Le remboursement d’une charge non déductible est imposable en l’absence de préjudice et donc de caractère indemnitaire

Les sommes versées dans le cadre d’une clause d’indemnisation contractuelle pour compenser une augmentation d’IS liée à l’application de l’art. 212 bis du CGI, ne présentent pas de caractère indemnitaire découlant d’une obligation de réparation

CAA Bordeaux 8 juin 2021, n° 19BX00577

Une société française prend à bail des aéronefs à des sociétés liées irlandaises afin de les sous-louer à des sociétés tierces. Les conventions soumises au droit anglais conclues entre la société et ses locataires comportent une clause d’indemnisation fiscale. L’application de l’art. 212 bis du CGI ayant entraîné une augmentation de sa base imposable, la société refacture à ses locataires l’augmentation d’IS ainsi constatée et traite les sommes perçues comme des produits imposables.

Considérant avoir intégré à tort ce produit exceptionnel dans ses bénéfices imposables, elle sollicite ensuite un dégrèvement.

L’administration rejette sa réclamation.

Le TA donne raison à l’administration.

La CAA rappelle que :

  •  les indemnités versées à un contribuable
    • pour réparer une diminution de ses valeurs d'actif
    • une dépense qu'il a exposée
    • ou une perte de recettes,
  • dès lors que leur versement a été effectué
    • non pour concourir à l'équilibre de l'exploitation,
    • mais en vertu d'une obligation de réparation incombant à la partie versante
  • ne constituent des recettes concourant à la formation de bénéfice imposable que si la perte ou la charge qu'elles ont pour objet de compenser est elle-même de la nature de celles qui sont déductibles pour la détermination des bénéfices .

La CAA considère que :

  • le surcoût fiscal supporté par la société requérante ne trouve pas son origine dans un comportement fautif des clients, qui lui aurait occasionné un préjudice,
  • les clients ne bénéficient d'aucun avantage de l'article 212 bis du CGI,
  • les conventions soumises au droit anglais ne sont pas de nature à révéler, au sens du droit français, l'existence d'un dommage subi par la société du fait de ses locataires,
  • le coût relatif au nouveau dispositif fiscal auquel se trouve confrontée la société requérante est identique pour toute société se trouvant dans une situation similaire et ne peut en conséquence être regardé comme étant un préjudice indemnisable.

La CAA juge par suite que l'administration a pu, à bon droit, regarder le produit exceptionnel correspondant aux sommes versées à la société requérante par ses locataires comme étant seulement le résultat d'une négociation commerciale, la société n’étant dès lors pas fondée à soutenir que ces sommes seraient déductibles pour la détermination de son résultat imposable.

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Le regard de nos experts

On se plairait à espérer que, par l’effet de quelque principe général de symétrie qui trouverait à s’appliquer en matière fiscale, le remboursement d’une charge non déductible ne constitue pas un produit imposable le sujet mérite en réalité une analyse beaucoup plus fine, comme le rappelle la jurisprudence récente.

Par la présente décision, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient en effet de juger que constitue un produit imposable le remboursement, contractuellement prévu, par un sous-locataire à son bailleur, d’un surcoût d’IS lié à l’application du nouveau dispositif de déduction des charges financières (CGI art. 212 bis).

Pour conclure au caractère imposable des sommes en cause, la cour souligne notamment que le surcoût fiscal supporté par la société bailleresse ne trouve pas son origine dans un comportement fautif des clients, qui lui aurait occasionné un préjudice, et que le surcoût fiscal lié à la mise en oeuvre du nouveau dispositif législatif, qui est identique pour toute société se trouvant dans une situation similaire, ne peut en conséquence être regardé comme étant un préjudice indemnisable.

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne d’une récente décision du Conseil d’Etat, rendue à propos d’une société française exerçant une activité de commissionnaire dans le domaine de la distribution de produits pharmaceutique (CE 20 avril 2021 n°430561, Sté Baxter). Cette société avait obtenu, de la part de son commettant, le remboursement de la contribution sur le chiffre d’affaires des entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques prévue par l’article L 245-6 du code de la sécurité sociale, contribution non déductible pour la détermination du résultat fiscal.

