Intégration fiscale et indemnisation des filiales sortantes

Les articles 223 A et suivants du code général des impôts, qui régissent le régime de l’intégration fiscale, fixent les règles de calcul du résultat d’ensemble du groupe mais restent silencieux sur les modalités de répartition, entre les différentes sociétés membres de ce groupe, de la charge d’impôt subie ou de l’économie d’impôt réalisée du fait de l’application du régime.

Or, le passage dans un groupe d’intégration fiscale emporte pour les sociétés concernées un certain nombre de conséquences, dont certaines peuvent s’avérer défavorables, parmi lesquelles la plus fréquente est indubitablement la perte du droit au report des déficits subis durant la période d’appartenance au groupe. Ces derniers sont en effet transmis à la société tête de groupe en vue d’être imputés sur le résultat d’ensemble (CGI art. 223 E)1

Un tel contexte a naturellement conduit les groupes à envisager l’indemnisation des filiales sortantes du fait de la perte de certains de leurs attributs en raison de leur passage dans un groupe fiscal intégré.

Le principe d’une indemnisation est admis par la jurisprudence fiscale …

Les juges ont été saisis de la question à travers le prisme du régime fiscal de l’indemnité versée.

En effet, l’administration considérait initialement que dans le silence de la loi, la société mère du groupe devait obligatoirement bénéficier des économies résultant de l’application du régime de groupe. Cette position l’a conduite à analyser toute indemnisation versée par la société mère à l’occasion de la sortie du groupe d’une filiale comme une subvention taxable accordée à cette dernière.

Le Conseil d’Etat a cependant infirmé ce raisonnement dans une affaire où la convention d’intégration fiscale signée par la société mère et sa filiale, lors de l’entrée de cette dernière dans le groupe prévoyait, en cas de sortie, l’indemnisation de la filiale sortante à hauteur des surcoûts fiscaux dont son appartenance au groupe serait la cause (CE 11 décembre 2009 n° 301341, Sté GE Healthcare Clinical Systems). Il était prévu que le montant de cette indemnisation serait déterminé et réglé en application de ce principe et par accord entre les parties, au vu des éléments de fait constatés à cette date.

Lors de sa sortie du groupe, cette filiale avait ainsi perçu une indemnité qu’elle avait déduite de manière extra-comptable de son résultat fiscal, au motif qu’elle venait en compensation d’une charge d’impôt sur les sociétés résultant de la perte du droit au report de ses déficits.

La cour administrative d’appel avait donné raison à l’administration qui regardait l’indemnité comme une recette imposable au motif que la perte du droit au report des déficits par la filiale résultait de la seule application de la loi fiscale et que la filiale ne pouvait utilement se prévaloir de l’obligation contractuelle résultant de la convention d’intégration signée avec la société mère. 

Le Conseil d’Etat a annulé cette décision, jugeant en premier lieu qu’aucune disposition législative ne faisait obstacle à ce que, par convention, la société mère s’engage à dédommager une filiale déficitaire qui sort du groupe du préjudice qu’elle subit à raison des conséquences fiscales liées à la perte du droit au report de ses déficits. Se fondant sur son arrêt antérieur de Plénière (CE 12 mars 1982 n° 17074), dont il ressort que les sommes versées en vertu d'une obligation de réparation incombant à la partie versante ne constituent des recettes concourant à la formation de bénéfice imposable que si la perte ou la charge qu'elles ont pour objet de compenser est elle-même déductible, la Haute Juridiction a jugé que l’indemnité, ayant pour objet de compenser le supplément d'impôt sur les sociétés supporté par la filiale après sa sortie du groupe en raison de l'impossibilité de reporter sur ses propres résultats ses déficits, à raison desquels le groupe avait bénéficié d'une économie d'impôt, ne constituait pas une recette imposable pour la filiale, ni une charge déductible pour la société mère.

