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Précisions jurisprudentielles sur les distributions exceptionnelles

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  • Publication
  • 24 févr. 2025

Précisions jurisprudentielles sur les distributions exceptionnelles en dehors de l’AGOA approuvant les comptes du dernier exercice clos

Deux arrêts, l’un de la Cour d’appel de Paris rendu le 30 janvier 2025, l’autre de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 12 février 2025, viennent apporter des précisions sur la possibilité ou non de procéder à des distributions exceptionnelles imputées sur le report à nouveau (RAN) bénéficiaire ou sur les réserves disponibles et qui seraient décidées en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle (AGOA) statuant sur les comptes du dernier exercice clos.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 janvier 2025 (n° RG 22/17478) décide qu’une distribution imputée sur le report à nouveau bénéficiaire et sur les réserves disponibles tels que figurant dans des comptes arrêtés et approuvés précédemment peut valablement être décidée en dehors de l’assemblée générale ordinaire approuvant les comptes du dernier exercice clos. La Cour, dans cet arrêt très attendu, infirme ainsi un jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 septembre 2022, qui avait jeté le trouble sur une pratique largement répandue et avait jugé qu’une telle distribution décidée en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle constituait une distribution de dividendes fictifs. 

La cour d’appel de Paris considère qu’aucun texte n’interdit de procéder à une distribution lors d’une assemblée générale autre que l’assemblée générale ordinaire annuelle approuvant les comptes, l’assemblée étant libre de procéder, à tout moment, à une distribution exceptionnelle imputée sur les réserves disponibles, mais aussi sur le report à nouveau bénéficiaire qu’elle assimile à une réserve. Il suffit que les comptes dans lesquels figurent le report à nouveau et les réserves disponibles aient précédemment été approuvés, pour que l’assemblée puisse décider de distribuer des sommes prélevées sur ce report à nouveau ou sur ces réserves disponibles. 

La cour d’appel de Paris laisse aux associés une très grande latitude, car elle considère que la distribution exceptionnelle peut être décidée après clôture d’un exercice et avant que les comptes de cet exercice ne soient arrêtés et approuvés, la distribution étant alors imputée sur le report à nouveau ou sur les réserves disponibles résultant des comptes approuvés de l’avant dernier exercice clos. 

La cour d’appel de Paris juge également que le paiement de ce dividende exceptionnel échappe aux dispositions de l’article L. 232-13 du Code de commerce, de sorte qu’il n’a pas à être réalisé dans le délai de neuf mois à compter de la clôture de l’exercice. 

Toutefois, la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 février 2025 (n° 23-11.410), vient tout juste, sur le fondement d’une lecture combinée des articles L. 232-11 et L.232-12 du Code de commerce, contredire partiellement la position de la Cour d’appel de Paris, à propos d’une distribution prélevée sur le report à nouveau bénéficiaire. 

La Cour de cassation juge en effet que « le report à nouveau bénéficiaire d'un exercice est inclus dans le bénéfice de l'exercice suivant et que seule l'assemblée approuvant les comptes de l'exercice suivant peut décider de son affectation et de son éventuelle distribution ». 

Pour la Cour de cassation, le report à nouveau est donc une composante du bénéfice de l’exercice suivant et ne peut être distribué que par l’assemblée générale ordinaire annuelle qui approuve les comptes de l’exercice suivant. Si un bénéfice est affecté en report à nouveau dans les comptes N, il ne pourra être distribué qu’à partir de l’assemblée générale ordinaire annuelle qui approuve les comptes N+1. Tant que des sommes figurent en report à nouveau, elles ne peuvent être distribuées, car devant être intégrées dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant.  A défaut, la décision de distribution peut être annulée, et le dividende versé considéré comme fictif avec toutes les conséquences attachées à cette qualification (il faut noter toutefois qu’une distribution exceptionnelle irrégulière imputée sur le report à nouveau bénéficiaire devrait pouvoir être régularisée lors de la prochaine assemblée générale ordinaire annuelle sur le fondement de l’article L. 235-3 du Code de commerce).  

Il apparaît à la lecture de ces deux arrêts qu’une distribution exceptionnelle ne peut être imputée sur le report à nouveau bénéficiaire, lequel ne peut servir de base de prélèvement du dividende qu’à partir de la prochaine assemblée ordinaire statuant sur les comptes de l’exercice suivant. 

En revanche, la distribution exceptionnelle, hors assemblée générale ordinaire annuelle, de réserves disponibles (ou de primes) semble possible, car il résulte de l’article L. 232-11 du Code de commerce que les réserves disponibles (et les primes) ne sont pas comprises, à la différence du report à nouveau bénéficiaire, dans le bénéfice distribuable, c’est-à-dire dans le bénéfice de l’exercice suivant. Ces réserves semblent ainsi pouvoir « être distribuées », à tout moment, hors assemblée générale ordinaire. Il conviendrait dès lors, afin de procéder à des distributions exceptionnelles, de ne plus affecter de sommes en report à nouveau mais directement en réserves disponibles, et d’affecter, lors de la prochaine assemblée générale ordinaire annuelle, en réserves (ou de les distribuer) les sommes précédemment portés en report à nouveau. L’arrêt de la Cour de cassation interdit en effet une affectation du report à nouveau en réserves en cours d’exercice. 

Concernant les réserves disponibles, il convient à notre avis de faire preuve de prudence, car il ne peut être exclu, si un pourvoi en cassation était intenté, que la Cour de cassation casse – à tort selon nous –  l’arrêt de la cour d’appel de Paris et considère de manière générale qu’une distribution, quel que soit le poste d’imputation (en ce compris les réserves disponibles), ne peut être réalisée que lors de l’assemblée générale ordinaire annuelle statuant sur les comptes du dernier exercice clos. 

Il n’en demeure pas moins que la lecture combinée de ces décisions semble actuellement autoriser une distribution exceptionnelle imputée sur les réserves disponibles et les primes, en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle.  

La seule procédure autorisant une distribution imputée sur un report à nouveau bénéficiaire est désormais la procédure de l’acompte sur dividende, déterminé à partir d’un bilan établi en cours ou fin d’exercice et certifié par un commissaire aux comptes, cet acompte pouvant alors être imputé sur le report à nouveau bénéficiaire (ainsi d’ailleurs que sur les réserves disponibles) résultant de ce bilan intermédiaire.

Cet article a été rédigé par Frédéric Danos, Professeur des universités Of counsel et Marie Sciberras, Avocat, Associée.

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Marie Sciberras

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Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats

Frédéric Danos

Frédéric Danos

Professeur des universités en droit privé, Of Counsel, PwC Société d'Avocats

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