Bénéficiaire effectif

L’absence de redistribution de dividendes par une société holding ne suffit pas à établir sa qualité de bénéficiaire effectif des produits en cause

CAA Versailles 25 mai 2021, n° 19VE00090, SAS Alphatrad

A l’issue d’une vérification de comptabilité, une SAS française est assujettie à une retenue à la source en application de l'article 119 bis, 2 du CGI à raison des dividendes distribués à sa société mère, une société holding immatriculée en Suisse, l’administration ayant considéré que cette dernière n’était pas le bénéficiaire effectif des dividendes versés. Ce dernier serait en réalité, selon l’administration, l’unique associé de la société suisse, résident fiscal portugais.

La CAA, après avoir visé l’art. 15 de l’accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération nationale Suisse et la communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE et l’art. 11 de la convention fiscale du entre la France et la Suisse, énonce qu’il résulte notamment de ces stipulations combinées :

  • Que les dividendes versés par une société établie en France à une société située en Suisse sont exonérés de la retenue à la source prévue à l'art. 119 bis, 2 du CGI, 

  • Sous réserve que le destinataire de ces sommes puisse être regardé comme en étant le bénéficiaire effectif.

La CAA relève ensuite que pour justifier de ce que la société suisse serait le bénéficiaire effectif de ces dividendes, la société requérante se prévaut de ce que cette dernière :

  • A été constituée depuis plus de vingt ans, 

  • Est immatriculée au registre du commerce suisse avec pour objet l'achat, la vente et la gestion de participations en Suisse et à l'étranger, et 

  • Exerce une véritable activité de holding de groupe détenant des participations dans plusieurs pays, finançant les sociétés de son groupe, et percevant des produits financiers de toutes ses filiales.

La CAA considère toutefois :

  • Qu’en se bornant à produire une convention de trésorerie entre les deux sociétés, postérieure aux années en litige, 

    • elle ne justifie pas de la réalité de l'activité dont elle fait état

    • dont elle ne précise d'ailleurs pas la teneur, les effets, ni les conditions et modalités d'exercice, 

    • alors que le ministre

      • oppose l'absence de tout élément attestant d'une activité de gestion et de développement de groupe, notamment de moyens immatériels, matériels et humains.

      • défend que l'absence de redistribution des dividendes à l'associé peut être regardée comme un acte de disposition de celui-ci, unique actionnaire, et que, d'ailleurs, l’augmentation du montant des avances accordées à ce dernier au cours des années en litige, témoignant de ce que l'associé disposait des fonds sociaux.

  • Que ne sont pas, à elles seules, de nature à établir que la société suisse était le bénéficiaire effectif de ces sommes les circonstances

    • que les dividendes perçus par cette société n'ont pas été reversés à son unique associé, 

    • que les bénéfices disponibles de cette société au titre des exercices en cause ont été mis en réserve ou reportés à compte nouveau, 

    • et que l’unique associé ne disposait que d'un mandat d'administrateur en son sein, 

  • Qu'il n'est pas justifié, en l'absence de toute précision sur le processus de décision présidant à l'affectation des dividendes de ce que la société mère, tout en étant formellement propriétaire du revenu, disposait en pratique de pouvoirs lui permettant d'en disposer et ne se bornait pas à agir pour le compte de son unique associé.

LA CAA juge en conséquence que la société suisse ne saurait être regardée comme le bénéficiaire effectif des dividendes versés par la SAS, dès lors que, bien qu'étant propriétaire du revenu en la forme, elle ne dispose en pratique que de pouvoirs très limités qui font d'elle un administrateur agissant pour le compte de son associé unique.

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts

Il ressort du point 4 de l’arrêt que les dividendes avaient subi le prélèvement à la source au taux de 15 % prévu au paragraphe 2 (a) de l’article 11 de la convention fiscale franco-suisse et le non de taux de droit interne fixé à l’époque à 25 %. Cette circonstance peut interpeler dès lors que le refus de la qualité de bénéficiaire effectif à la société suisse aurait logiquement dû se traduire par le refus complet des avantages de cette convention, y compris par conséquent l’application du taux réduit de 15 %. On peut par ailleurs se demander si l’identification du bénéficiaire effectif réel, personne physique résidente du Portugal n’aurait pas dû entrainer l’application des dispositions de droit interne relative aux personnes physiques et de la convention fiscale franco-portugaise (dont l’application aux faits en cause se serait également traduite par une retenue à la source prélevée au taux de 15 %). Ces questions n’ayant pas été soumises à la Cour dans le cadre de la présente affaire, nos remarques porteront sur la question particulière abordée par cet arrêt, à savoir les conséquences du reversement du revenu au regard de la qualification de bénéficiaire effectif.

