Première requalification en contrat de travail en France pour un livreur Deliveroo

27/02/20

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Présentation de l'affaire

Un livreur Deliveroo a travaillé pour la société, via un contrat de prestation de services du 8 septembre 2015 au 6 avril 2016, date à laquelle la société a mis fin à ce contrat.

De ce fait, le livreur sollicitait la requalification de son contrat de prestation de services en contrat de travail, aux motifs que sa prestation était réalisée avec le matériel fourni par l’entreprise qui lui imposait le port d’un uniforme sous peine de sanction, qu’il était soumis à une clause d’exclusivité, était constamment contrôlé par GPS, recevait des directives individuelles et était soumis à un pouvoir de sanctions exercé par la société.

En parallèle, le livreur émettait d’autres demandes liées à l’absence de contrat de travail, aux torts de l’entreprise, dont le paiement d’heures supplémentaires majorées et de congés payés, ainsi que des dommages et intérêts pour travail dissimulé, absence de mutuelle et licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Décision du Conseil de Prud’hommes de Paris

Confirmant d’autres décisions déjà rendues concernant les travailleurs de plateformes numériques (affaires Uber et Take Eat Easy notamment), le Conseil de Prud’hommes de Paris considère que la présomption d’absence de salariat des personnes physiques immatriculées en tant que travailleur indépendant, peut être renversée lorsque la prestation est effectuée dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.

Le Conseil de Prud’hommes rappelle ensuite que le lien de subordination est caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». Il précise également que pour les travailleurs de plateformes en lignes, ce lien de subordination et donc l’existence d’un contrat de travail ne peut être écarté lorsqu’il existe (i) un système de géolocalisation, qui permet de suivre la position du travailleur en temps réel et de comptabiliser le nombre de kilomètres parcourus, ainsi qu’un (ii) pouvoir de sanction à l’égard du travailleur.

En l’espèce, l’existence d’un lien de subordination a été reconnue par le Conseil de Prud’hommes aux motifs que le travailleur démontrait l’existence d’un tel système de géolocalisation, ainsi que d’un pouvoir de sanction matérialisé par des retenues tarifaires notamment et pouvant aller jusqu’à la rupture du contrat. Outre la requalification en contrat de travail, le Conseil de Prud’hommes fait droit aux autres demandes découlant de l’existence d’un contrat de travail (paiement d’heures supplémentaires majorées, de congés payés, d’indemnités de frais kilométriques) et de sa rupture (indemnité compensatrice de préavis, indemnité pour rupture abusive).

D’autre part, outre la requalification en contrat de travail et ses conséquences, le Conseil de Prud’hommes a jugé que la société s’était intentionnellement soustraite à l’accomplissement des formalités de déclaration préalables à l’embauche, de délivrance de bulletins de paie et déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ces salaires auprès des différents organismes compétents. Il en déduit que le travailleur a droit à ce titre à une indemnité supplémentaire pour compenser le préjudice subi du fait de l’existence d’une situation de travail dissimulé. Le montant de cette indemnité a été évalué en l’espèce à 6 mois de salaire.

Il conviendra donc de suivre avec intérêt les suites de cette première décision de requalification en contrat de travail pour Deliveroo en France. La société a d’ores et déjà indiqué qu’elle allait examiner cette décision pour éventuellement faire appel. De son côté, le conseil du travailleur a annoncé qu’il entendait lancer une cinquantaine de procédures similaires contre Deliveroo et d’autres plateformes.

A suivre également, l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation rendu en formation plénière sur la requalification en contrat de travail d’un chauffeur Uber qui sera connu le 4 mars prochain.

Extrait de l’arrêt

«[…] s’agissant des personnes travaillant avec les plateformes en ligne, lorsque l’application est dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du travailleur et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus, et que la société dispose d’un pouvoir de sanction à l’égard du travailleur, il en résulte l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, et la qualification de contrat de travail ne peut être écartée. »

« Au vu de l’ensemble de ces éléments, Monsieur XXX établit que l’application qui lui a été imposée était dotée d’un système de géolocalisation permettant son suivi en temps réel par la société et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus, et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à son égard. Ces différents éléments permettent d’établir que le demandeur fournissait directement des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci et il convient, nonobstant la dénomination et la qualification données par les parties, de constater l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée liant Monsieur XXX et la société Deliveroo France SAS, du 8 septembre 2015 au 6 avril 2016. »

« En application des dispositions des articles L 8221-5 et L 8223-1 du code du travail, l’employeur s’étant en l’espèce intentionnellement soustrait à l’accomplissement des formalités relatives à la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance de bulletins de paie ainsi qu’aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale, il convient d’accorder à Monsieur XXX une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé d’un montant de 18.984 euros. »

Conseil de Prud’hommes de Paris, Sec. Commerce, 4 février 2020, R.G. n°19/07738

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