Réflexion sur un des enjeux majeurs de la filière viticole : la transmission de l’exploitation

12/07/22

Le constat : 50% des viticulteurs auront plus de 60 ans dans moins de 10 ans et plus de 50% d’entre eux n’ont pas de repreneur.

La transmission est un des enjeux majeurs de la filière viticole : Pourquoi ?

La transmission :

  • assure la pérennité du vignoble ;
  • contribue au dynamisme de la filière ;
  • garantit le renouvellement d’une génération ;
  • participe au maintien d’une vie dans les territoires ;
  • maintient une activité qui permet la protection des paysages et la biodiversité des espaces ruraux.

L’absence de repreneur et le coût de la transmission sont les deux contraintes identifiées par les viticulteurs et les représentants des organisations professionnelles.

Ainsi dans le Plan de la filière Vins du 12 décembre 2017, « Créer les conditions d’un renouvellement des générations en vue de maintenir l’attractivité des territoires et conserver les emplois qui y sont liés » constituait déjà un des engagements ressortant des Etats généraux de l’alimentation.

L’absence de repreneur, identifiée par certains représentants d’organisations professionnelles comme la première contrainte à la transmission et la pérennité de l’exploitation viticole, est pour une large part due au manque d’attractivité de la filière viticole du fait de manque de rentabilité de l’exploitation, du travail difficile de l’exploitant tant physiquement que psychologiquement, des aléas climatiques (dont les épisodes de gel et de grêle), du poids du foncier, de l’inflation des réglementations, etc. Bien évidemment, les réalités sont différentes d’une région viticole à l’autre et au sein même d’une même région viticole.

 Conséquences de l’absence de repreneur

La première est la disparition de l’exploitation viticole qui devient une friche, à défaut d’être exploitée par un tiers qui l’aurait reprise par acquisition ou bail. C’est une des causes, méconnue du grand public, de l’artificialisation des terres.

L’absence de repreneur aboutit également à une transformation de la filière vers des systèmes concentrés ou intégrés ayant pour effet de transférer les savoir-faire, l’aval de la production mettant en place des organisations pour garantir leurs approvisionnements et empêcher les exploitations viticoles de disparaitre.

50% des viticulteurs que nous avions interrogés avant le confinement dans le cadre d’un tour de table sur les enjeux de la filière viticole, étaient prêts à vendre à défaut de repreneur. En revanche, 75% d’entre eux excluaient de donner à bail leur propriété, en premier lieu, du fait de la modicité des loyers et, en second lieu, du fait du statut des baux ruraux excluant toute reprise par le bailleur ou ses héritiers, sauf pour exploiter eux-mêmes ou sauf à grever son bien d’un bail pour une durée minimale de 25 ans (seul bail rural permettant la reprise de son bien par le propriétaire bailleur sans avoir à justifier de conditions de reprise).

La seconde contrainte à la transmission identifiée par les acteurs de la filière reste son coût et ce, du fait du prix du foncier et des droits de mutation à titre gratuit (droits de succession ou de donation) qui en résultent.

La valeur du foncier viticole n’a pas cessé d’augmenter au cours de ces dernières années pour atteindre dans certaines appellations des valeurs exceptionnellement élevées. Les viticulteurs, dans les vignobles sujets à ces augmentations, nous font part de leur inquiétude du fait de l’augmentation des prix du foncier, conséquence de l’attrait de leur vignoble pour plusieurs investisseurs et créant ainsi des références de prix à l’hectare. Ils s’interrogent sur leur capacité à financer sur ces nouvelles bases leur transmission.

Préparation et anticipation sont les mots clés de la réussite d’une transmission familiale

Une majorité de viticulteurs souhaitent que cette transmission se fasse dans un cadre familial et au profit de la génération suivante même si nous avons pu constater, depuis le confinement, que certains d’entre eux et leurs successeurs naturels ont décidé d’arrêter l'exploitation devant les difficultés rencontrées et de vendre la propriété.

Une transmission non préparée a un coût familial et financier pour les héritiers (indivision, mésentente, coût fiscal en matière de droits de mutation ainsi qu’en matière d’impôt sur le revenu dont la taxation éventuelle de plus-values) mais aussi pour la filière viticole en l’absence de reprise de l’exploitation viticole par un héritier ou un tiers.