Cette solution a ensuite été étendue à l’hypothèse d’une convention d’intégration fiscale comportant une clause prévoyant qu’en cas de sortie du groupe, la société mère se rapprocherait de la filiale sortante pour déterminer contractuellement les modalités de prise en compte des surcoûts éventuels liés à la sortie de cette filiale du périmètre d’intégration, quelle que soit la cause de la sortie. Le Conseil d’Etat a considéré que cette clause, bien que ne comportant pas l’engagement de la société mère de couvrir l’intégralité du préjudice subi par la filiale à l’occasion de sa sortie du périmètre d’intégration, traduisait néanmoins l’engagement contractuel de cette dernière sur le principe du versement d’une indemnité à sa filiale, quelle que soit la cause de la sortie de celle-ci du périmètre (CE 24 novembre 2010 n° 333867, Sté Saga). Laurent Olléon, dans ses conclusions sous cette décision, s’est interrogé sur l’existence, en présence d’une telle clause, d’une obligation contractuelle de nature à autoriser la solution issue de l’arrêt du 12 mars 1982, et s’est satisfait de cette existence après avoir relevé qu’il n’existait que peu de doutes sur le fait que l’engagement pris par la société mère dans le cadre d’une telle clause serait reconnu par un juge judiciaire si l’affaire était portée devant lui.

Selon le juge fiscal, l’indemnisation est donc possible, à condition de résulter d’une obligation contractuelle. Cependant, la jurisprudence laisse ouverte la question de l’indemnisation dans le silence de la convention d’intégration fiscale signée lors de l’entrée de la filiale dans le groupe. La logique juridique voudrait que l’obligation contractuelle puisse être créée par la conclusion d’une convention de sortie lors de la sortie du groupe de la filiale (Laurent Olléon s’était d’ailleurs exprimé en ce sens lors du Colloque organisé par le CEFEP le 15 juin 20112) dès lors que les parties y sont invitées par les dispositions de la convention d’intégration fiscale prévoyant une clause dite de "rendez-vous". Ainsi la prudence devrait à tout le moins inciter les groupes à inclure dans la convention d’intégration fiscale, dès sa signature, une clause dite de "rendez-vous" prévoyant qu’en cas de sortie, les parties se rapprocheront afin de convenir entre elles des conséquences de cette sortie et d’une éventuelle indemnisation du préjudice contingent. 

… et son principe même peut conditionner l’acceptabilité, sur le plan fiscal, des modalités de répartition de la charge d’impôt entre les sociétés du groupe

Il résulte également de la jurisprudence que les modalités d’indemnisation des filiales sortantes peuvent revêtir une certaine importance dans l’appréciation du caractère normal des règles de répartition de l’impôt entre les sociétés du groupe telles qu’elles ressortent de la convention d’intégration fiscale.

En effet, si le Conseil d’Etat fait prévaloir la liberté de répartition entre les sociétés du groupe de la charge d’impôt, ou le cas échéant de l'économie d'impôt résultant du régime d'intégration fiscale, c’est sous réserve du respect de certaines règles dorénavant bien établies. Afin de ne pas constituer un acte anormal de gestion, la répartition doit :

  • tenir compte des résultats propres de chaque société du groupe et 
  • ne porter atteinte ni à l'intérêt social propre de chaque société, ni aux droits des associés ou des actionnaires minoritaires. 

A ces conditions, les modalités de répartition de la charge d’impôt ou des économies d’impôt ne peuvent être regardées par l’administration comme traduisant le versement d'une somme ayant le caractère d'une subvention indirecte consentie entre sociétés du groupe au sens de l'article 223 B du CGI.

