La méthode de détermination des sanctions de l’Autorité de la concurrence révisée dans le cadre de son dernier communiqué de procédure

Septembre 2021

Avis d'experts

Dans le cadre de la volonté d’harmonisation des règles de concurrence au niveau européen et après une consultation publique ouverte le 11 juin dernier, l’Autorité française de la concurrence (Ci-après « l’Autorité ») a publié le 30 juillet dernier son nouveau communiqué de procédure relatif à la méthode de détermination des sanctions encourues en cas de pratiques anticoncurrentielles (Ci-après « le Communiqué »). Ce Communiqué, abrogeant le précédent communiqué du 16 mai 2011, revêt le caractère de lignes directrices au sens de la jurisprudence administrative.

1. Un Communiqué s’inscrivant dans le cadre d’une harmonisation au niveau européen

L’Autorité franchit une étape supplémentaire dans la convergence du droit européen et du droit français de la concurrence, en se rapprochant des principes appliqués par la Commission européenne pour la détermination du montant des sanctions pécuniaires.

Une pratique anticoncurrentielle est désormais traitée selon des règles similaires, en matière de sanction, au niveau français ou au niveau de la Commission.

Ce Communiqué tient compte des modifications législatives résultant de la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 (ci-après, la « Directive ECN+ »), transposée en droit français par la loi DDADUE n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 ainsi que par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021. Or cette Directive ECN+ vise à renforcer l’intégration et l’harmonisation européenne en matière de concurrence, notamment afin de faire reposer les sanctions des autorités nationales de concurrence sur des critères et des règles de plafond unifiés.

Ce Communiqué s’inscrit ainsi dans la lignée de la volonté du législateur européen de promouvoir une plus grande harmonisation du régime des sanctions prises par les autorités nationales de concurrence sur le fondement des articles 101 et 102 TFUE et de leur droit national.

2. L’objet et le champ d’application du Communiqué

L’Autorité rappelle que la détermination des sanctions répond à un double objectif de répression et de dissuasion individuelle et collective.

Au-delà de nouveautés procédurales, le Communiqué vise, comme le communiqué de 2011, à renforcer la transparence, afin de permettre aux acteurs économiques de mieux comprendre comment sont fixées les sanctions pécuniaires et d’anticiper les risques financiers associés à la commission d’infractions. A ce titre, l’Autorité détaille la méthode suivie en pratique pour déterminer les sanctions encourues, tout en s’engageant désormais à motiver son choix si elle envisage de s’écarter de ce Communiqué.

Pour autant, l’Autorité rappelle procéder à un examen individualisé au cas par cas en fonction des circonstances propres à chaque affaire, excluant de fait la possibilité d’envisager un barème automatique qui permettrait de prévoir par avance le montant précis des sanctions.

Le Communiqué concerne les sanctions pécuniaires infligées aux entreprises et aux associations d’entreprises au titre de pratiques anticoncurrentielles.

Il ne s’applique pas, en revanche, aux sanctions infligées (i) en cas d’obstruction à l’investigation ou à l’instruction (i) ou de non-respect d’engagements ou d’injonctions, aux sanctions prononcées dans le cadre d’une procédure de transaction et en cas de manquements relatifs à une opération de concentration.

3. Les critères et la méthode suivie par l’Autorité pour déterminer les sanctions

  • Les sanctions pécuniaires sont désormais appréciées en fonction des critères suivants, ne faisant plus référence à la notion de dommage à l’économie visée dans le précédent communiqué :
    • La gravité des faits ;
    • La durée des pratiques (qui ne figurait pas auparavant expressément parmi les critères énoncés dans le précédent communiqué de l’Autorité, même si l’Autorité prenait déjà en compte la durée aux points 22 et 42 de son précédent communiqué ainsi que dans sa pratique décisionnelle) ;
    • La situation individuelle de l’association d’entreprises ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient ; et
    • L’éventuelle réitération de pratiques prohibées par les règles de concurrence.
  • L’Autorité détermine d’abord le montant de base de la sanction pécuniaire pour chaque entreprise ou association d’entreprises concernée.

Ce montant de base reste déterminé par une proportion de la valeur des ventes des produits ou services en relation avec l’infraction, en tenant compte de la gravité des faits et de la durée des pratiques.

S’agissant des marchés bifaces ou multifaces dont les particularités permettent à l’entreprise concernée de monétiser une face du marché par une ou plusieurs autres faces, l’Autorité précise qu’elle peut tenir compte de la valeur des ventes réalisées par l’entreprise concernée sur les marchés amont, aval et connexe s’ils sont en lien direct ou indirect avec l’infraction.

