Rétractation d’une promesse unilatérale de vente : la Cour de cassation homogénéise enfin la sanction

Juillet 2021

Avis d'experts

Dans son arrêt du 23 juin 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation considère que le débiteur d'une promesse unilatérale de vente s'oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l'avant-contrat, sans possibilité de rétractation. Cette décision écarte la possibilité pour lui de se rétracter avant la levée de l'option par le bénéficiaire, contrairement à la solution de principe initiée par l'arrêt « Consorts Cruz » du 15 décembre 1993.
Telle est la nouvelle position de la Cour de cassation pour les faits antérieurs à l’Ordonnance du 10 février 2016, qui vient enfin harmoniser le régime de la promesse unilatérale de vente en cas de rétractation avant la levée d’option.

Pour rappel, une promesse unilatérale de vente est un avant-contrat par lequel le promettant s’engage envers le bénéficiaire à conclure un acte définitif de vente dans le cas où le bénéficiaire souhaiterait contracter et décide de lever l’option. Pendant la période d’option, deux choix s’offrent au bénéficiaire :

  • Il accepte et le contrat de vente est formé à la date de la levée d’option
  • Il refuse et le contrat n’est pas formé.

En réalité, la pratique nous a montré l’existence d’une autre possibilité : que se passe-t-il lorsque le promettant se rétracte pendant le temps laissé au bénéficiaire pour lever l’option ?

Deux solutions sont possibles, avec une évolution de leur application dans le temps :

  • Jusqu’au nouvel arrêt du 23 juin 2021, la jurisprudence considérait que la rétractation de la promesse par le promettant avant la levée d’option du bénéficiaire n’ouvrait droit qu’à des dommages et intérêts envers le bénéficiaire.
  • Depuis l’Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, l’article 1124 alinéa 2 du Code civil permet l’exécution forcée de la promesse unilatérale de vente pour les promesses conclues après le 1er octobre 2016.
    Il en résultait des solutions différentes et incohérentes selon la date de conclusion de la promesse, avant ou après le 1er octobre 2016.

I) Le cadre jurisprudentiel jusqu’au 23 juin 2021 : hostilité face à l’exécution forcée des promesses unilatérales

La position de la Cour de cassation est restée plutôt constante en refusant toute exécution forcée en cas de rétractation du promettant avant la levée d’option par le bénéficiaire, avec toutefois une évolution dans les fondements sur lesquels elle s’appuie pour justifier sa solution.

Depuis son arrêt bien établi « Consorts Cruz » du 15 décembre 1993 (Cass. 3e civ., 15 décembre 1993, n° 91-10199), la troisième chambre civile de la Cour de cassation considère que « tant que les bénéficiaires n'avaient pas déclaré acquérir, l'obligation de la promettante ne constituait qu'une obligation de faire, de sorte que la levée d'option par le bénéficiaire de la promesse, postérieurement à la rétractation du promettant, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir ». Le promettant auteur d'une rétractation ne se voyait imposer que le versement de dommages et intérêts (Cass. 3e civ., 28 octobre 2003, n° 02-14459).

La jurisprudence se fondait ainsi sur la règle de l’article 1142 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 selon laquelle l’obligation de faire se résolvait en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur, le refus d’exécution forcée se justifiant selon la nature de l’obligation du promettant.

Toutefois, la portée de la jurisprudence de la Cour régulatrice pouvait être relativisée en pratique. En effet, depuis un arrêt de 2008 (Cass. 3e civ., 27 mars 2008, n° 07-11721), la Cour de cassation admettait la possibilité pour les parties de prévoir que le défaut d'exécution par le promettant de son engagement de vendre pouvait se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la vente. Il revenait ainsi aux contractants la possibilité d’indiquer expressément dans le contrat de promesse que la rétractation du promettant avant la levée d’option se résoudrait par une voie autre que celle de l’article 1142 du Code civil, à savoir par une exécution en nature.

