Le projet de loi de finances pour 2022 a été déposé le 22 septembre dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale. Le texte initial comportait un nombre limité de dispositions fiscales intéressant les entreprises. Toutefois, le passage en commission des finances puis les premières discussions en séance publique à l’Assemblée nationale ont d’ores et déjà permis d’enrichir la première partie du texte. En outre, quelques amendements intéressants sont annoncés pour la deuxième partie du texte.
Nous présentons ci-après les principales mesures de ce projet de loi intéressant les entreprises.
Sauf indication contraire, les nouvelles dispositions s’appliqueraient aux exercices clos à compter du 31 décembre 2021 en matière d’IS et, en matière d’impôt sur le revenu, à compter de l’impôt dû au titre de l’année 2021.
Mise en conformité avec le droit de l’UE des retenues à la source applicables aux sociétés non-résidentes (PLF art. 7)
L’article 7 du PLF prévoit plusieurs mesures dont l’objectif est d’assurer la mise en conformité avec le droit de l’UE de différents dispositifs de droit interne récemment jugés contraires aux libertés garanties par le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) par le Conseil d’Etat.
En effet, dans une première décision du 22 novembre 2019 (n° 423698, SAEM de gestion du Port-Vauban) le Conseil d’Etat a jugée contraire au principe de libre prestation de services garanti par l’article 56 du TFUE, la retenue à la source de l’article 182 B du CGI, en ce qu’elle n’autorisait pas la prise en compte des frais professionnels supportés par un prestataire non-résident dans l’assiette de la retenue à la source, alors qu’un prestataire établi en France était soumis à l’impôt sur une base nette.
Dans une autre décision en date du 11 mai 2021 (n° 438135, UBS Asset management Life Ltd) le Conseil d’Etat a également jugé que l’impossibilité pour une société d’assurance-vie britannique percevant des dividendes de source française de déduire certaines charges (les provisions techniques) de l’assiette de la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI, était contraire au principe de libre circulation des capitaux.
Les aménagements envisagés visent donc à permettre de calculer l’assiette des retenues à la source sur une base nette (c’est-à-dire après déduction des charges), et non plus sur une base brute.
Il serait désormais prévu que les personnes morales et les organismes non-résidents établis dans l’UE ou dans un Etat partie à l’accord sur l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, qui perçoivent des revenus entrant dans le champ de l’article 182 B du CGI, bénéficieront d’un abattement forfaitaire de charges de 10 %.
Le projet de texte prévoit également la possibilité, pour le bénéficiaire de revenus soumis aux retenues à la source prévues aux articles 182 A bis, 182 B et 119 bis, 2, d’obtenir la restitution de l’imposition prélevée, à hauteur de la différence entre cette imposition et l’imposition calculée à partir d’une base nette des charges d’acquisition et de conservation directement rattachées aux revenus.
Cette possibilité de restitution serait toutefois soumise à la double condition que les charges en cause soient déductibles si le bénéficiaire était établi en France, et que les règles d’imposition dans l’Etat de résidence du bénéficiaire ne lui permettent pas d’imputer la retenue à la source.
S’agissant de de la retenue à la source des articles 182 A bis et 182 B du CGI la restitution ne concernerait que les personnes morales et organismes non-résidents établis dans l’UE ou dans l’EEE.
Pour la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI, la restitution concernerait non seulement les personnes morales et organismes non-résidents établis dans l’UE ou dans l’EEE mais également ceux établis dans des Etats situés en dehors de l’UE ou de l’EEE sous réserve que l’Etat ne soit pas non coopératif et que la participation détenue dans la société ou l’organisme distributeur ne permette pas au bénéficiaire de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société ou de cet organisme.
Les demandes de restitution devraient être déposées dans le délai de réclamation prévu aux articles R.196-1 et R.196-3 du LPF (c’est-à-dire d’une manière générale au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle du prélèvement de la retenue à la source).