Ces règles sont issues d’un arrêt de principe dans le cadre duquel le Conseil d’Etat avait validé une convention d’intégration fiscale dans le cadre de laquelle la charge d’impôt était répartie entre les sociétés du groupe au prorata des résultats des filiales (CE 12 mars 2010 n° 328424, Sté Wolseley Centers France). Elles ont depuis lors été mises en œuvre à plusieurs reprises par la Haute Juridiction qui a pu, pour apprécier leur respect, prendre en compte les conditions d’indemnisation des filiales en cas de sortie du groupe. Ainsi, dans une affaire où était en cause une convention d’intégration fiscale prévoyant que la société mère supporterait seule la charge définitive des cotisations d’IS et des contributions additionnelles à cet impôt sans refacturer cette charge à ses filiales, même pour partie, le Conseil d’Etat a relevé que la convention préservait les droits des associés ou des actionnaires minoritaires dès lors que les filiales n’étaient jamais conduites à supporter une imposition supérieure à celle qu’elles auraient supportées en l’absence d’intégration fiscale et qu’en cas de sortie du groupe, elles étaient indemnisées à hauteur du surcoût d’imposition résultant de ce qu’elles n’auraient pas été en mesure d’imputer leurs déficits sur leurs résultats ultérieurs par l’effet de l’intégration (CE 5 juillet 2013 n° 351874, Sté Kingfisher International France).

Bien que l’arrêt n’aborde pas directement la question sous cet angle, il semble donc que la présence dans la convention d’intégration de stipulations relatives à l’indemnisation des filiales sortantes puisse s’avérer nécessaire pour assurer l’acceptabilité de conventions ne respectant pas le principe de neutralité sur le plan fiscal et éviter la qualification de subvention indirecte en cas de versement d’une indemnité. A l’inverse, et bien que la jurisprudence n’ait pas eu à se prononcer sur ce point, la convention d’intégration fiscale n’a pas à prévoir l’indemnisation des filiales sortantes à raison des déficits subis durant leur présence dans le groupe lorsque cette convention prévoit la réallocation aux sociétés déficitaires de l’économie d’impôt provenant de l’utilisation effective de leurs déficits par le groupe (type de convention validé par l’arrêt CE 24 novembre 2010 n° 334032, Sté Océ NV).

… et s’avérer prudente sur le terrain du droit commercial 

En ce qu’elle se réfère à l’intérêt social propre de chaque société et aux droits des associés ou actionnaires minoritaires pour écarter le caractère anormal de l’indemnisation et, partant, éviter la qualification de subvention indirecte, la jurisprudence fiscale s’approprie certains principes issus du droit des sociétés. 

Précisément, l’enjeu de l’indemnisation des filiales en cas de sortie de groupe ne se limite pas aux incidences fiscales.

Sur le terrain des conventions réglementées

On rappellera que la CNCC3 considère que les conventions d’intégration fiscale sont des conventions courantes, et qu’elles présentent un caractère normal si elles respectent le principe de neutralité, c’est-à-dire si elles n’ont pas pour effet de placer la filiale dans une situation moins bonne que celle qui aurait été la sienne en l’absence d’option pour le régime de l’intégration. A cet égard, l’absence de stipulation dans la convention relativement aux conséquences de sortie prévoyant notamment la possible indemnisation de la filiale sortante pourrait contribuer à faire basculer la convention dans le formalisme des conventions réglementées. Or, faute de respecter la procédure d’autorisation qui consiste, pour les SA, en une autorisation préalable du conseil d’administration ou du conseil de surveillance avant la signature, puis en l’approbation par l’assemblée générale après la signature, la survenance d’un préjudice au détriment de la filiale serait notamment susceptible d’engager la responsabilité civile des dirigeants. A noter toutefois qu'en tout état de cause, la procédure des conventions réglementées ne s’appliquera pas quand l’une des sociétés concernées détient directement ou indirectement 100% du capital de l’autre (article L. 225-39 du Code de commerce).

