Rattachement des charges et des produits

Les commissions versées en contrepartie de prestations de garanties qui seront fournies au titre d’exercices ultérieurs constituent des charges constatées d’avance ne pouvant être déduites que du résultat de l’exercice au cours duquel les prestations ont été fournies.  

CE 10 mars 2021, n° 423983, Airbus SAS, publié au recueil Lebon

Un groupe industriel ayant pour activité la fabrication d’aéronefs vend ses appareils à des groupes d’investisseurs qui les donnent en location longue durée à des sociétés qui elles-mêmes les sous-louent à des compagnies aériennes. Ce groupe met en place, afin de favoriser la vente de ses appareils, des conventions prévoyant :

  • des garanties financières par lesquelles une société A du groupe s’engage auprès des sociétés locataires à leur régler, le cas échéant, la différence entre les sommes dues aux groupes d’investisseurs et celles reçues des compagnies aériennes ;

  • des garanties de valeur résiduelle accordées par cette société A aux clients consistant, en cas de revente de l’appareil à une échéance déterminée, généralement fixée au dixième anniversaire de la vente, à verser au client la différence entre un prix fixé à l’avance par le contrat de vente et le prix de revente,

Une filiale irlandaise B s’oblige à supporter les conséquences de la mise en jeu de ces garanties en contrepartie du versement de commissions par la société A.  Cette dernière déduit intégralement les commissions des résultats de l’exercice au cours duquel ont eu lieu les versements.

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale remet en cause cette déduction, estimant que les prestations n’ont pas encore été exécutées et que les commissions doivent être regardés comme des charges constatées d’avance. 

Le TA et la CAA donnent raison à l’administration. 

Le CE rappelle qu’eu égard aux dispositions des art. 39,1 et 38,2 du CGI : 

  • Les charges sont en principe déduites au cours de l’exercice dont les résultats doivent servir de base à l’impôt, à l’exception de celle « constatées d’avances », c’est-à-dire correspondant au paiement d’un bien ou d’une prestation de service dont la livraison ou la fourniture n’interviendra qu’au cours d’un exercice ultérieur, sur les résultats duquel il y aura lieu de l’imputer,

  • Au nombre de ces charges constatées d’avance figurent notamment les charges correspondant à des achats de prestations de services continues ou discontinues mais à échéances successives, pour la partie de ces prestations fournies au cours d’exercices ultérieurs. 

Le CE relève en l’espèce que la cour a porté sur les faits une appréciation souveraine exempte de dénaturation en estimant que les prestations dues par la société B : 

  • Pour l’application de la garantie financière :

    • s’analysent comme un engagement mis en œuvre sur la base d’une facture établie chaque mois, de garantir l’équilibre financier de la location des appareils sur toute la durée prévue par les contrats de location, soit 22 ans,

    • doivent être regardées comme des prestations continues fournies au cours d’exercices postérieurs ;

  • Pour l’application de la garantie de valeur résiduelle :

    • sont exécutées par phases distinctes correspondant chacune à une échéance de mise en œuvre prévue par le contrat de vente d’un appareil et ne peuvent être regardées comme fournies avant les dates fixées par le contrat, soit généralement 10 ans après la vente,

    • doivent être regardées comme des prestations discontinues à échéances successives.

Le CE juge en conséquence qu’ainsi : 

  • Les commissions versées constituent des charges constatées d’avance ne pouvant être déduites que du résultat de l’exercice au cours duquel les prestations ont été fournies.

  • Sont sans incidence les circonstances que la société A : 

    • soit libérée dès la conclusion de la convention de tout risque financier correspondant à la mise en jeu des garanties dont la charge est immédiatement transférée à la société B ;

    • aurait été fondée, s’agissant de la garantie de valeur résiduelle, à constituer dans ses comptes et déduire immédiatement de ses résultats imposables, en vue de faire face aux risques correspondant à la mise en jeu de ces mêmes garanties, des provisions d’un montant égal à celui des commissions versées à la société B. 

Découvrez l'arrêt

Le regard de nos experts

Cette affaire n’est que l’écume d’une vague profonde de décisions rendues au visa de l’article 38,2 bis du CGI dont l’objet a pu notamment consister à rapprocher, parfois au prix d’une certaine contorsion juridique, les lectures économiques et fiscales des opérations réalisées par les contribuables. L’enjeu étant d’articuler le principe d’indépendance et de spécialité des exercices avec la réalité économique globale de tous les flux mais également de toutes les parties impliquées dans une opération donnée.

Si le juge confirme l’applicabilité de l’article 38,2 bis aux cas des charges (CE, 16 février 2011, n° 315625 Min. c/ Société TSVI, Inédit) celui-ci jette quelque peu le trouble, notamment au regard de la jurisprudence récente (V. CE 9-10 ch. 4-12-2019 n°420414, Sté Crédit Agricole; CE, 8e et 3e ch., 19 déc. 2019, n° 431066, Sté Deutsche Bank AG, concl. R. Victor; CAA Versailles, 1re ch., 26 janv. 2021, n° 19VE04194, Deutsche Bank AG, concl. F. Met) sur l’approche juridique qu’il convient d’adopter face aux différents types de sommes qui peuvent être versées dans le cadre des opérations mettant en cause des instruments financiers. 

Cette solution offre néanmoins l’occasion d’interroger à nouveau le traitement fiscal appliqué à ces sommes afin d’identifier, selon les cas, les arguments tirés de cette affaire permettant de faire évoluer les positions adoptées. Plusieurs questions restent évidemment dans l’ombre du litige. Au nombre d’entre elles figurent assurément la question de l’articulation de l’article 38.2 bis avec les règles spécifiques relatives au traitement fiscal des contrats financiers (CGI. Art. 38. 6 1° et suivants) tout autant que l’épineuse question liée à la déductibilité fiscale de provision pour garantie lorsque le juge fait face, comme au cas d’espèce, à une prestation de “garantie de valeur résiduelle”.

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Maud Poncelet

Maud Poncelet

Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats

Tarek Afantrouss

Tarek Afantrouss

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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