Intégration fiscale, reports déficitaires et base élargie

Dans une mise à jour du Bofip en date du 11 août 2021, l’administration fiscale commente les modifications apportées au mécanisme d’imputation des déficits sur une base élargie par la loi de finances pour 2021 (loi 2020-1721 du 29 décembre 2020). Ces nouveaux commentaires sont l’occasion de revenir sur les règles qui régissent l’utilisation du déficit reportable d’ensemble en cas de cessation d’un groupe fiscal, le cas échéant suivie de la constitution d’un nouveau groupe.

Conséquences de la cessation d’un groupe fiscal sur le déficit d’ensemble

Au regard des reports déficitaires, la cessation d’un groupe fiscal emporte en règle générale le transfert à l’ancienne société mère de l’intégralité du déficit d’ensemble du groupe dissous, une fois les conséquences de cessation tirées (CGI art. 223 S dans sa rédaction issue de la loi 93-1352 du 30 décembre 1993, loi de finances pour 1994, entérinant la doctrine administrative qui était déjà en ce sens). Le fait qu’une filiale ayant contribué à ce déficit soit sortie de l’ancien groupe antérieurement à sa cessation est en principe sans conséquence sur le montant du déficit d’ensemble ainsi transmis à l’ancienne société mère.

Deux exceptions à ce principe doivent cependant être soulignées :

  • si le groupe cesse en raison de l’absorption par la société mère de toutes les sociétés du groupe, entrainant un changement de l’objet social ou de l’activité réelle de l’ancienne société mère absorbante, cette dernière recueillera le déficit de l’ancien groupe sous déduction de la fraction de ce déficit correspondant à sa propre contribution (CGI art. 223 S) ;
  • par ailleurs en cas de procédure collective à l’encontre de la société mère ou d’une filiale, celles des filiales dont les titres font l’objet d’un transfert de propriété pourront se voir réallouer la fraction du déficit d’ensemble correspondant à leur contribution à ce déficit, dans l’objectif bien compris de ne pas pénaliser les repreneurs (CGI art. 223 E).

Par la suite, le déficit d’ensemble transmis à l’ancienne société mère acquiert la nature de déficit propre de cette dernière, avec pour conséquence qu’il ne peut plus être imputé que sur ses bénéfices propres. Ainsi, si cette société rejoint un nouveau groupe, le déficit d’ensemble de l’ancien groupe aura ainsi la nature d’un déficit propre antérieur à l’entrée de l’ancienne société mère dans le nouveau groupe fiscal. A ce titre, il est susceptible de tomber en non-valeur si l’ancienne société mère opère un changement d’activité au sens de l’article 221, 5 du CGI.

Objet du mécanisme d’imputation des déficits sur base élargie

La loi de finances pour 1994 (art. 82 précité) avait pour objectif d’atténuer la portée des règles fiscales pouvant avoir pour effet d’empêcher ou de freiner des opérations de restructuration économiquement nécessaires. A cette occasion, des règles permettant d’éviter une rupture dans l’application du régime de groupe ont été mises en place : règles permettant dans le cas de l’absorption d’une société mère de constituer un nouveau groupe dès l’ouverture de l’exercice de la fusion (CGI art. 223 L, 6-c) ou, en cas d’acquisition d’une société mère, de prolonger la vie fiscale du groupe de la société acquise jusqu’à la clôture de l’exercice d’acquisition (CGI art. 223 L, 6-d).

Ces dispositions n’ont pas pour objet de mettre fin aux conséquences liées à la cessation du groupe formé par la société mère absorbée ou acquise mais permettent le passage sans délai d’un groupe à un autre. Dans cette démarche, le législateur a également cherché à atténuer les conséquences défavorables de la cessation d’un groupe au regard du déficit d’ensemble en mettant en place le mécanisme d’imputation des déficits sur une base élargie, initialement applicable sur agrément.

Dans sa version actuelle, ce dispositif est susceptible de s’appliquer dans des situations limitativement prévues par la loi, il s’agit principalement des cas suivants : absorption de la société mère d’un groupe fiscal (CGI art. 223 L, 6-c), acquisition à 95 % au moins de la société mère (CGI art. 223 L, 6-d), scission de cette dernière (CGI art. 223 L, 6-e), apport-attribution (CGI art. 223 I, 7), ou en cas de passage d’une intégration fiscale verticale à une intégration fiscale horizontale (CGI art. 223 L, 6-j). Dans ces hypothèses, le déficit d’ensemble de l’ancien groupe peut, sur option, être utilisé pour compenser non seulement les bénéfices de l’ancienne société mère mais aussi les bénéfices des sociétés membres de l’ancien groupe qui sont devenues membres du nouveau groupe.

