Intérêts moratoires

En cas de faute de l’administration fiscale ayant conduit à rehausser un contribuable, ce dernier ne peut demander le remboursement des frais liés à l’emprunt réalisé pour acquitter l’impôt réclamé à tort, les intérêts moratoires ayant pour objet de réparer ce préjudice subi.

CE 10 décembre 2021, n°437412, mentionné au recueil Lebon

Un couple de contribuables se voit notifier par l’administration fiscale un redressement sur le fondement de l’abus de droit. Ils contestent celui-ci mais le TA, tout comme la CAA leur donnent tort. Ils acquittent alors le montant des impôts réclamés, en ayant pour ce faire recours à l’emprunt.

Parallèlement au paiement des sommes, ils se pourvoient en cassation devant le CE qui leur donne raison et prononce la décharge des impositions.

L’administration restitue alors les sommes versées majorées d’intérêts moratoires à hauteur de 475 703,26 euros conformément à l’art.  L.208 du LPF.

Les contribuables saisissent par la suite les juridictions administratives en vue d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la faute commise par les services fiscaux. A ce titre, ils demandent réparation d’un préjudice de 1 200 118 euros ainsi que 25 000 euros en réparation du préjudice moral.

La CAA, reconnaissant la faute de l’administration, accorde  une indemnité de 75 530 euros décomposée entre :

  • 70 530 euros, en réparation des intérêts d’emprunts et des frais de dossier supportés par les contribuables lors de l’emprunt souscrit pour payer l’impôt,
  • et 5 000 euros au titre du préjudice moral.

Le Ministre se pourvoit devant le CE contre cet arrêt, contestant l’existence d’une faute de ses services au motif que :

  • seule une décision du CE, postérieure à celle du rehaussement, a permis à l’administration de connaître l’existence d’une erreur dans son interprétation juridique
  • de telle sorte qu’il ne pouvait exister, au jour du rehaussement, de faute de l’administration.

Le CE considère que la CAA a retenu à juste titre :

  • que l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat
  • avait été révélée par la décision du CE prononçant la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels les contribuables avaient été assujettis à tort.

Il juge cependant que la CAA a entaché son arrêt d’une erreur de droit en condamnant l’Etat à verser la somme de 70 530 euros en réparation des intérêts d’emprunt et des frais de dossier supportés par les contribuables pour acquitter les suppléments d’impôts indûment mis à leur charge dès lors que si :

  • en cas de dégrèvement prononcé à la suite d'une réclamation portant sur l'assiette ou le calcul de l'impôt, le contribuable :
    •  a droit à la perception des intérêts moratoires assis sur les impositions dégrevées,
    • qui ont pour objet de tenir compte de la durée pendant laquelle il a été privé des sommes correspondantes, en compensant en particulier
    •  les effets de l'indisponibilité de celles-ci
    •  et les coûts de substitution que l'intéressé a été contraint d'exposer.
    • et peut également demander la réparation des préjudices causés par une faute de l'administration fiscale ne résultant pas du seul paiement de l'impôt, notamment ceux résultant des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration ou des troubles causés dans ses conditions d'existence.
  • le préjudice financier subi au cas particulier par les contribuables, résultant du coût du financement nécessaire au paiement des impôts supplémentaires mis à leur charge,
    • avait déjà été couvert par les intérêts moratoires,
    • dont la restitution d'impôt avait été assortie.

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts 

L’engagement de la responsabilité de l’administration fiscale a connu des assouplissements ces dernières années.

Avant 2011, le contribuable ne pouvait espérer obtenir réparation des préjudices subis du fait d’un rehaussement injustifié que s’il était en mesure de démontrer la faute lourde de l’administration fiscale. Le Conseil d’Etat, dans une décision du 21 mars 2011 (CE, Sect., 21 mars 2011, n°306225), avait néanmoins opéré un revirement de jurisprudence en estimant que la seule faute simple de l’administration suffisait désormais à engager la responsabilité de cette dernière.

Dans la présente décision, le Conseil d’Etat confirme cette jurisprudence et indique d’ailleurs implicitement que l’ambiguïté d’un texte ne fait pas obstacle à l’existence de la faute. En effet, en indiquant que l’existence de la faute était révélée au cas particulier par la première décision du Conseil d’Etat, alors même que le Tribunal administratif et la Cour administrative d’appel avaient donné raison à l’administration, la Haute juridiction administrative considère que même en cas de doute sur l’interprétation de textes, la faute de l’administration est caractérisée si elle a mal interprété ce dernier.

Cependant, si la preuve d’une faute est relativement facile, il en est tout autre de la preuve de l’existence d’un préjudice subi par le contribuable du fait de l’action de l’administration.

A ce titre, le Conseil d’Etat avait précisé en 2011 que le seul paiement de l’impôt réclamé à tort par l’administration au contribuable ne constituait pas un préjudice et qu’il était nécessaire de démontrer qu’il existait un lien direct entre le préjudice dont le contribuable demande réparation et l’action de l’administration.

A première vue, il pouvait apparaître que les frais bancaires et intérêts payés afin de régler les sommes réclamées à tort par l’administration pouvaient bien respecter ces conditions.

Cependant, comme le relève le Conseil d’Etat, il existe à l’article L.208 du livre des procédures fiscales un mécanisme forfaitaire de réparation de ce préjudice à travers le versement d’intérêts moratoires. Le contribuable n’est donc pas en droit de demander, en engageant la responsabilité de l’administration fiscale, le remboursement des frais bancaires liés à un emprunt afin de payer l’impôt dès lors que les intérêts moratoires ont justement pour objet de réparer ce préjudice.

Cette décision restreint ainsi encore davantage le champ des préjudices dont un contribuable peut obtenir réparation en cas de faute de l’administration fiscale. Si l’impôt et les frais liés à un éventuel emprunt afin de régler les sommes sont exclus, le préjudice moral demeure quant à lui réparable dans ce cadre. Les montants octroyés par les juges à ce titre demeurent néanmoins relativement faibles (en l’espèce le montant est de 5 000 euros). Les frais de procédure sont quant à eux en principe déjà couverts par l’indemnité prononcée par le juge de l’impôt en application de l’article L761-1 du code de justice administrative même si là encore les montants sont dérisoires au regard des frais généralement engagés.

En conclusion, lorsque les juridictions déchargent un contribuable, celui-ci peut facilement être en mesure de démontrer la faute de l’administration fiscale de nature à engager sa responsabilité. Cependant, il sera nécessaire, avant d’engager toute action, de déterminer dans quelle mesure un préjudice rattachable à la faute de l’administration autre que l’impôt lui même, le financement de cet impôt ou les frais de procédure peut être invoqué afin de s’assurer que l’engagement de l’action ne coûte pas plus cher, in fine, au contribuable.


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Catherine Cassan

Catherine Cassan

Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats

Paul Mispelon

Paul Mispelon

Avocat, Senior Manager, PwC Société d'Avocats

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