Sur le terrain du droit des sociétés

La jurisprudence judiciaire paraît engagée en faveur de l’indemnisation des filiales sortantes, lorsque ces dernières ont subi un préjudice effectif, par deux décisions un peu anciennes du Tribunal de commerce de Paris le cadre desquelles il a été jugé que :

  • la convention d’intégration fiscale imposée, au sens de l’ancien article 1134 du code civil, par une société mère à sa filiale détenue à plus de 95 %, peut présenter un caractère abusif,  et que le principe de neutralité en vertu duquel une filiale intégrée ne doit pas supporter une charge d’impôt supérieure à celle qu’elle aurait supportée en l’absence d’intégration fiscale n’a pas à s’appliquer uniquement pendant la période d’intégration et doit par conséquent recevoir une traduction concrète, sous forme d’indemnisation d’une filiale sortant qui, ayant transmis au groupe les déficits subis alors qu’elle était membre du groupe, se trouve privée du droit de les utiliser après sa sortie (T. Com. Paris 18 novembre 2004 n° 2003023988-1) ;
  • lorsque la convention prévoit que le préjudice résultant de la cessation de l’intégration fiscale sera compensée par une indemnité dont le montant ne pourra excéder ni le montant de l’appauvrissement de la filiale, ni celui de l’économie d’impôt réalisée par la société mère, cette clause doit être appliquée et le préjudice indemnisé (T. Com. Paris, 18 juin 1996 n° 95.100567).

Un arrêt plus récent de la Cour d’appel de Paris semble marquer un certain retrait dans une affaire où la convention d’intégration fiscale comportait une clause prévoyant qu'en cas de sortie du périmètre d'intégration « les parties conviennent de se rapprocher pour déterminer si la sortie de la Filiale s'est traduite pour elle par des pertes de prérogatives susceptibles de faire l'objet d'un dédommagement ». La Cour considère que l’existence de déficits chroniques de la filiale constitue la raison « vraisemblable » pour laquelle aucune négociation n’a eu lieu entre les parties, sachant qu’il n’était pas établi que la filiale soit devenue bénéficiaire par la suite. La responsabilité contractuelle de la société mère ne s’est donc pas trouvée engagée (ni d’ailleurs la responsabilité extra-contractuelle qui était recherchée par la filiale à titre subsidiaire). La Cour a également considéré que le principe de neutralité dont se prévalait la filiale était étranger à la question de l'indemnisation d'une société sortante, prenant ainsi le contrepied du jugement précité du Tribunal de Commerce de Paris (CA Paris, 28 février 2019 n° 18/01621). Le pourvoi contre cette décision ayant été rejeté par la Cour de cassation par une décision non spécialement motivée (Cass. Com. 12 mai 2021 n° 19-19.252), la question reste ouverte. On retiendra toutefois que l’appréciation de fait portée par la Cour d’appel sur l’absence de préjudice subi par la filiale en raison de sa situation chroniquement déficitaire aura pu influencer ce rejet. A l’inverse, dans les deux affaires précitées soumises au tribunal de Commerce de Paris, le préjudice était effectif.

On retiendra en définitive que la clause de rendez-vous sur l’indemnisation du préjudice subi par la filiale sortante, prévue dans la convention d’intégration fiscale, si en elle-même, elle ne règle pas toutes les difficultés, est une solution prudente à privilégier, y compris sur le plan juridique, en raison de la souplesse qu’elle apporte et de la nécessité de se prémunir contre les impacts possibles d’un défaut d’indemnisation, notamment dans un contexte de cession de la filiale. Dans le prolongement de la clause de rendez-vous, une convention de sortie pourra alors être conclue entre la filiale sortante et la société mère du groupe, fixant les modalités d’indemnisation de la filiale ou faisant expressément état de l’absence d’indemnisation et des raisons valables la justifiant. Par ailleurs, l’absence d’indemnisation pourra utilement être mentionnée dans l’acte de cession de la filiale et la convention de sortie lui sera annexée, de telle sorte que l’acquéreur de la filiale soit lié. Sans ces précautions, la société mère se trouverait exposée à des poursuites de la filiale dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle. 


Sources

 1 Une exception est prévue dans le cas particulier d’une société sortant du groupe à la suite d’une cession de titres effectuée dans les dix-huit mois de l’ouverture d’une sauvegarde ou de redressement judiciaire (CGI art. 223 E, al. 2).

2 Droit Fiscal n° 44, 3 novembre 2011, n° 568.

3 Rapp. CNCC, Les conventions réglementées et courantes, février 2014.

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