Impôts sur les bénéfices

Une entreprise peut maintenir à son passif une dette contractée à l’égard d’une société unipersonnelle à la suite de la liquidation de cette dernière.

CE 1er avril 2022, n° 445634, Erol Construction, mentionné au recueil Lebon

A l’occasion du contrôle fiscal d’une société, l’administration regarde comme un élément de passif injustifié du bilan des dettes inscrites au compte d’une EURL. Elle considère que ces dettes sont éteintes du fait de la liquidation de l’EURL et de sa radiation du RCS intervenues au cours de l’exercice contrôlé. Elle réintègre en conséquence ces sommes dans les bénéfices imposables de la société.  

La CAA juge que : 

  • Il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire que la dissolution d’une société emporte, de plein droit, transfert de ses droits et obligations, et notamment de ses créances, dans le patrimoine de ses associés, personnes physiques ;
  • la liquidation anticipée de l’EURL, prononcée le 29 février 2012, et sa radiation du registre du commerce et des sociétés avec effet au 24 avril 2012, a entraîné l'extinction des dettes en litige. 

Elle ajoute que la requérante ne justifie pas par ailleurs de la réalité d’un transfert de créance, ni par les formalités prévues par l’article 1690 du Code civil, ni par aucun autre moyen de preuve.

Le CE casse pour erreur de droit l’arrêt de la CAA.

Il relève que : 

  • Aux termes du 3ème alinéa de l'article 1844-5 du code civil « En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation ».
  • Ces dispositions ne sont pas applicables, en application du 4ème alinéa de ce même article, aux sociétés dont l'associé unique est une personne physique. 

  • Aux termes de l'article L.237-2 du code de commerce : " La société est en liquidation dès l'instant de sa dissolution pour quelque cause que ce soit sauf dans le cas prévu au 3ème alinéa de l'article 1844-5 du code civil. […] La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci. / La dissolution d'une société ne produit ses effets à l'égard des tiers qu'à compter de la date à laquelle elle est publiée au registre du commerce et des sociétés ".  

  • Il résulte de ces dispositions que l'ancien associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée peut se prévaloir d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société.

Réglant ensuite l’affaire au fonds le CE juge que : 

  • L'ancien associé unique, personne physique, de l'EURL pouvait se prévaloir d'un droit propre et personnel sur les créances en cause dont il est devenu titulaire le 24 avril 2012 à la suite de la société. 

  • En outre, la circonstance, à la supposer établie, que cet ancien associé n'ait pas cherché à recouvrer ces créances, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles n'étaient pas prescrites à la date de clôture de l’exercice de la requérante n'est pas de nature à en faire présumer l'abandon. 

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts  

Cette décision, mentionnée au recueil Lebon, est l’occasion pour le Conseil d’Etat de faire un point bien utile sur les règles de droit civil applicables en matière de dissolution des sociétés unipersonnelles, règles que l’administration et à sa suite la CAA n’avaient, semble-t-il, pas en tête. 

L’article 1844-5 du Code civil, bien connu des fiscalistes dans le domaine des fusions, énonce à son 3ème alinéa le principe selon lequel la dissolution d’une société dont l’ensemble des parts sociales est détenu en une seul main entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique, sans qu’il y ait lieu à liquidation. Ainsi dans une telle hypothèse, une fois passée la période d’opposition des créanciers, tous les éléments d’actif et de passif reviennent à l’associé unique, lequel peut donc être amené à répondre sur son propre patrimoine des dettes de la société dissoute.

Cette règle comporte toutefois une exception, figurant au 4ème alinéa de ce même article 1844-5. Il est ainsi prévu que « Les dispositions du troisième alinéa ne sont pas applicables aux sociétés dont l'associé unique est une personne physique ». Cette exception est issue de l’article 103 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques (NRE). L’objectif de cette disposition est de ne pas faire supporter à l’associé unique personne physique d’une société à responsabilité limitée le passif de la société en cas de dissolution, en restaurant à son profit l’écran protecteur de la personnalité morale qu’il avait créé lors de la constitution de la société et que les dispositions du 3ème alinéa de l’article 1844-5 contrecarraient.  

Ainsi pour les associés personnes physiques, ce sont les règles prescrites pour la liquidation des sociétés commerciales qui s’appliquent, notamment celles prévues à l’article L.237-2 du code de commerce en vertu desquelles dès l’instant où la société est dissoute, elle est placée en liquidation, ce qui permet de réaliser l’actif et de désintéresser les créanciers, sans que la responsabilité de l’associé personne physique ne soit engagée au-delà des capitaux apportés. A la clôture des opérations de liquidation, l’ancien associé personne physique se voit attribuer l’éventuel boni de liquidation si les actifs de la société dissoute sont supérieurs à ses passifs. 

La Cour de Cassation dans un arrêt du 5 mai 2009, M. O... et a c/ SCI La Marjolaine, n° 80-12.961, a confirmé cette position en jugeant que l'ancien associé unique, personne physique, d’une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée, peut se prévaloir d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société.

C’est donc en toute logique que le Conseil d’Etat a pu conclure à l’existence d’une erreur de droit de la part de la CAA qui avait jugé qu’il ne résultait d’aucune disposition législative ou réglementaire que la dissolution d’une société emportait de plein droit, transfert de ses droits et obligations, et notamment de ses créances, dans le patrimoine de ses associés, personnes physiques. 

On notera en outre qu’au cas d’espèce, il semble que la créance de la société dissoute qui était en litige  n’avait pas été répertoriée et réclamée lors de la mise en liquidation de la société, ce dont l’administration tirait argument pour affirmer que ladite créance avait fait l’objet d’un abandon par le créancier. 

En réponse à cet argument, le Conseil d’Etat rappelle, conformément à sa jurisprudence, que la circonstance que l’associé n’ait procédé à aucune action en recouvrement ne suffit pas, à faire présumer l’abandon de sa créance (en ce sens CE 8 juillet 1985,n° 31755, S.A. "Paul Delannoy et Cie"). 


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Philippe Durand

Philippe Durand

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Valérie Aelion

Valérie Aelion

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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