Valorisation des apports

Les enjeux et les risques fiscaux liés à la valorisation des apports

Dans le cadre d’opérations de fusions ou opérations assimilées, la détermination de la parité d’échange et la valorisation des apports sont cruciales en matière fiscale. Ces questions ont en effet donné lieu à de nombreux redressements, comme en témoigne la jurisprudence.

Principe : la valeur réelle doit être retenue en matière fiscale …

La nécessité de prendre en compte les valeurs réelles concerne tant le calcul de la parité d’échange que les valeurs d’apport à retenir dans le traité.

… Aussi bien pour le calcul de la parité d’échange

La parité d’échange correspond au nombre de titres que la société bénéficiaire des apports doit émettre en rémunération d’un apport. Il est déterminé en fonction du rapport d’échange, ou parité.

Au plan fiscal, les parités d’échanges doivent être déterminées en fonction de la valeur réelle des apports et de la société qui les reçoit.

L’administration considère que lorsque la valeur réelle des titres remis en rémunération est inférieure à la valeur réelle de l’apport, la société apporteuse doit constater, à concurrence de la différence, un produit taxable qui correspond à la libéralité consentie.

Par tolérance, l’administration fiscale admet une rémunération des apports calculée sur la base de la valeur de l’actif net comptable au regard des sociétés apporteuses et bénéficiaires des apports qui placent régulièrement leurs opérations d’apport partiel d’actif sous le régime de faveur des fusions de l’article 210 A du CGI, à condition que :

  • (i) les titres reçus par la société apporteuse en contrepartie de son apport représentent au moins 99 % du capital de la société émettrice tel qu’il résulte de l’opération ;
  • (ii) la participation détenue par la société apporteuse dans la société bénéficiaire des apports représente au moins 99,99 % du capital de cette dernière société après réalisation de l’opération d’apport ;
  • (iii) tous les titres de la société bénéficiaire des apports présentent les mêmes caractéristiques.

En pratique, cette tolérance fiscale concerne principalement les sociétés récemment créées, ou disposant d’un faible capital social et n’ayant pas d’activité au moment de l’apport.

Ainsi, à l’occasion d’un arrêt Lafarge rendu par le Conseil d’Etat en 2020 (CE 1er juillet 2020 n° 418378), il a été jugé que la détermination d’une parité d’échange sur la base des valeurs comptables caractérisait une subvention. En cas de contrôle fiscal, cette subvention pourra être réintégrée au résultat fiscal de la société apporteuse, sur le fondement de l’acte anormal de gestion. En présence d’un groupe d’intégration fiscale, la pénalité de 5% pour défaut de déclaration des subventions intra-groupe pourra également s’appliquer sur cette différence entre la valeur comptable et la valeur réelle apports.

Compte tenu de ces éléments, il est donc impératif dans la pratique de veiller à respecter les valeurs réelles pour déterminer la parité d’échange dans le cadre d’une opération d’apport.

… Que pour la détermination des valeurs d’apport

De la même manière, les éléments d’actif et de passif apportés doivent en principe être évalués à leur valeur réelle à la date de l’opération.

La valeur fiscale des apports pourra néanmoins correspondre à la valeur comptable lorsque cette dernière doit obligatoirement être retenue pour la transcription des apports dans les comptes de la société bénéficiaire (notamment lorsque les sociétés sont placées sous contrôle commun), et à la condition que les apports soient et demeurent soumis, au regard de l’impôt sur les sociétés, au régime de faveur des fusions.

En dehors de cette tolérance, lorsque l’opération doit être réalisée sur la base des valeurs réelles, et que les valeurs retenues dans le traité d’apport s’écartent de ces valeurs telles que déterminées selon les techniques habituelles de valorisation (on parle alors d’apport à prix majoré ou minoré), il existe un risque fiscal.

Ainsi, en cas d’apport pour une valeur minorée, c’est-à-dire lorsque la valeur réelle des éléments apportés excède leur valeur figurant dans le traité d’apport, le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt Cérès (CE 9 mai 2018, n° 387071), que la minoration de la valeur de transcription des apports constitue une libéralité consentie par l’apporteuse à la bénéficiaire des apports. L’administration fiscale est alors en droit de corriger la valeur comptabilisée par la société bénéficiaire des apports, ce qui entraine une variation d’actif net taxable pour cette dernière et donc potentiellement un supplément d’impôt sur les sociétés assorti d’une majoration et d’un intérêt de retard.

Concernant la société apporteuse, le fait de réaliser un apport à une valeur minorée constitue en principe à un acte anormal de gestion, donnant lieu à imposition au taux normal de l’IS (comme l’a jugé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 6 février n° 2019, n° 410248). Dans de telles circonstances, le Conseil d’Etat considère que la preuve de la libéralité doit être apportée par l’administration fiscale. Cette preuve implique, d’une part, la preuve de l’intention libérale et, d’autre part, un écart significatif entre la valeur d’apport et la valeur vénale du bien apporté. Précisons que l’intention libérale sera présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêt. Il reviendra alors à celles-ci, pour réfuter cette présomption, de démontrer l’existence d’une contrepartie.

A l’inverse, en cas d’apport à valeur majorée c’est-à-dire lorsque la valeur des apports retenue dans le traité d’apport et comptabilisée par la société bénéficiaire est supérieure à la valeur réelle des éléments apportés, la valeur d’inscription des actifs apportés ne peut pas être directement redressée chez la société bénéficiaire de l’apport.

Cependant, l'administration peut, le cas échéant, remettre ultérieurement en cause la déduction d'une provision, d'une moins-value ou d'annuités d'amortissement, à concurrence du montant correspondant à la majoration de valeur.

De plus, à hauteur de l’excédent de valeur constaté, la société bénéficiaire des apports pourra être réputée avoir consenti une libéralité à la société apporteuse, qui risque alors d’être imposée au titre d’un revenu réputé distribué. Sur ce terrain, le Conseil d’Etat a jugé récemment que la seule circonstance d'un apport pour une valeur majorée ne traduit pas par elle-même l'existence d'un appauvrissement de la société bénéficiaire de l'apport au profit de la société apporteuse (CE 20 octobre 2021 n° 445685). Si l’existence d’une libéralité n’est donc pas systématique en cas d’apport pour une valeur majorée, il n’en demeure pas moins qu’en l’état de la jurisprudence il convient tout de même de faire preuve de prudence.

Recommandation pratique : veiller à justifier les valeurs retenues

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il existe plusieurs bonnes pratiques permettant de sécuriser les valeurs retenues dans le traité :

Une fois ces précautions prises, toute différence entre la valeur réelle et la valeur retenue dans le traité, devra être justifiée par l’existence d’une contrepartie pour la société bénéficiaire de l’apport, notamment lorsque l’opération est réalisée intragroupe. Une telle justification devrait en principe permettre d’éviter un redressement au titre de l’acte anormal de gestion et/ou des revenus distribués pour les sociétés participant à l’opération.

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Arielle Ohayon-Cohen

Arielle Ohayon-Cohen

Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats

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