On notera enfin que l’article 7 du projet de loi prévoit également un aménagement des modalités de mise en oeuvre du dispositif de restitution et de report d’imposition temporaire de la retenue à la source pour les entités étrangères déficitaires codifié à l’article 235 quater du CGI. Il est notamment prévu que le délai dans lequel le bénéficiaire des revenus pourra demander la restitution soit désormais celui prévu aux articles R.196-1 et R.196-3 du LPF (et non plus un délai de trois mois suivant la clôture de l’exercice au cours duquel est intervenu le fait générateur de la retenue à la source ou du prélèvement dont la restitution est sollicitée). En outre, les personnes morales ou organismes non-résidents bénéficieraient d’un délai porté à six mois (contre trois mois jusqu’alors) pour déposer annuellement la déclaration faisant apparaître un résultat déficitaire permettant le maintien du report d’imposition.
L’ensemble de ces dispositions s’appliquerait aux retenues à la source dont le fait générateur interviendrait à compter du 1er janvier 2022.
Dispositif temporaire d’amortissement fiscal des fonds commerciaux (PLF art. 6)
Le poste « fonds commercial » comprend, aux termes du PCG, les éléments incorporels du fonds de commerce acquis qui ne font pas l’objet d’une évaluation et d’une comptabilisation séparées au bilan et qui concourent au maintien et au développement du potentiel d’activité de l’entité.
En application de l’article 214-3 du PCG, le fonds commercial ainsi défini est présumé avoir une durée d’utilisation non limitée. Il n’est donc en principe pas amortissable sur le plan comptable. Toutefois, aux termes du même article, la présomption ainsi établie peut être réfutée. Dans ce cas, le fonds commercial est amorti sur sa durée d’utilisation ou, si cette durée ne peut être déterminée de manière fiable, sur 10 ans. Par ailleurs, dans leurs comptes individuels, les petites entreprises peuvent amortir sur 10 ans tous leurs fonds commerciaux, sans avoir à justifier d’une utilisation limitée.
Les petites entreprises sont celles ne dépassant pas deux des trois seuils suivants : total du bilan de 6M€, montant net du chiffre d'affaires de 12 M€ et nombre moyen de salariés employés au cours de l'exercice de 50.
Comme très récemment jugé par le Conseil d’Etat (CE Avis 8 septembre 2021, n° 453458), la loi fiscale est sur ce point déconnectée de la règle comptable, de telle sorte que les amortissements comptabilisés en application de l’article 214-3 du PCG par les petites entreprises ne pouvaient jusqu’ici pas être admis en déduction sur le plan fiscal.
A titre exceptionnel, et après avoir confirmé le principe général de non-déductibilité fiscale de l’amortissement comptable des fonds commerciaux, le PLFR prévoit la possibilité d’admettre en déduction cet amortissement, pour les fonds acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023. Le projet de texte prévoit également, en corollaire, les conditions dans lesquelles s’articuleraient les provisions pour dépréciation et les amortissements constatés au titre d’un même fonds commercial, de façon à éviter toute double déduction fiscale.
On notera que les députés ont adopté en première lecture une extension de la durée d’application du dispositif jusqu’au 31 décembre 2025.
Mesures destinées à favoriser les cessions d’entreprises (PLF art. 5)
Dans le cadre du plan en faveur des travailleurs indépendants, le PLF prévoit de faciliter la reprise d’entreprises au travers des mesures suivantes :
L’article 9 du projet de loi prévoit un grand nombre de mesures en matière de TVA visant à rationaliser, moderniser ou mettre en conformité les règles actuelles avec le droit européen.
Ces mesures sont les suivantes :
Transposition de diverses directives
Le projet de loi propose également de légaliser les tolérances administratives prévues au bénéfice de certains organismes internationaux, diplomatiques ou consulaires (not. OTAN, UE, CEEA, BCE…) (nouvel article 262-00 bis I, 1° à 5° du CGI).
Le projet de loi prévoit la suppression de l’article 289 C du CGI relatif à la déclaration des données statistiques qui faisait l’objet d’une déclaration unique avec l'État récapitulatif des clients prévu à l’article 289 B du CGI, communément appelé la Déclaration d'échange de biens en France. Selon l’exposé des motifs, un dispositif de pré-remplissage automatique serait proposé aux entreprises afin de réduire la charge administrative y afférente. Des précisions sont encore attendues sur ce sujet.