S’agissant d’un mécanisme dérogatoire et favorable, le régime de l’imputation des déficits sur une base élargie repose sur des règles à la fois formelles et rigoureuses, quant au calcul et au suivi des déficits concernés.

Formalisme du mécanisme d’imputation des déficits sur une base élargie

Le mécanisme s’applique sur décision de la nouvelle société mère, effectuée dans les mêmes délais que ceux pour l’option du nouveau groupe fiscal. A titre d’exemple, en cas d’acquisition de l’ancienne société mère à au moins 95 %, la nouvelle société mère qui souhaite former sans transition un nouveau groupe avec les sociétés du groupe acquis doit opter pour former un nouveau groupe dans le délai de dépôt de la déclaration de résultat de l’exercice d’acquisition. Ainsi, pour un groupe acquis dans le courant de l’année n et clôturant au 31/12/n, l’option pour le nouveau groupe fiscal doit être effectuée avant le mois de mai n+1 et l’option doit s’accompagner de la liste des sociétés retenues pour l’application du mécanisme d’imputation des déficits sur une base élargie. La nouvelle société mère devra ensuite joindre à la première déclaration de résultat intervenant après l’opération un état faisant apparaitre la quotité du déficit imputable sur une base élargie (formulaire conforme au modèle du BOI-IS-FORM-000067).

Modalités de calcul des déficits imputables sur une base élargie

La quotité des déficits imputables sur une base élargie est calculée exercice par exercice en retenant, pour chaque filiale ayant contribué au déficit d’ensemble durant cet exercice, une proportion de ce déficit, au prorata du résultat déficitaire de la filiale concernée par rapport à la somme des résultats déficitaires des filiales au titre de l’exercice.

Exemple : au titre de l’exercice n, le groupe M dont la société mère est la société M dégage un déficit d’ensemble de 1.500 K€. Deux sociétés du groupe ont été déficitaires au titre de cet exercice :

  • La société A a dégagé un déficit de 1.000 K€
  • La société B a dégagé un déficit de 2.500 K€
  • Total des déficits individuels de l’exercice : 3.500 K€

La contribution au déficit d’ensemble de ces deux sociétés est calculée comme suit :

  • Contribution de la société A au déficit d’ensemble : 1.500 x (1.000/3.500) = 429 K€
  • Contribution de la société B au déficit d’ensemble : 1.500 x (2.500 / 3.500) = 1.071 K€

En cas d’acquisition de la société tête de groupe courant n par une société H, qui opte pour la formation d’un nouveau groupe à compter de n+1 sur le fondement des dispositions de l’article 223 L, 6-d du CGI, le déficit d’ensemble susceptible d’être imputé sur une base élargie, si seule la société A rejoint le nouveau groupe, sera de 429 K€, montant correspondant à la contribution de la société A au déficit d’ensemble. Il sera imputable sur les bénéfices ultérieurs des sociétés M en tant que déficits individuels pré-intégration (ancienne société mère) puis de A de manière élargie (filiale de l’ancien groupe entrée dans le nouveau groupe) à condition qu’une option soit effectuée en ce sens par la société H, société mère du nouveau groupe.

Conséquences de l’absorption d’une filiale sur le montant des déficits imputables sur une base élargie

Pour l’application du mécanisme d’imputation des déficits sur une base élargie, la sortie d’une filiale du nouveau groupe entraine en principe la perte de la partie du déficit base élargie afférente à cette société (CGI art. 223 R al. 3). Dans ce cas, le déficit demeurant imputable sur une base élargie est recalculé sur un état dont le modèle figure au BOI-IS-FORM-000068.

Des atténuations sont toutefois prévues en cas de fusion intra-groupe placée sous le régime de faveur de l’article 210 A du CGI.

Fusion dans le nouveau groupe

Par un aménagement du régime intervenu dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009 (loi 2009-1674 du 30 décembre 2009), le législateur a apporté un premier tempérament à cette règle en autorisant le maintien de la partie du déficit base élargie attribuable à la filiale sortant du nouveau groupe dans l’hypothèse où cette sortie résulte de sa fusion avec une autre société du groupe placée sous le régime prévu à l'article 210 A du CGI. Ces dispositions s’appliquent quelle que soit la société de l’ancien groupe qui vient à être absorbée.

