15/11/22
Dans un contexte de crise climatique et énergétique, le Gouvernement a déposé fin septembre au Parlement un projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables, avec pour ambition de rattraper le retard pris par la France dans ce domaine.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, chargée d’examiner le texte, a jugé le projet « insuffisant et lacunaire », estimant que « peu de mesures sont de nature à accélérer substantiellement les projets, en particulier sur le plan des procédures administratives ».
Dans la nuit du vendredi 4 novembre au samedi 5 novembre, le Sénat a adopté, en première lecture, après engagement de la procédure accélérée, un projet de loi enrichi notamment par les travaux de la commission. Le texte est en effet passé de 21 à 90 articles.
Nous revenons sur les principales mesures de cette réforme et les modifications introduites par les sénateurs.
Les sénateurs estiment que pour éviter les contentieux, les collectivités territoriales et les citoyens doivent pouvoir contribuer, au plus près du terrain, à la politique énergétique du pays.
Ils ont consacré à cette thématique un titre préliminaire, ajouté au projet de loi d’origine, qui comprend les mesures suivantes :
Le droit de véto des maires envisagé un moment par la commission du Sénat a finalement été abandonné à l’issue de la discussion publique : Pour améliorer leur acceptabilité, le texte issu des travaux en commission soumettait les projets éoliens terrestres, de méthanisation et de centrales photovoltaïques au sol, dont l’autorisation relève de la compétence de l’Etat, à un régime d’approbation ou d’interdiction préalables par les maires. Cette proposition était fortement critiquée car elle accordait aux maires une sorte de « droit de veto », générant un risque politique peu favorable pour le développement des projets. Paradoxalement, ce mécanisme incertain et source de contentieux apparaît comme un frein et non un accélérateur des énergies renouvelables. Le texte adopté par le Sénat abandonne cette mesure au profit de deux nouveaux articles portant respectivement sur la sauvegarde du patrimoine et la protection des riverains contre les nuisances sonores.
Le Gouvernement a fait des mesures de simplification administrative un axe fort de son projet de loi, avec pour objectif affiché de diviser par deux les délais de déploiement des projets concernés. Les sénateurs ont estimé que le dispositif était insuffisant pour obtenir des gains de temps substantiels. Ils ont donc largement remanié le projet de loi sur ce point.
Les mesures de simplification issues du projet de loi du Gouvernement et remaniées par le Sénat
Le texte adopté par le Sénat reprend, en les adaptant, la plupart des mesures prévues dans le projet de loi déposé par le Gouvernement :
Reconnaissance de la qualité d’opération répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur aux projets d’énergies renouvelables : Le projet de loi prévoit de reconnaître la qualité d’opération répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) aux projets d’énergies renouvelables et, à la suite d’un ajout des sénateurs, aux dispositifs de stockage d’énergie renouvelable et l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone. Cette mesure permettra de déroger pour ces projets à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leur habitat en application de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. La mesure a été remarquée car elle illustre la tension qui peut exister entre les objectifs de la loi et les exigences environnementales. Ce système reste cependant source de contentieux potentiels. Rappelons qu’il y a peu, le Conseil d’Etat admettait une voie d’urgence devant le juge du référé liberté pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement, faisant ainsi planer une menace sur les mesures de simplification envisagées par le Gouvernement (CE, 20 septembre 2022, req. n° 451129).
Les mesures de simplification ajoutées par le Sénat
De nombreuses mesures plus ponctuelles ont été ajoutées par le Sénat au projet de loi, par exemple :
Focus sur la simplification du contentieux environnemental
Le contentieux est perçu par les auteurs du projet de loi comme un frein aux projets d’implantation d’énergies renouvelables. Le projet de loi crée ainsi une obligation pour le juge administratif, avant de procéder à une éventuelle annulation d’une autorisation environnementale, de surseoir à statuer en vue d’une régularisation.
Les sénateurs ont complété ces dispositions par de nouveaux éléments visant à sécuriser les porteurs de projet en cas de contentieux portant sur les autorisations environnementales. Le texte prévoit la création d’un fonds de garantie avec adhésion volontaire (obligatoire dans la version de la commission) pour couvrir les risques contentieux pesant sur les porteurs de projets. Il est permis de s’interroger sur la viabilité de ce mécanisme qui accorde une sorte de droit à l’erreur aux porteurs de projets et en faisant supporter le coût de l’indemnisation à l’ensemble des producteurs. Il sera intéressant, si cette initiative devait prospérer, de suivre les multiples questions que poserait cette mesure (conditions d’éligibilité, montant de la contribution financière, taux et plafonds d’indemnisation, etc.).
Mobilisation du foncier pour accélérer le développement du solaire
L’objectif du Gouvernement est de multiplier par huit la capacité de production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW à l’horizon 2050. Dans cette perspective, il propose des mesures sectorielles pour accélérer le déploiement des énergies solaires (thermique, photovoltaïque et agrivoltaïque).
Le texte adopté par le Sénat reprend l’ensemble des propositions du Gouvernement et propose de les compléter :
Un régime juridique pour l’agrivoltaïsme ?