Puis, la Cour de cassation a opéré un changement de fondement en se basant sur les articles 1101 et 1134 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’Ordonnance du 10 février 2016, et 1583 du même code. Elle abandonnait la référence à la nature de l’obligation que le promettant n’a pas exécutée (violation d’une obligation de faire) pour se déplacer sur le terrain du consentement, en considérant que la rétractation du promettant avant la levée d’option empêche l’échange des consentements et, partant, la formation du contrat de vente. Ainsi, il a été considéré par la troisième chambre civile (Cass. 3e civ., 11 mai 2011, n° 10-12.875 ; Cass.3e civ., 12 juin 2013, no 12-19.105) , puis par la chambre commerciale (Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.526), que « la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée ». Dès lors, il est impossible d’exécuter une vente qui n’a pas été formée.
Les parties avaient toutefois toujours la possibilité de prévoir, en pratique, une clause expresse d’exécution forcée en nature.

II) Le changement d’approche par l’Ordonnance du 10 février 2016 : consécration de l’exécution forcée des promesses unilatérales de vente

L’Ordonnance du 10 février 2016 a codifié les promesses unilatérales dont le régime résultait auparavant de la jurisprudence. Elle consacre désormais l’exécution forcée du contrat promis, allant à l’encontre de la jurisprudence. Ainsi, l’article 1124 alinéa 2 du Code civil dispose que « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».

Désormais, le bénéficiaire de la promesse unilatérale peut donc lever l’option après la révocation du promettant et demander l’exécution forcée du contrat de vente.

Toutefois, la réforme n’étant entrée en vigueur que le 1er octobre 2016 (article 9 de l’ordonnance), l’article 1124 du Code civil n’avait pas vocation à régir les promesses unilatérales conclues avant cette date. La jurisprudence ancienne, hostile à l’exécution forcée, était donc maintenue pour les promesses unilatérales conclues avant le 1er octobre 2016, ce qui pouvait aboutir à des solutions différentes et incohérentes selon la date de conclusion de la promesse : une susceptible d’exécution forcée et une autre qui ne l’était pas.

III) Le revirement de la jurisprudence pour les promesses conclues avant l’entrée en vigueur de l’Ordonnance du 10 février 2016 : une homogénéisation (attendue) du régime

La chambre sociale de la Cour de cassation avait initié le revirement dans deux arrêts du 21 septembre 2017, en jugeant que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis » (Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-20103 et 16-20104). La chambre sociale avait fondé sa solution sur une interprétation des règles de la formation du contrat de travail à la lumière de la réforme du droit des obligations par l’Ordonnance du 10 février 2016.

L’évolution de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation a été différente. Tout d’abord, dans un arrêt rendu en 2018, elle avait commencé par maintenir sa jurisprudence antérieure, refusant l’exécution forcée de la vente en cas de levée de l’option après la rétractation de la promesse (Cass. 3e civ., 6 décembre 2018, n°17-21.170).

Puis, saisie une seconde fois pour la même affaire, la troisième chambre civile revient, le 23 juin 2021, sur sa doctrine antérieure et opère un revirement (Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554), en écartant la possibilité pour le débiteur d'une promesse unilatérale de vente de se rétracter avant la levée d'option par son bénéficiaire et en confirmant l’exécution forcée de la vente. Toutefois, à la différence de la chambre sociale, elle fonde sa solution sur un principe général et intemporel, en apparence complètement indifférent à l’Ordonnance du 10 février 2016.

En effet, la troisième chambre civile de la Cour de cassation considère tout d’abord que : « la promesse unilatérale de vente est un avant-contrat qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s’agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien ».

Ensuite, elle décide que, le promettant ayant donné son consentement à la vente sans restriction et la levée de l'option par les bénéficiaires étant intervenue dans les délais convenus, « la rétractation du promettant ne constituait pas une circonstance propre à empêcher la formation de la vente ». Dès lors, les juges du fond en ont « exactement déduit que, les consentements des parties s'étant rencontrés lors de la levée de l'option par les bénéficiaires, la vente était parfaite ». En effet, le promettant « s'oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l'avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire ». La rétractation étant inopérante, la levée de l’option par le bénéficiaire opère la rencontre réciproque des volontés d’acheter et de vendre, le consentement du promettant, donné par anticipation, étant ferme et définitif. La vente est formée dès la levée d’option et elle est, par conséquent, susceptible d’exécution forcée.