Exemple : Si l’on reprend les données de l’exemple précédent en supposant que la société H formait déjà un groupe fiscal intégré avec sa filiale, la société C, il résulte des dispositions de l’article 223 R a l.3 que :

  • L’absorption de la société A par la société C sous le régime de faveur de l’article 210 A du CGI ne modifie pas la quotité des déficits de l’ancien groupe M imputables sur une base élargie.
  • L’absorption de la société M par la société H sous le régime de faveur de l’article 210 A du CGI avec obtention de l’agrément prévu par l’article 209, II du CGI pour le transfert à la société H des déficits de la société M ne modifie pas la quotité des déficits de l’ancien groupe M imputables sur une base élargie, étant précisé que le déficit de l’ancien groupe peut, à l’issue de l’opération, être imputé sur les bénéfices des société H et A.
  • L’absorption de la société M par la société C sous le régime de faveur de l’article 210 A du CGI avec obtention de l’agrément prévu par l’article 209, II du CGI pour le transfert à la société C des déficits de la société M ne modifie pas la quotité des déficits imputables sur une base élargie, étant précisé que le déficit de l’ancien groupe peut, à l’issue de l’opération, être imputé sur les bénéfices des sociétés C et A.

(Voir pour l’exemple complet : BOI-IS-GPE-50-20-20-20 n° 60)

Fusion dans l’ancien groupe

Les dispositions favorables prévues en cas de fusion dans le nouveau groupe laissaient de côté le cas d’une fusion dans l’ancien groupe, entre sociétés membres de ce groupe.

A cet égard, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger que dans l’hypothèse de la création d’un nouveau groupe dans les conditions prévues par l’article 223 L, 6-c du CGI, l'agrément ne pouvait pas être délivré pour le transfert de la part du déficit d'ensemble provenant d'une société membre du groupe ayant cessé et ne faisant pas partie du nouveau groupe, « alors même que cette société aurait été absorbée, à l'occasion des opérations de restructuration, par une autre société membre du groupe ayant cessé, faisant elle-même partie du nouveau groupe, et qui aurait bénéficié du transfert des bénéfices propres de la société absorbée » (CE 28 novembre 2018 n° 417173, Sté Ypso France SAS). Dans le silence de la loi, le fait que la substance économique de la société absorbée dans l’ancien groupe se retrouve dans le nouveau groupe ne suffisait pas à permettre l’imputation sur une base élargie des déficits dont cette société absorbée était à l’origine dans l’ancien groupe, alors même que cette absorption n’avait emporté aucune conséquence sur le déficit reportable d’ensemble de l’ancien groupe.

Le législateur a finalement remédié à cette situation en adoptant l’article 30 de la loi de finances pour 2021 (loi 2020-1721 du 29 décembre 2020), qui modifie les dispositions de l’article 223, I du CGI afin de permettre l’imputation sur une base élargie de la quote-part du déficit d’ensemble de l’ancien groupe, imputable à une société absorbée avant la cessation de l’ancien groupe par une autre société de l’ancien groupe appelée à rejoindre le nouveau groupe, ainsi qu’en cas de scission de la société au profit de sociétés de l’ancien groupe entrant dans le nouveau groupe. Ces dispositions s’appliquent à condition que l’opération de fusion ou de scission ait été placée sous le régime de l’article 210 A du CGI.

Le Bofip précité du 11 août 2021 détaille les modalités pratiques d’application de ces nouvelles dispositions qui, selon l’administration, ne s’appliquent que lorsque la société absorbante ou bénéficiaire des apports est prise en compte pour l’application du mécanisme d’imputation des déficits sur une base élargie (BOI-IS-GPE-50-10-30 n° 60). Par ailleurs, lorsque ces dispositions s’appliquent, l’état figurant au BOI-IS-FORM-000067 déposé avec la première déclaration du résultat d’ensemble du nouveau groupe doit mentionner, outre la quote-part du déficit d’ensemble qui provient de chacune des sociétés pour lesquelles le bénéfice de cette imputation a été demandé, celle qui provient de chacune des sociétés absorbées par ces dernières, ou scindées à leur profit, antérieurement à la cessation de l'ancien groupe (BOI-IS-GPE-50-10-30).

Les commentaires administratifs décrivent également les modalités d’affectation des déficits d’une société scindée dans l’ancien groupe lorsque l’une seulement des sociétés parties à la scission rejoint le nouveau groupe (BOI-IS-GPE-50-10-30 n° 60).