Ajustements à la suite à des réformes adoptées récemment
Est notamment concerné l’intermédiaire désigné par un assujetti établi hors de l’UE lorsque ce dernier réalise des ventes à distance de biens importés dans l’UE et décide de déclarer ces ventes via le guichet unique IOSS (CGI, art. 298 sexdecies H, I, C, 2°).
L’article 289 A, IV A du CGI modifié prévoirait désormais que les représentants fiscaux devront satisfaire aux trois conditions suivantes :
Pour rappel, la Loi de Finances pour 2020 a prévu la simplification du recouvrement de la TVA d’importation due par les assujettis. Ainsi, à compter du 1er janvier 2022, ces derniers seront en principe tenus de déclarer l’ensemble de leur TVA auprès de la DGFIP (déclaration, paiement et déduction).
Le bénéfice de cette mesure serait étendu aux personnes morales non assujetties au titre de leurs opérations dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2021.
Mise en conformité
Le PLF pour 2022 prévoit une modification du périmètre de l’option à la TVA pour les opérateurs du secteur financier prévue par l’article 260 B du CGI au titre des opérations bancaires et financières. Alors que le régime actuel prévoit une option globale qui s’applique automatiquement à l’ensemble des opérations optables lorsqu’elle est formulée, le nouveau régime permettrait de substituer à ce caractère global une option précise opération par opération, sans cantonnement par type d’activité.
Selon le projet de texte, seuls les effets de l’option seraient modifiés, à l’exclusion des modalités relatives à sa notification ou au champ d'exercice de l’option. Une lettre simple informant l’administration fiscale de l’intention de l’assujetti d’opter pour la taxation serait donc toujours suffisante.
L’option à la TVA serait ainsi matérialisée pour l’assujetti par l’application de la TVA sur ses opérations et devrait donc être reflétée en principe sur les factures émises.
Le projet de loi complète les dispositions de l’article 266, 1, a bis du CGI s’agissant de la base d’imposition applicable en cas d’émission d’un BUM. Pour rappel, le BUM regroupe tous les bons ne répondant pas à la définition du bon à usage unique (BUU). Il s’agit d’un bon donnant droit à recevoir des biens ou services pour lesquels le lieu de taxation et/ou le taux de TVA ne sont pas déterminés avec suffisamment de précision au moment de son émission pour calculer la TVA lorsque le bon est émis. En application du 2 de l’article 256 ter du CGI, les transferts de bons à usages multiples précédant leur utilisation ne sont pas soumis à la TVA. C’est au moment de la remise matérielle des biens ou de la réalisation de la prestation que la taxation intervient, tous les éléments de nature à permettre la liquidation de la TVA étant alors connus.
La transposition en droit interne de la directive 2016/1065 du 27 juin 2016 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne le traitement des bons demeurait incomplète s’agissant des dispositions concernant la base d’imposition des opérations liées à l’émission d’un BUM.
Il serait désormais précisé que la base d'imposition à la TVA des opérations fournies en contrepartie de la remise d'un bon à usage multiple est fixée par rapport à la valeur monétaire indiquée sur le BUM ou dans la documentation correspondante en l'absence d'information sur l'opération sous-jacente.
Cette modification de la date d’exigibilité de la TVA portant sur les livraisons de biens fait suite à une décision de la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 28 mai 2021, n°19NT03579, SAS Technitoit).
Dans cette décision, la Cour a estimé que l’article 269, 1° du CGI, dans sa rédaction actuelle, prévoyant que l’exigibilité de la TVA portant sur les livraisons de biens n’intervient qu’à la livraison effective du bien (peu important les paiements intervenant avant cette livraison), était contraire à l’article 65 de la Directive TVA, lequel prévoit que la TVA est exigible dès paiement d’un acompte, sans distinguer entre les livraisons de biens et les prestations de services.
Cette mise en conformité avec la Directive TVA s’appliquerait aux acomptes encaissés à compter du 1er janvier 2023.