Un des enjeux familiaux de la transmission n’est pas tant le montant des droits de mutation à titre gratuit (droits de succession ou droits de donation) que le coût de la sortie des associés familiaux non exploitants : en effet, de nombreux outils (résultant en particulier de dispositions du code général des impôts) permettent la réduction du coût fiscal de la transmission des domaines viticoles et de diminuer de façon significative le coût d’une transmission, sous réserve de l’anticiper.

Certains de ces outils sont spécifiques à l’agriculture (exonérations partielles de droits de mutation des biens donnés à bail rural à long terme, transmission de parts de groupements fonciers agricoles), d’autres sont communs à l’organisation des transmissions d’entreprise comme les engagements de conservation de titres (Pacte Dutreil) ou les réductions de droits dans le cadre de donations d’entreprises mais encore la diminution de l’assiette de calcul des droits lorsque seule la nue-propriété est donnée, etc.

Si le montant des droits de mutation à titre gratuit peut être diminué, le financement de la sortie des associés non exploitants est beaucoup plus complexe à résoudre et onéreux du fait de la valeur du foncier. La coexistence d’héritiers exploitants et non exploitants est souvent source de conflits familiaux gênant au quotidien l’exploitant et pouvant aboutir dans certains cas à la vente de la propriété.

Le souhait de sortie des associés familiaux non exploitants est accentué par l’augmentation de la valeur d’un patrimoine non disponible, au surcroît s’il ne procure qu’un revenu faible (notamment quand il s’agit de fermage). Il en résulte, à défaut de l’avoir anticipé, des conflits et une opposition d’intérêts en relation avec la valorisation du bien de l’associé sortant et la capacité (ou incapacité) de financement de cette sortie par l’associé exploitant.

La préparation, le dialogue et le temps sont les clés de la réussite d’une transmission familiale non seulement pour en diminuer le coût mais surtout pour mettre en place, en recherchant un consensus familial, des structures organisant la sortie (éventuellement partielle et échelonnée) de certains associés tout en préservant l’exploitation et sa capacité à financer la sortie mais aussi les investissements nécessaires à son développement.

Ce processus menant à l’organisation de la transmission doit aboutir à des décisions acceptées et comprises de tous et adaptées à chaque situation. En tout état de cause, et si souvent la première démarche des intéressés est de minorer le coût fiscal de la transmission, une réflexion menée avec ce seul objectif est vouée à l’échec si l’organisation mise en place n’a pas pris en compte les aspects humains, familiaux, organisationnels (gouvernance de l’entreprise), économiques et autres de la transmission.

La transmission nécessitera et est l’occasion, bien souvent, de « repenser » l’entreprise viticole, son organisation, son avenir, ses priorités, etc.

Les résultats du travail alors réalisé sont divers :

  • réussir une transmission à titre gratuit à un enfant en ayant, le cas échéant, organisé la sortie totale, optionnelle ou progressive des autres enfants, dans le cadre d’un consensus familial, d’une organisation adaptée et d’un financement maitrisé ;
  • décider une cession de l’entreprise familiale à plus ou moins long terme en l’absence de repreneur ou dans l’hypothèse où le repreneur pressenti n’est pas en capacité de racheter la part des autres, la génération susceptible de transmettre optant finalement pour la cession pour éviter tout conflit familial entre les membres de la génération suivante ;
  • rechercher auprès de tiers autres que financiers les moyens de financer la sortie d’une branche familiale, soit en externalisant une partie du foncier dans les groupements appelés « groupements fonciers viticoles – GFV » ou des fonds, soit en envisageant l’entrée de capitaux extérieurs dans le capital de l’entreprise. Ces opérations sont complexes et posent souvent plusieurs difficultés liées en particulier aux réglementations applicables ou encore à la capacité pour l’entreprise d’intéresser et de s’entendre avec des partenaires.

Quel que ce soit le contexte de la transmission de l’entreprise viticole, il est essentiel de ne pas la subir mais de l’anticiper et la préparer.

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Paule  Cathala

Paule Cathala

Avocat Of Counsel, PwC Société d'Avocats

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