Cas spécifique de l’absorption de la société mère de l’ancien groupe

Lorsque la société mère de l’ancien groupe est notamment absorbée ou scindée, la transmission des déficits d’ensemble à la société absorbante ou bénéficiaire des apports suppose l’obtention d’un agrément sur le fondement des dispositions de l’article 223 I, 5 du CGI (sauf dispense d’agrément lorsque le montant cumulé des déficits des charges financières nettes non déduites et de la capacité de déduction inemployée à transférer est inférieur à 200 K€).

Cet agrément, qui ne peut être obtenu qu’à hauteur des déficits pour lesquels l’imputation sur une base élargie est demandée, est également subordonné à une condition de poursuite de l’activité à l’origine des déficits, dont les modalités d’appréciation sont précisées par le Bofip.

Ainsi, concernant la contribution au déficit d’ensemble qui trouve son origine dans l’activité d’une filiale membre du groupe dissous, l’administration précise dans ses nouveaux commentaires que le transfert ne peut s’opérer que si cette filiale poursuit l’activité à l’origine de ce déficit dans le groupe fiscal dont la société absorbante est la mère, pendant un délai minimum de 3 ans à compter de la date de réalisation juridique de l’opération d’absorption (BOI-SJ-AGR-20-30-10-20 n° 140).

Concernant les déficits d’une filiale absorbée ou scindée dans l’ancien groupe, l’administration indique que l'examen des modalités d'exploitation de l'activité contributrice au déficit d'ensemble portera sur (BOI-SJ-AGR-20-30-10-20 n° 150) :

  • l'activité telle qu'exercée par cette filiale au sein du groupe dissous pendant la période au titre de laquelle elle a contribué au déficit d'ensemble de ce groupe,
  • la poursuite de cette activité par la société qui a procédé à l'absorption de cette filiale,
  • et enfin la poursuite de cette activité dans le nouveau groupe fiscal pendant une période minimale de trois ans.

L’administration entend donc exiger la poursuite de l’activité durant un délai qui pourra dans certains cas s’avérer très long, notamment en cas d’absorption d’une filiale déficitaire dans l’ancien groupe, ce qui ne sera pas sans poser certaines difficultés au regard de l’administration de la preuve.

Conclusion

Les modifications rappelées ci-avant sont une nouvelle illustration de la volonté du législateur de rendre les réorganisations de groupes fiscaux aussi neutres que possible lorsque ces réorganisations n’impactent pas la substance économique du groupe fiscal et qu’elles présentent un caractère intercalaire grâce au régime fiscal de faveur sous lequel elles sont placées.

Cette neutralité avait d’ores et déjà été reconnue en cas de fusion, en régime de faveur, d’une filiale intégrée dans une autre société membre du groupe fiscal : une telle opération n’est en effet pas de nature à entraîner la déneutralisation des opérations d’abandons de créance ou de cessions intragroupe d’immobilisations à laquelle la société absorbée avait été partie (CGI art. 223 R al. 3, résultant de la loi de finances pour 2006, loi n°2005-1719 du 30 décembre 2005 - art. 112).

Elle a été reprise par la loi de finances pour 2019 pour le cas de l’absorption, en régime de faveur, de la société mère par l’une des sociétés membres du groupe (CGI art. 223 S, dern. al.) : une telle opération n’entraine plus la cessation du groupe fiscal si la société absorbante accepte de reprendre le statut de société tête de groupe de l’ancienne mère absorbée et formalise une option à cet effet.

Dans la mesure où le groupe demeure, le déficit d’ensemble du groupe est maintenu sans condition, en vue de son imputation sur les bénéfices d’ensemble ultérieurs du groupe fiscal. Dans cette situation, la question complexe de l’obtention d’un agrément ou celle du calcul de la quotité des déficits imputables sur une base élargie ne se posent donc plus.

L’administration a admis d’étendre cette solution à l’absorption d’une société tête de groupe par son entité mère non-résidente, une société étrangère ou une société intermédiaire, sous réserve que l’opération de fusion soit placée sous un régime fiscal comparable à celui de l’article 210 A du CGI et que l’absorbante opte pour reprendre le statut de tête de groupe par l’intermédiaire d’un établissement stable en France (BOI-IS-GPE-40-10-20200415, n°107).

On pourrait s’interroger sur la pertinence d’étendre une telle neutralité à l’ensemble des opérations de fusions en régime de faveur impliquant l’entité mère non-résidente d’un groupe fiscal constitué sous une forme dite horizontale (CGI art. 223 R al. 2) ou les sociétés étrangères interposées dans cette détention. La substance économique du groupe fiscal français ne devrait en effet généralement pas être bouleversée par une telle opération.

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Alexa Lecoeur

Alexa Lecoeur

Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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