis lors de la recapitalisation de ses filiales constituaient, à la différence des titres acquis antérieurement, des titres de placement dès lors qu’ils avaient été acquis dans la perspective de la disparition prochaine de ses filiales.

Elle se prévalait ainsi de la transposition à la généralité des entreprises de la jurisprudence CASA concernant un établissement de crédit (CE, 8 nov. 2019, n° 422377) selon laquelle en cas de souscription à une augmentation de capital, les critères de qualification des titres s’apprécient à la date d’acquisition des nouveaux titres et ne suivent pas systématiquement la qualification de titres de participation retenue pour les titres initiaux.

Toutefois si la réglementation comptable sectorielle propre aux banques autorise expressément l’inscription simultanée des titres d’une même société dans des catégories comptables différentes, tel n’est pas le cas de la réglementation comptable générale, qui n’apporte aucune précision sur ce point (à l'exception des actions propres). Aussi, comme le souligne la rapporteure publique, la transposition défendue par la société n’était pas mécaniquement commandée, pas plus qu’elle n’était exclue, par la jurisprudence de 2019. 

Si l’administration a mentionné dans son Bofip la décision du 8 novembre 2019 à l’occasion d’une mise à jour de ses commentaires du 3 avril 2024 (BOI-BIC-PVMV-30-10 n° 98 modifié), la portée de cette nouvelle position doctrinale selon laquelle « la qualification comptable donnée aux titres nouvellement acquis n'est pas nécessairement conditionnée par celle attribuée lors d'une acquisition antérieure » n'est pas claire et pourrait être regardée comme étant cantonnée aux entreprises appartenant au secteur bancaire.

Compte tenu de la complexité de la question posée, la 9ème chambre du Conseil d’État a sollicité l’avis de l’Autorité des normes comptables (ANC) – comme cela avait été fait pour la décision CASA – sur la configuration spécifique du litige, à savoir la recapitalisation d’une filiale suivie de la transmission de son patrimoine à son actionnaire unique par voie de fusion ou de dissolution.

Il ressort des conclusions de Céline Guibé que l’ANC a estimé, dans l’hypothèse ici soumise au Conseil d’État, que la présomption de classement en titres de participation des nouveaux titres acquis, confirmée par le classement initial de ces titres, ne saurait être renversée par le fait que les filiales aient été absorbées ou liquidées moins de deux ans après puisque ces opérations montrent l’intention manifeste d’exercer une influence sur les sociétés émettrices ou d’en assurer le contrôle et que, par voie de fusion ou de liquidation, la société détentrice des titres exercera le contrôle direct des actifs et passifs des filiales. Selon l’ANC, les titres devaient donc recevoir la qualification de titres de participation. 

L’ANC aurait par ailleurs ajouté que les circonstances conduisaient à écarter toute autre qualification des titres au regard des catégories comptables définies par le règlement ANC n° 2014-03 (Plan comptable général) : le fait que les titres n’avaient manifestement pas été acquis en vue de réaliser un gain à brève échéance conduisait à écarter la qualification de valeurs mobilières de placement, et le fait qu’ils n’aient pas été acquis en vue de retirer une rentabilité suffisante à plus ou moins brève échéance sans intervenir dans la gestion des filiales, excluait par ailleurs la qualification de titres immobilisés de l’activité de portefeuille.

Partageant l’analyse de l’ANC, la rapporteure publique estime finalement qu’une recapitalisation qui s’inscrit dans un projet consistant à transférer le patrimoine de la filiale à sa mère manifeste la persistance du lien entre les deux entités et la contribution de la première à l’activité de la seconde. Elle en déduit que « le double critère d’utilité et de possession durable est rempli, fût-ce dans la perspective d’une mutation des modalités de contrôle, de celui d’un actionnaire unique à un contrôle direct des actifs de la filiale ».

Dans l’attente de l’achèvement des travaux de l’ANC sur les questions liées à la qualification initiale des titres et les règles de transfert entre catégories, Céline Guibé suggère au Conseil d’État de se garder d’étendre la portée de la décision ici rendue à l’ensemble des cas de recapitalisation d’une filiale en difficulté en vue de sa cession à un tiers, dès lors qu’il n’y aurait, dans une telle hypothèse, plus de volonté de continuer à exercer le contrôle de la filiale ou de ses actifs dans la durée. Compte tenu de la rédaction retenue dans la décision, il semble que le Conseil d’État ait suivi les préconisations de sa rapporteure publique sur ce point.

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