 A l’occasion de la présente affaire, la Cour administrative d’appel de Versailles juge en effet que l’absence de reversement des revenus n’est pas un critère déterminant de la qualité de bénéficiaire effectif. Cette conclusion n’était pas évidente dès lors que l’OCDE (§ 12.4 précité des commentaires 2014) fait référence à “l’obligation contractuelle ou légale de céder le paiement reçu”.

 Au cas particulier, la Cour relève que la société suisse récipiendaire des dividendes qui, selon les arguments présentés par le contribuable, exerçait une activité de holding de groupe détenant des participations dans plusieurs pays, finançant les sociétés de son groupe, et percevant des produits financiers de toutes ses filiales, ne justifiait pas de la “réalité de l'activité dont elle faisait état” et dont elle ne précisait d'ailleurs pas “la teneur, les effets, ni les conditions et modalités d'exercice”. A cet égard, l’administration invoquait “l'absence de tout élément attestant d'une activité de gestion et de développement de groupe, notamment de moyens immatériels, matériels et humains”.

C’est donc une approche économique de la notion de bénéficiaire effectif que fait ici prévaloir la Cour, jugeant qu’alors même que la société était “propriétaire du revenu en la forme”, elle ne disposait  en pratique “que de pouvoirs très limités” faisant d'elle un “administrateur agissant pour le compte de” son unique associé.

 Sans que cette expression ne soit expressément employée dans la décision, on peut y déceler une illustration par la Cour de l’application de la notion de “société relais”. Les commentaires OCDE sous l’article 10 du modèle de convention (§ 12.3) font en effet référence au rapport du Comité des affaires fiscales intitulé « Les conventions préventives de la double imposition et l’utilisation des sociétés relais », lequel conclut qu’une telle société “ne peut pas être considérée normalement comme le bénéficiaire effectif si, bien qu’étant le propriétaire du revenu dans la forme, elle ne dispose dans la pratique que de pouvoirs très limités qui font d’elle un simple fiduciaire ou un simple administrateur agissant pour le compte des parties intéressées”.

 La Cour, accepte semble-t-il l’argumentaire de l’administration selon lequel l'absence de redistribution des dividendes à l'associé pouvait être regardée comme un acte de disposition de celui-ci, unique actionnaire, tandis que l’augmentation des avances qui lui avaient été consenties par la société démontrait qu’il disposait en réalité des fonds sociaux (ces avances étaient effectivement passées de 20000 à 200 000 CHF sur la période).

L’arrêt refuse ainsi à la société suisse la qualité de bénéficiaire effectif, la privant tout à la fois de l’application de l’exonération de retenue à la source prévue par la convention fiscale franco-suisse et de l’exonération de cette même retenue à la source prévue par l'accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne.

Par ailleurs, la Cour refuse de consacrer l’atteinte à la libre circulation des capitaux en raison de l’application de la clause de gel mais aussi du fait qu’elle n’était pas bénéficiaire effectif dudit revenu. On pourrait relever d’une part que l’application de la clause de gel n’est pas évidente dans la mesure où la société est considérée comme un administrateur agissant pour le compte de son unique associé et d’autre part que dans une situation purement interne, en l’absence d’abus, l’absence de qualité de bénéficiaire effectif n’aurait, nous semble-t-il, eu aucune incidence sur le régime d’imposition des dividendes entre les mains de la société actionnaire.

Cette décision méritera d’être confirmée par le Conseil d’Etat.  Elle s’inscrit dans le débat actuel autour des sociétés relais, tout récemment relancé par la Commission européenne dans sa Communication sur la fiscalité des entreprises pour le 21ème siècle publiée le 18 mai dernier, annonçant des mesures destinées à combattre l'utilisation abusive de sociétés écrans. A cette fin, la commission a d’ores et déjà lancé une consultation publique sur les « entités et les constructions juridiques dont la présence commerciale et l’activité économique sont inexistantes ou uniquement minimes » (« shell companies »), et il faut souhaiter que ce débat permettra de clarifier les conditions de substance requises de la part des sociétés holding, afin de contribuer à la sécurisation de ces dernières sur le plan fiscal dans un contexte international.

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Emmanuel Raingeard de la Blétière

Emmanuel Raingeard de la Blétière

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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