L’effet rétroactif d’une fusion ne peut être antérieur à la plus récente des dates d’ouvertures des exercices des sociétés participantes et ne peut remonter antérieurement au 1er janvier de l’année en cours lorsque l’absorbée n’a pas clos d’exercice au cours de l’année précédente.
CE 13 septembre 2021, n° 451564, SAS Adis, mentionné au recueil Lebon
Une société A absorbe une société B. Le traité de fusion rédigé en avril N stipule une prise d’effet rétroactive au 1er janvier N. L’opération est soumise à une AGE des actionnaires de la société absorbante en mai, le commissaire aux apports ayant déposé son rapport au mois de juin. La société absorbée décide de reporter la date de clôture de l’exercice au-delà du 31 décembre N et ne procède aux formalités de publicité qu’en juillet et septembre N+1. Une nouvelle AGE est tenue en octobre N+1. L’administration refuse de faire produire des effets à la fusion au titre de l’année N.
La société A sollicite l’annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle le ministre de l'économie a refusé d'abroger les paragraphes 80, 90 et 110 des commentaires administratifs publiés le 3 octobre 2018 au BOFiP sous la référence BOIIS-FUS-40-10-20, relatifs aux conséquences de la rétroactivité des fusions. Ces paragraphes prévoient que :
Après avoir rappelé qu’en cas de fusion avec effet rétroactif, rien ne s’oppose à ce que soient prises en compte toutes les conséquences de la fusion pour la détermination des bénéfices imposables de la société absorbante dans le bilan de clôture de l’exercice au cours duquel la convention a été définitivement conclue, le Conseil d’Etat juge :
Cette décision présente l’intérêt de refaire le point sur les limites temporelles posées par la fiscalité à l’effet rétroactif des fusions, avec deux utiles confirmations.
En premier lieu cet arrêt complète la jurisprudence antérieure, en clarifiant la date butoir de la rétroactivité dans l’hypothèse où la société absorbée et la société absorbante clôturent à des dates différentes. Le Conseil d’Etat précise ainsi que les effets d’une fusion ne sauraient remonter à une date antérieure à la plus récente des dates d'ouverture des exercices des deux sociétés au cours desquels la convention a définitivement été conclue.
Cette précision n’aura toutefois qu’un impact limité en pratique, puisqu’il était déjà explicite dans la jurisprudence qu’une fusion ne peut rétroagir à une date antérieure à celle de l’ouverture de l’exercice de la société absorbante au cours duquel la fusion a été définitivement approuvée, solution reprise par le paragraphe 110 du BOFiP contesté. La jurisprudence prévoyait également, de manière plus implicite, la limitation relative à l’ouverture de l’exercice de la société absorbée puisqu’il avait été jugé que la rétroactivité d’une fusion doit rester sans influence sur le bilan de clôture du ou des exercices précédents, et donc sur les bénéfices imposables dégagés par chacune des deux sociétés concernées au cours de ces exercices (CE 26-5-1993 n° 78156 et 78157). Par ailleurs, cette limitation s’imposait déjà sur le plan juridique, étant prévue par l'article L 236-4, 2° du code de commerce, lequel énonce que la fusion prend effet : “à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération sauf si le contrat prévoit que l'opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine”.
En second lieu, cet arrêt confirme la solution prévue par le BOFiP dans l’hypothèse où la société absorbée n’a pas clôturé d’exercice au cours de l’année civile précédente. Dans cette situation, l’article 37 al. 2 du CGI prévoit que l'impôt dû au titre de l’année en cause “est établi sur les bénéfices de la période écoulée depuis la fin de la dernière période imposée ou, dans le cas d'entreprise nouvelle, depuis le commencement des opérations jusqu'au 31 décembre de l'année considérée. Ces mêmes bénéfices viennent ensuite en déduction des résultats du bilan dans lesquels ils sont compris”.
L’administration déduit de cette disposition que si le bénéfice d'ensemble de l'exercice est inférieur à celui déclaré et imposé au titre de la période d'imposition arrêtée au 31 décembre, ou si le résultat de l'exercice est déficitaire, l'imposition établie au titre de cette période est définitive et ne peut en principe donner lieu à dégrèvement. La différence constatée peut en revanche, en ce qui concerne les sociétés passibles de l’IS, faire l'objet d'un report déficitaire sur les exercices suivants (BOI-IS-DEF-10-20 n° 40).
Cette position de l’administration est conforme à la logique jurisprudentielle. En effet, il a été jugé que l'application des dispositions de l’art. 37 al. 2 du CGI conduit, en l’absence de clôture d’un exercice comptable au cours d’une année civile, à scinder cet exercice en deux périodes successives, dont les résultats propres doivent être imposés, respectivement, au titre de deux années distinctes, et qui, par suite, peuvent être distinctement vérifiées et, le cas échéant, donner lieu à rehaussement du résultat imposable afférent à chacune d'entre elles (CE 3 novembre 2006 n° 257338). Dans ses conclusions sous cet arrêt, le commissaire du Gouvernement Stéphane Verclytte estime que l'article 37 al. 2 du CGI institue, sinon une véritable clôture comptable d'exercice au cours d'une année civile, une « clôture fiscale ».
Poursuivant cette logique dans l'hypothèse d’une fusion assortie d’une clause de rétroactivité, le Conseil d’Etat fait prévaloir dans la présente décision le principe d’annualité de l’impôt et juge qu’une fusion réalisée en année N+1 avec une société absorbée n'ayant pas établi de bilan en N ne peut produire d’effet qu’à compter du 1er janvier N. Romain Victor souligne dans ses conclusions sous l’arrêt que toute autre solution aurait méconnu la théorie du bilan et de l’intangibilité des bilans précédemment clôturés.