Désormais, seraient soumis au taux réduit de 5,5 % tous les produits destinés à l’alimentation humaine, peu important le cycle de production. Cette proposition vise à la simplification des règles de détermination du taux de TVA qui dépendent actuellement du niveau de transformation des aliments (produit brut ou produit fini, produit consommable en l’état ou non consommable en l’état, produit agricole…).
Désormais, bénéficieraient du taux réduit de 5,5 %, les dispositifs médicaux innovants bénéficiant d’une prise en charge précoce et dérogatoire (« forfait innovation » et procédure de prise en charge transitoire).
Ce dispositif vise à aligner le régime des dispositifs médicaux innovants et bénéficiant d’une prise en charge transitoire sur celui des médicaments bénéficiant d’une autorisation transitoire d’utilisation (lesquels bénéficient, au même titre que les médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché, du taux spécial de 2.1 %).
Désormais, lorsqu’ils sont préparés à partir du sang ou de ses composants, les produits sanguins labiles destinés à des fins de recherche sur la personne humaine et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro seraient soumis au taux spécial de TVA de 2.1 %. Ce dispositif a vocation à préciser la rédaction de l’application du taux spécial aux produits sanguins, lesquels bénéficient pour une large partie d’une exonération de TVA lorsqu’ils sont fournis dans un usage thérapeutique (CGI, art. 261, 4, 2°). Seraient ainsi précisément mentionnés les produits sanguins dont la livraison est exonérée et ceux dont la livraison est soumise au taux spécial.
Renforcement de la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB) dans les transports (PLF art. 29)
La TIRIB a pour objet d’assurer la présence d’un minimum d’énergie renouvelable au sein des quantités totales de carburants essence et gazole. Elle repose sur un principe incitatif : le metteur sur le marché est imposé sur l’écart entre le pourcentage cible d’incorporation d’énergie renouvelable et la proportion d’énergie renouvelable contenue dans le produit concerné.
L'article 29 du PLF pour 2022 s'inscrit dans un renforcement de la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB) dans les transports codifiée à l’article 266 quindecies du Code des douanes.
Cette mesure permettrait d’augmenter, à compter du 1er janvier 2023, les niveaux d'incorporation à :
En parallèle, sont également renforcées les modalités de prise en compte de l'hydrogène d'origine renouvelable dans la chaîne de production.
Maintien du régime de l’octroi de mer pour la période 2022/2027 dans les régions ultrapériphériques de l'UE (PLF art. 31)
L’article 31 du PLF 2022, à la suite à la décision du conseil de l'Europe n°2021-991 du 7 juin 2021, transposerait dans l’ordre juridique français la reconduction du régime de l'octroi de mer dans les régions ultrapériphériques de l’UE (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion) pour la période 2022/2027.
Par ailleurs, de nouvelles dispositions seraient introduites à la suite de cette décision consistant en :
Transferts de compétences de la Direction Générale Des Douanes et des Droits Indirects (DGDDI) à la Direction des Finances Publiques (DGFiP) (PLF art. 34)
L'article 34 du PLF 2022 prévoit le transfert de la Direction Générale Des Douanes et des Droits Indirects (DGDDI) à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP), de la prise en charge et du recouvrement des créances recouvrées non soldées des majorations et intérêts de retard qui se rapportent notamment aux impositions suivantes : la taxe spéciale sur certains véhicules routiers, le droit de francisation et de navigation, les taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), le gaz naturel (TICGN) et le charbon (TICC) ainsi que la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), les taxes sur les alcools et les tabacs, la TVA à l’importation….
Le calendrier prévisionnel publiés par la DGDDI prévoit que les transferts de compétences vers la DGDDI se feraient à compter du 1er janvier 2022 pour la TICGN, la TICFE, la TICC, le recouvrement des droits de navigation et la TVA à l’importation et à compter du 1er janvier 2024 pour le recouvrement des accises sur les tabacs, les alcools et les boissons alcooliques, la TICPE, la TSC et la TIRIB.
Le projet prévoit que ces transferts seront en tout état de cause effectifs au plus tard le 1er janvier 2026.
Principales autres mesures
Principaux amendements votés en séance publique