Les faits soumis au Conseil d’État étaient les suivants : une société de droit français Foncière Vélizy Rose (ci-après « FVR ») exerçant une activité de location immobilière a versé en 2014 un acompte sur dividendes de 3,6 millions d’euros à sa société mère Vélizy Rose Investment (ci-après « VRI »), société de droit luxembourgeois, qui a redistribué ce même montant le lendemain à son associé unique, la société de droit luxembourgeois Dewnos Investment. L’acompte sur dividendes n’a fait l’objet d’aucune retenue à la source, la société FVR se prévalant de l’exonération prévue par les dispositions de l’article 119 ter du Code général des impôts.
L’administration ayant remis en cause cette exonération de retenue à la source à l’occasion d’une vérification de comptabilité, le Tribunal administratif de Montreuil puis la Cour administrative d’appel de Paris ont validé sa position.
Dans sa décision du 8 novembre 2024 n° 471147, mentionnée au recueil Lebon, le Conseil d’État confirme l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 7 novembre 2022 (n° 21PA05986) et rejette le pourvoi de la société sur plusieurs fondements.
Si la société requérante se prévalait du fait que l’administration avait implicitement recouru à la procédure de l’abus de droit prévu à l’article L. 64 du LPF, le Conseil d’État juge que tel ne peut être le cas, lorsqu'elle se borne à estimer, sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable, que le contribuable ne peut être regardé comme étant le bénéficiaire effectif d'une somme d'argent.
Sur la compatibilité de la condition de bénéficiaire effectif pour le bénéfice de l’exonération de retenue à la source avec le droit de l’Union européenne
Le Conseil d’État, à la faveur d’une substitution de motifs, rejette le moyen de la société requérante tiré de la contrariété des dispositions des articles 119 bis et 119 ter du CGI avec la liberté d’établissement (TFUE, art. 49 et 54) dès lors que :
1. Selon la requérante, la condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes appliquée aux sociétés mères établies dans un État membre autre que la France n’est pas exigée pour l’application du régime mère-fille aux distributions entre sociétés établies en France.
Le Conseil d’État juge que le régime mère fille prévu aux articles 145 et 216 du CGI doit être regardé comme assurant la transposition des objectifs de l’article 4 de la directive mère-fille (Dir. 2011/96/UE, 30 nov. 2011) et ces dispositions doivent être lues à la lumière de ces objectifs. Il en déduit que, dès lors que la loi française est conforme aux objectifs de la directive, il ne peut être utilement soutenu que les dispositions du CGI institueraient entre les sociétés mères percevant d’une filiale établie en France des dividendes dont elles ne sont pas les bénéficiaires effectives, selon qu’elles sont elle-même établies en France ou dans un autre État membre de l’UE, une différence de traitement fiscal méconnaissant la liberté d’établissement ;
2. Selon la requérante, la remise en cause de l’exonération de retenue à la source sur le fondement de l’article 119 ter du CGI pèse uniquement sur la filiale distributrice française tandis qu’une société mère française supporte seule la remise en cause du régime mère-fille dont elle aurait indûment bénéficié.
Le Conseil d’État écarte cet argument en jugeant que la circonstance qu'une filiale distributrice établie en France soit redevable de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis, 2 du CGI est inhérente à cette technique d'imposition et sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non-résidente à laquelle la filiale peut demander la restitution de cette imposition payée pour son compte ;
3. Selon la requérante, le taux d’imposition appliqué à cette filiale est plus élevé que celui auquel serait soumise cette société mère française.
Le Conseil d’État rejette le moyen en jugeant que la méthode de calcul de l’assiette de la retenue à la source (calcul dit « en dedans ») n'a ni pour objet ni pour effet d'appliquer à cette assiette reconstituée (l’ « assiette brute ») un taux supérieur à celui prévu à l'article 187 du CGI (soit 30 % à l’époque des faits), lequel est, au demeurant, inférieur au taux de l'impôt sur les sociétés qui aurait été appliqué, l'année de l'imposition en litige (soit 33, 1/3 % à l’époque des faits), à une société mère française ne bénéficiant pas du régime mère-fille, à raison de la perception d'un même montant brut de dividendes.
Sur le terrain conventionnel, le Conseil d'Etat juge que l’absence de clause réservant le bénéfice de l’avantage conventionnel au bénéficiaire effectif du revenu ne fait pas obstacle (au moins dans une situation telle qu’en l’espèce où la convention est antérieure à l’introduction de cette disposition dans le Modèle OCDE – Voir, en ce sens, CE Avis, 31 mars 2009, Section des finances, n° 382545) à ce que l'administration fiscale puisse refuser cet avantage conventionnel au récipendiaire de ce revenu qui n'en serait que le bénéficiaire apparent. Ainsi, lorsqu'il apparaît que le récipiendaire d'un dividende versé depuis la France ne peut être regardé comme son bénéficiaire effectif, il ne saurait être fait application à ce revenu de la convention conclue avec son État de résidence. Cependant, les dispositions de la convention sont susceptibles de s'appliquer au bénéficiaire effectif de tels revenus résidant dans un Etat contractant, quand bien même ils auraient été versés à un intermédiaire établi dans un État tiers (solution déjà admise s’agissant des redevances dans CE, 20 mai 2022, n° 444451, Sté Planet).
En l’espèce, le Conseil d’État reconnait que la qualité de bénéficiaire effectif de la société Dewnos Investment et de M. A ressort des pièces du dossier soumis à la Cour administrative d’appel. Toutefois, il refuse l’application des avantages de la convention prévue entre la France et l’État de résidence du bénéficiaire effectif au revenu litigieux sur le terrain de la preuve de la résidence fiscale. Il s’appuie aussi sur l’absence d'attestation de l’administration fiscale certifiant que le revenu sera effectivement imposé dans l’État de résidence, prévue par l’article 10 bis de la convention franco-luxembourgeoise alors applicable. Les juges refusent ainsi l’application du taux conventionnel de 15 %.
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