Parmi la multitude de nouvelles dispositions ponctuelles introduites par le Sénat, une retient en particulier l’attention. Le projet de loi adopté par le Sénat donne une définition juridique de l’agrivoltaïsme, reprenant quasiment mot pour mot celle de la proposition de loi en faveur du développement de l’agrivoltaïsme.
L’objectif est de créer un cadre juridique favorable pour encourager la participation aux appels d’offres des projets agrivoltaïques. Les sénateurs proposent une définition de cette notion qui souffre d'un flou législatif et fixent des objectifs et un cadre de soutien, dont notamment :
Mesures spécifiques à l’accélération du développement des projets d’énergies renouvelables en mer
De nombreuses mesures ont été proposées dans le domaine de l’éolien « offshore », que nous aborderons dans un prochain eMag juridique.
Encouragement des contrats d’achat direct
Clarifier le cadre juridique des PPA : Le texte adopté par le Sénat reprend en les adaptant les dispositions du projet de loi d’origine visant à clarifier le cadre juridique des contrats d’achat direct d’électricité ou Power Purchase Agreement (PPA).
Améliorer l’articulation entre PPA et dispositifs de soutien public au renouvelable : L’idée est d’encourager les entreprises et les collectivités territoriales à signer directement avec les producteurs d’électricité un contrat d’achat de long terme. Le projet prévoit qu’un producteur peut bénéficier des dispositifs de soutien publics, à savoir l’obligation d’achat et le complément de rémunération, et conclure par ailleurs, pour une partie de l’électricité produite, un contrat de vente directe d’électricité. En l’état actuel du droit, les contrats d’achat ou de complément de rémunération doivent porter sur la totalité de l’électricité produite.
Instauration d’un nouveau régime d’autorisation : Il est prévu que les producteurs d’électricité concluant un contrat de vente directe d’électricité à des consommateurs finals ou à des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes doivent être titulaires d’une autorisation administrative, au même titre que les fournisseurs d’électricité exerçant une activité d’achat d’électricité pour revente. Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la CRE, déterminera les obligations auxquelles le producteur doit se soumettre pour obtenir l’autorisation. Il sera intéressant de regarder dans quelle mesure le régime de l’activité d’achat direct sera aligné sur celui de l’activité d’achat revente. Rappelons que les fournisseurs d’électricité doivent notamment fournir un dossier de demande comprenant un plan prévisionnel d’approvisionnement détaillé sur cinq ans et tenir informé le ministre chargé de l’économie de toute modification substantielle de leur activité, en particulier en cas de changement dans l’actionnariat.
Le projet de loi précise que, par dérogation, les parties d’un contrat de vente directe d’électricité peuvent convenir, avec un fournisseur ou un producteur titulaire d’une autorisation, qu’il assure, par délégation, les obligations pesant sur les fournisseurs d’électricité.
Dans le même esprit, les sénateurs ont introduit des dispositions soumettant à autorisation les producteurs de gaz concluant un contrat de vente directe de biogaz, de gaz renouvelable ou de gaz bas-carbone, au même titre que les fournisseurs de gaz.
Améliorer l’articulation entre PPA et règles de la commande publique : Les organismes représentant les collectivités territoriales (FNCCR, France Urbaine, AMORCE) avaient proposé des amendements pour que les personnes soumises aux règles de la commande publique puissent recourir aux PPA de manière sécurisée. Il existe en l’état actuel du droit de nombreux freins, tels que les règles relatives à la durée. Le texte voté par le Sénat indique que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent recourir aux contrats de la commande publique pour répondre à leurs besoins en électricité et renvoie à un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la CRE, le soin de préciser les règles en la matière.
Partage de valeur et acceptabilité
On a mentionné plus haut le droit de véto des maires. Toujours dans une logique de renforcement de l’acceptabilité des projets, le Gouvernement a proposé un mécanisme de « partage territorial de la valeur des énergies renouvelables » avec les riverains et les communes concernées, qui se traduit par une remise tarifaire sur leur facture d’électricité. Les sénateurs ont décidé de recentrer ce dispositif sur les seuls communes et EPCI. Le dispositif s’applique non seulement aux communes et établissements d’implantation mais aussi aux communes depuis lesquelles les installations sont visibles.
Par ailleurs, les sénateurs ont introduit des dispositions visant à ce que les maires des communes d’implantation ou les présidents d’EPCI d’implantation fassent l’objet d’une information spécifique en amont de la constitution d’une société de production d’énergies renouvelables ou de la vente d’une participation, afin de leur ouvrir la possibilité de proposer une offre d’achat.
Le projet de loi a été transmis le 7 novembre à l’Assemblée nationale, où il sera examiné en commission la semaine du 17 novembre et débattu le 5 décembre. S’il est possible que le texte peine à trouver une majorité, la ministre de la Transition énergétique a indiqué que le recours au 49-3 n’est pas à l’ordre du jour.
Ce texte est le premier volet d’un triptyque qui sera complété par un projet de loi visant à faciliter la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, présenté le 9 novembre en conseil des ministres, et au second semestre 2023 par la prochaine loi de programmation sur l’énergie et le climat.