La Cour de cassation se replace enfin, dans une argumentation complémentaire, sur son fondement d’origine – celui de l’ancien article 1142 du Code civil - pour préciser qu’une partie peut demander l’exécution forcée d’une obligation, quelle que soit sa nature, lorsque celle-ci est possible. Cette justification supplémentaire n’était pas nécessaire au regard du fondement principal de cet arrêt du 23 juin (la rétractation ne peut empêcher la rencontre des volontés et la formation de la vente), mais la Cour de cassation a voulu asseoir la solution nouvelle en écartant tous les fondements qui avaient pu être utilisés pour refuser l’exécution forcée des promesses unilatérales. La porte est ainsi complètement fermée à la jurisprudence ancienne (Consorts Cruz).

Cet arrêt maintient une certaine flexibilité pour les rédacteurs de contrats. En effet, l’exécution forcée est de droit mais rien n’interdit aux parties d’aménager les conséquences de l'éventuelle rétractation du promettant en prévoyant que la rétractation ne pourra être sanctionnée par l’exécution forcée du contrat envisagé, mais seulement par l’allocation de dommages et intérêts.

Par cet arrêt, la Cour de cassation inverse donc la solution jurisprudentielle acquise de longue date. Ainsi, à présent, le principe est celui de l’exécution forcée de la promesse unilatérale nonobstant la rétractation préalable du promettant, mais les parties peuvent déroger à ce principe et écarter contractuellement, par une clause expresse, l’exécution forcée. En somme, la Cour de cassation renverse ici le principe et l’exception, ce renversement modifiant la règle supplétive par rapport à sa jurisprudence antérieure. Bien qu’elle ne fasse pas expressément référence à l’Ordonnance du 10 février 2016 pour justifier ce revirement, elle homogénéise sa solution pour les promesses datant d’avant 2016 avec celles conclues après. Cet alignement, commandé par un certain pragmatisme, marque la fin d’une situation quasi schizophrénique des juges selon la date de la promesse unilatérale.

Par analogie avec cet arrêt du 23 juin 2021, on peut toutefois se demander si les contractants ont la possibilité, pour les promesses conclues après l’Ordonnance du 10 février 2016, d’écarter la règle de l’article 1124 alinéa 2 du Code civil par une clause contraire.. La réponse devrait être positive au nom de la liberté contractuelle, le bénéficiaire pouvant choisir par anticipation et aménager, dans le contrat de promesse, selon ce qui lui convient le mieux, la sanction du manquement du promettant à son engagement. A priori, l'article 1124 alinéa 2 du Code civil ne semble pas être d'ordre public, de sorte que les parties devraient pouvoir aménager conventionnellement les sanctions qui y sont visées. En cela, l'arrêt du 23 juin 2021 peut donner un indice quant à la position future de la Cour de cassation sur le caractère d'ordre public ou non des dispositions de l'article 1124 alinéa 2 du Code civil. Il faudra alors, dans ce cas, que cette clause soit expressément stipulée et qu’elle soit rédigée de manière claire et précise.

Cependant, et même si l’arrêt du 23 juin 2021 semble indiquer une inclinaison contraire, la volonté de donner à la force obligatoire du contrat sa pleine mesure ainsi que celle de renforcer la protection du bénéficiaire de la promesse pourraient aussi inciter la Cour de cassation à considérer que les dispositions de l’article 1124 alinéa 2 du Code civil sont d’ordre public et que les parties ne peuvent y déroger. Les promesses n’ont donc pas encore fini de susciter des débats.

Frédéric Danos, Professeur des universités en droit privé, of counsel

Claire Rey, avocat PwC Société d’Avocats

Enzo Nicolas, PwC Société d’Avocats

 

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Frédéric Danos

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Professeur des universités en droit privé, Of Counsel, PwC Société d'Avocats

Claire Rey

Claire Rey

Avocat, Senior Manager, PwC Société d'Avocats

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