Prestations de maintenance de logiciel

Au regard des conventions fiscales internationales, les prestations de maintenance de logiciel s’analysent comme des prestations de services dont la rémunération est imposable au lieu d’établissement du prestataire.

CE 18 juin 2021 n° 433315, Sté Sopra Steria group, mentionné au recueil Lebon

Une société française exerce une activité d’édition et de distribution de logiciels professionnels et réalise des prestations de maintenance informatique pour le compte de clients établis dans divers Etats étrangers, lesquels considèrent ces rémunérations comme des redevances et prélèvent une retenue à la source. La société française impute sur son IS les crédits d’impôt correspondants. 

A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’administration remet en cause l’imputation pour la fraction des retenues à la source prélevées sur les rémunérations perçues au titre des prestations de maintenance, au motif que ces paiements constituent la contrepartie de prestations de services exclusivement imposables en France.

La CAA donne raison à l’administration. 

Après avoir visé les stipulations pertinentes des conventions fiscales applicables (ndlr : convention fiscale franco-brésilienne du 10 septembre 1971, convention fiscale-franco-espagnole du 10 octobre 1995, convention fiscale franco-thaïlandaise du 27 décembre 1974 convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970), le CE relève que la société française :

  • concède à ses clients un droit d'utilisation des progiciels professionnels qu'elle conçoit et leur propose par ailleurs d'en assurer la maintenance,
  • ne concède à ses clients aucun autre droit de propriété intellectuelle attaché à sa qualité d'auteur des progiciels, ni ne leur transfère des connaissances techniques en dehors de la documentation portant sur l'utilisation des produits qu'elle fournit et de l'accompagnement qu'elle assure pour favoriser leur mise en œuvre.

Le CE juge que la CAA n’a pas dénaturé les faits ou les pièces du dossier en retenant que :

  • les prestations de maintenance assurées par la société n'étaient pas accompagnées du transfert de procédés secrets ni du transfert d'un savoir-faire ;

  • ces prestations n'avaient pas pour objet la fourniture d'études techniques ou économiques au sens des stipulations précitées de la convention franco-marocaine ;

  • l'objet des prestations d'assistance technique fournies dans le cadre de l'activité de maintenance et celui de la concession du droit d'usage opéré par les contrats de licence étaient distincts, les clients de la société française n’étaient pas tenus de recourir aux prestations de maintenance et ces deux types de prestations faisaient l'objet d'une facturation séparée. 

Le CE juge en conséquence :

  • que les rémunérations perçues en contrepartie des prestations de maintenance et celles reçues en contrepartie des licences de logiciels doivent être distinguées pour l'application des stipulations conventionnelles en cause, alors même que les licences d'utilisation consenties par la société sont, d'un point de vue technique et économique, étroitement liées aux prestations de maintenance qui les accompagnent ;

  • que la CAA n’a pas commis d’erreur de qualification juridique des faits en retenant que les rémunérations versées à la société en contrepartie de ses prestations de maintenance ne relevaient pas de la catégorie des redevances au sens des stipulations des conventions fiscales applicables.

En conséquence, le pourvoi de la société est rejeté.

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts 

La qualification de redevances est déterminante au regard des modalités d’imposition des flux internationaux. En effet, aux termes de l’art. 12 du modèle de convention fiscale OCDE, les redevances peuvent être soumises à une retenue à la source dans l’Etat de résidence du débiteur, la double imposition étant alors évitée par l’attribution d’un crédit d’impôt dans l’Etat de résidence du bénéficiaire des revenus. Si les sommes ne répondent pas à la définition de redevances, elles sont, sauf exceptions,  qualifiées de rémunération d’une prestation de services exclusivement taxable dans l’Etat de résidence du bénéficiaire, conformément à l’article 7 du modèle de convention, qui règle les modalités d’imposition des bénéfices des entreprises.

Dans la présente affaire, la société française avait conclu avec ses clients des contrats comportant la concession d’un droit d'utilisation de progiciels professionnels, assortie de prestations de maintenance.