Dans cette affaire, Conseil d’Etat a suivi la cour administrative d’appel qui avait jugé que l’exercice par la société française de son activité en qualité de commissionnaire était sans influence sur sa qualité de redevable de la contribution, dont le paiement ne pouvait par conséquent être assimilé à un préjudice, confirmant ainsi l’analyse de la cour selon laquelle :

  • les remboursements des montants versés au titre de la contribution ne présentaient pas le caractère d’une indemnisation,
  • la société commettante n’était pas tenue à l’obligation de réparer un préjudice, lequel ne saurait en tout état de cause résulter du paiement d’un impôt dont la société était française était redevable,
  • les remboursements pouvaient être considérés comme un élément de la rémunération de la société en sa qualité de commissionnaire (CE 20 avril 2021 n°430561, Sté Baxter).

Il ressort de cette décision qu’un produit ayant pour objet de compenser une charge non déductible peut être non imposable, mais uniquement à la condition que cette charge trouve elle-même son origine dans un préjudice que le remboursement vise à indemniser. Loin d’avoir innové, l’arrêt précité du 20 avril 2021 se fonde sur une décision de plénière bien plus ancienne, à l’occasion de laquelle le Conseil d’Etat avait jugé qu’”une indemnité versée à un contribuable pour réparer une diminution de ses valeurs d’actif qu’il a subie, une dépense qu’il a exposée ou une perte de recette, dès lors que leur versement a été effectué non pour concourir à l’équilibre de l’exploitation, mais en vertu d’une obligation de réparation incombant à la partie versante, ne constituent des recettes concourant à la formation du bénéfice imposable que si la perte ou la charge qu’elles ont pour objet de compenser est elle-même de la nature de celles qui sont déductibles pour la détermination des bénéfices imposables” (CE 12 mars 1982, n°17074).

Etait en cause dans cette affaire une indemnité d’assurance destinée à compenser des pénalités fiscales, charges non déductibles des bénéfices imposables. Le Conseil d’Etat avait jugé qu’une telle indemnité ne constituait pas une recette imposable dès lors que ces pénalités avaient été appliquées à la société en raison d’erreurs commises par son comptable, lui-même assuré auprès de la société d’assurance. Dans ses conclusions, le rapporteur public Olivier Schrameck souligne l’importance de la distinction entre les versements destinées à concourir au financement de l’exploitation et ceux effectués à titre d’indemnité ayant pour objet de réparer un préjudice causé au redevable, ce dernier pouvant en revanche résulter indifféremment d’une perte de recettes, de la dépréciation ou de la perte d’un élément d’actif ou encore d’une dépense exposée par le contribuable alors que la charge n’aurait pas dû lui incomber.

Cet arrêt est mentionné par l’administration dans son Bofip (BOI-BIC-PDSTK-10-30-20 n° 190).

Les décisions rendues en 2021 démontrent que cette jurisprudence conserve à la fois son actualité et son caractère restrictif, qui en limite la portée aux versements présentant un caractère indemnitaire.

On peut souligner que ce caractère restrictif ne semble pas avoir vocation à s’atténuer. Dans ses conclusions sous l’arrêt précité du 20 avril 2021, Emilie Bokdam-Tognetti a d’ailleurs pris le soin de préciser que cette digue n’avait notamment pas sauté à l’occasion de l’arrêt GE Healthcare Clinical Systems (CE 11 décembre 2009, n° 301341) relatif à l’indemnisation des filiales dans l’intégration fiscale, indiquant que, dans ce cas, est bien en cause la réparation d’un préjudice : “la perte pour la filiale d’un droit au report de ses propres déficits emportant pour elle à la sortie du groupe un surcoût fiscal consistant à devoir payer une charge d’impôt sur les sociétés supérieure à celle qu’elle aurait acquittée si elle avait pu utiliser ses déficits“ et ce précise-t-elle, “même si ce préjudice découlait de l’application de la loi fiscale spéciale relative au régime de groupe et si la société mère n’était pas tenue légalement, mais seulement conventionnellement, à une obligation de réparation de ce préjudice”.

Attention donc : la non-imposition d’un remboursement de charge suppose à la fois que la charge en cause soit non déductible et que la nature indemnitaire de ce paiement puisse être démontrée.

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Philippe Durand

Philippe Durand

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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