La proportion de la valeur des ventes réalisées retenue par l’Autorité au cas par cas, en considération de la gravité des faits, reste comprise entre 0 et 30 %, et généralement entre 15 et 30 % pour les ententes horizontales de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production.

Dans les affaires d’abus de position dominante, ainsi que dans les affaires d’ententes horizontales les plus graves (notamment les accords de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production), l’Autorité indique désormais pouvoir ajouter au montant précédent une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes.

Ce montant, déterminé en fonction de la valeur des ventes en considération de la gravité des faits, est ensuite multiplié par le nombre d'années de participation à l'infraction, les périodes de moins d’un an étant prises en compte au prorata temporis de la durée de participation à l’infraction.

On note ici une différence avec le précédent communiqué qui prévoyait un coefficient de 1 pour la première année puis un coefficient de 0,5 pour les années suivantes. Le nouveau Communiqué s’aligne ainsi sur les lignes directrices de la Commission européenne (Lignes directrices 2006/C 210/02 pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du 1er septembre 2006).

  • Le montant obtenu est alors adapté pour prendre en considération les éléments propres au comportement et à la situation individuelle de chaque entreprise ou association d’entreprises concernée.

L’Autorité élargit les cas de circonstances atténuantes et rappelle des hypothèses de circonstances aggravantes figurant déjà dans son précédent communiqué.

L’Autorité rappelle également les autres éléments objectifs d’individualisation de la sanction propres à la situation de l’entreprise ou de l’association d’entreprises concernée. A cet égard, elle ajoute pouvoir également décider de majorer la sanction si les gains illicites estimés réalisés par l’entreprise ou l’association d’entreprises concernée grâce aux infractions en cause sont supérieurs au montant de la sanction pécuniaire qu’elle pourrait prononcer.

  • Comme dans le précédent communiqué, le montant intermédiaire de la sanction pécuniaire, tel qu’il résulte de l’individualisation du montant de base, est ensuite augmenté en cas de réitération dans une proportion comprise entre 15 et 50 % (en fonction notamment du délai séparant le début de la nouvelle pratique du précédent constat d’infraction et de la nature des différentes infractions en cause).

L’Autorité rappelle les critères pris en compte pour caractériser la réitération qui figuraient déjà dans son précédent communiqué.

  • Le montant ainsi obtenu reste comparé au maximum légal pour s’assurer qu’il n’excède pas ce plafond.

Pour rappel, le montant maximum de la sanction pécuniaire encouru par les entreprises est de 10 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

Concernant le montant maximum de la sanction encouru par les associations d’entreprises, l’Autorité abandonne le plafond de 3 millions d’euros. Les associations d’entreprises sont désormais soumises au plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’association d’entreprises ou du total du chiffre d’affaires des entreprises membres de l’association actifs sur le marché affecté par l'infraction de l'association, lorsque la pratique a trait à l’activité de ses membres.

  • Le montant ainsi obtenu est ensuite réduit pour tenir compte, le cas échéant, de la clémence, puis éventuellement ajusté au vu de la capacité contributive de l’entreprise ou de l’association d’entreprises qui a présenté une demande en ce sens.
  • Il convient de noter que l'Autorité peut désormais décider de réduire le montant de la sanction pécuniaire infligée à une entreprise ou à un organisme qui, en cours de procédure devant l'Autorité, a versé à la victime de la ou des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées une indemnité due en exécution d'une transaction au sens de l'article 2044 du code civil.
  • L’Autorité précise enfin que cette méthode mérite d’être adaptée pour déterminer les sanctions pécuniaires dans le cas de certaines pratiques mises en œuvre à l’occasion d’appels d’offres.

En synthèse, même si le montant des sanctions encourues au titre de pratiques anticoncurrentielles reste difficile à anticiper et quantifier pour les opérateurs économiques, ce Communiqué a le mérite d’intégrer officiellement la pratique de l’Autorité des dix dernières années depuis le précédent communiqué, la jurisprudence des juridictions de contrôle et la pratique de la Commission européenne conformément à ses lignes directrices 2006/C 210/02 du 1er septembre 2006. A défaut de répondre pleinement aux attentes quant à l’objectif de transparence pour la détermination du montant des sanctions encourues, ce Communiqué marque une étape supplémentaire dans la logique poursuivie depuis l’adoption du règlement 1/2003, d’une application « intégrée » et déconcentrée du droit européen indifféremment par les autorités nationales de concurrence ou la Commission, selon la règle de l’autorité « la mieux placée ». Ce Communiqué devrait ainsi conduire à traiter une pratique anticoncurrentielle selon des règles similaires, en matière de sanction, au niveau français ou au niveau de la Commission.

Edith Baccichetti, avocat associée, PwC Société d’Avocats

Enzo Nicolas, PwC Société d’Avocats

 

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