Le litige portait exclusivement sur les contrats de maintenance, l’administration ayant estimé que la rémunération de ces prestations ne constituait pas des redevances, contrairement à la rémunération des licences d’utilisation proprement dites.

La décision fournit au Conseil d’Etat l’occasion de rappeler opportunément la définition conventionnelle des redevances. Selon l’article 12 § 2 du modèle de convention OCDE, cette définition est la suivante : « Le terme « redevances » employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l’usage ou la concession de l’usage d’un droit d’auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films cinématographiques, d’un brevet, d’une marque de fabrique ou de commerce, d’un dessin ou d’un modèle, d’un plan, d’une formule ou d’un procédé secret et pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique ». Les conventions en cause dans la présente affaire, conclues avec le Brésil, l'Espagne, le Maroc et la Thaïlande, étaient proches de ce modèle.

La société française ne concédait à ses clients, outre le droit d’utilisation des progiciels, aucun autre droit de propriété intellectuelle attaché à sa qualité d'auteur, ni aucune connaissance technique en dehors de la documentation portant sur l'utilisation des produits concédés et de l'accompagnement qu'elle assurait pour favoriser leur mise en œuvre. Les prestations de maintenance, facultatives, étant par ailleurs distinctes de la concession du droit d’utilisation, le Conseil d’Etat juge ainsi que la rémunération de ces prestations ne relève pas de la définition des redevances. Le crédit d’impôt correspondant à la retenue à la source acquittée à l’étranger n’était donc pas imputable sur l’IS français correspondant aux revenus.

Cette décision appelle deux remarques.

Tout d’abord et comme relevé par la rapporteure, Madame Céline Guibé, la position de l’administration fiscale dans cette affaire peut paraître étonnante. En effet, il ressort des paragraphes 13 à 14.1 des commentaires OCDE, relatifs à l’article 12 du modèle de convention, que les droits concernant les actes de copie de logiciels, lorsqu’ils ne font que permettre l’exploitation effective du programme par l’utilisateur, ne doivent pas être pris en compte dans l’analyse du caractère de la transaction à des fins d’imposition, les paiements correspondants devant être traités comme des bénéfices d’entreprises relavant de l’article 7 du modèle (commentaires postérieurs aux conventions mais retenus pour leur valeur « persuasive », cf. arrêt Conversant, CE 11 décembre 2020 n° 420174). Ainsi, c’est en réalité l’intégralité des sommes versées par les clients étrangers de la société qui aurait dû échapper à toute retenue à la source pour être exclusivement imposée en France.

Ensuite, à titre de conséquence pratique, il en résulte que les sociétés percevant des rémunérations en provenance de l’étranger, notamment au titre de la concession de logiciels doivent être particulièrement vigilantes au regard du bien-fondé de la perception d’une retenue à la source par l’Etat source, certains Etats adoptant parfois une définition des redevances plus large que celle qui résulte des conventions fiscales telles qu’interprétées par la France. Dans l’hypothèse d’approches discordantes donnant lieu à des hésitations sur le traitement applicable, la saisine du guichet spécifique ouvert au sein de la DGFiP, dédié à l’appui des entreprises à l’international dans le cadre de la Relation de Confiance peut être envisagée. En cas de redressement en France en raison de l’impossibilité d’imputer le crédit d’impôt correspondant à une retenue à la source prélevée à tort, un recours est possible devant les autorités compétentes pour résoudre la situation. On relèvera par ailleurs que dès lors que l’impôt prélevé à la source n’a pas été prélevé conformément aux stipulations conventionnelles, il demeure déductible du bénéfice imposable en France, conformément aux dispositions de l’article 39, 1-4° du CGI.

Plus généralement cette décision manifeste l’attention accrue de l’administration fiscale sur la nature des prestations de services fournies pour les besoins de l’imputation des crédits d’impôts étrangers (redevances ou bénéfices d’entreprises) notamment lorsque celles-ci sont étroitement imbriquées.

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Emmanuel Raingeard de la Blétière

Emmanuel Raingeard de la Blétière

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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