Absence de manquement délibéré en cas de relaxe définitive par le juge pénal

La pénalité de 40 % pour manquement délibéré (art. 1729, a du CGI) ne peut être maintenue par le juge de l’impôt si une relaxe définitive, basée sur des constations de fait, a été prononcée par le juge pénal 

CE 23 juin 2022 , n° 446656, M. et Mme B.

A la suite de la vérification de comptabilité de l’EURL dont il est le gérant et l’associé unique, M. B fait l’objet d’un contrôle sur pièces à l’issue duquel les prélèvements inscrits au débit de son compte courant d’associé sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires. Le rehaussement est assorti de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue par l’article 1729 du CGI.  

Le contribuable fait également l’objet de poursuites pénales pour fraude fiscale. 

Deux procédures sont engagées devant le juge pénal et devant le juge de l’impôt.

Le juge pénal (premier à juger) prononce la relaxe du contribuable au motif qu’il ne connaissait pas la qualification des sommes en cause au moment de la passation des écritures et donc son obligation déclarative. 

La CAA, dans le cadre de la procédure de contestation du redressement rejette la demande du contribuable. Le CE admet les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt de la CAA en tant seulement qu’il statue sur les pénalités mises à la charge du contribuable. 

Le CE rappelle tout d’abord, en application de sa jurisprudence, que :    

  • Les constatations de fait qui sont le support nécessaire d'un jugement définitif rendu par juge pénal s'imposent au juge de l'impôt. 

  • En revanche, l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale ne saurait s'attacher aux motifs d'une décision de relaxe tirés de ce que les faits reprochés au contribuable ne sont pas établis et de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité et, notamment, sur la nature des opérations effectuées.

  • en présence d'un jugement définitif de relaxe rendu par le juge répressif, il appartient au juge de l'impôt, avant de porter lui-même une appréciation sur la matérialité et la qualification des faits au regard de la loi fiscale, de rechercher si cette relaxe était ou non fondée sur des constatations de fait qui s'imposent à lui.

Puis, il juge au cas particulier que : 

  • Pour prononcer la relaxe, le juge pénal a relevé que le contribuable ignorait que les prélèvements effectués sur son compte-courant avaient donné lieu, à l’initiative de son comptable, à une régularisation inscrite au débit du compte de rémunération. 

  • Ces constatations de fait sont revêtues de l’autorité de la chose jugée, et sont de nature à lier le juge de l’impôt.

  • En jugeant que l’administration fiscale avait à bon droit infligé au contribuable la pénalité pour manquement délibéré de 40 % au double motif :

- que M. B. n'avait pu ignorer que les prélèvements constituaient des revenus imposables dans la catégorie des traitements et salaires, 

- et que les constatations du tribunal correctionnel ne s'imposaient pas au juge de l'impôt dès lors qu'elles ne concernaient pas l'intention des contribuables d'éluder l'impôt 

- la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

Le CE annule l’arrêt de la CAA puis, réglant l’affaire au fond, fait néanmoins droit à la demande de l’administration de substitution de base légale des pénalités, en appliquant au contribuable la majoration de 10 % prévue à l’article 1758 A du CGI en cas d’absence de déclaration en lieu et place de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.  

Découvrir l'arrêt 

Le regard de nos experts

Dans cette décision, le Conseil d’Etat fait une application classique de sa jurisprudence concernant l’influence du juge pénal sur la décision du juge de l’impôt (CE, 9e et 10e ss-sect., 1er juillet 2009, n°295689). En effet, reprenant son considérant de principe, il rappelle que le juge de l’impôt est tenu par les constatations de faits que le juge pénal retient. En cas de relaxe, le juge de l’impôt doit alors déterminer sur quelles constatations de fait le juge pénal s'est fondé pour relaxer le prévenu afin de donner ensuite à ces dernières la qualification fiscale nécessaire. En l’absence de constatations, le juge de l’impôt demeure libre de qualifier les faits.

En l’espèce, le juge pénal avait clairement écarté toute intention chez le contribuable d’éluder le paiement de l’impôt pour prononcer la relaxe. Le juge de l’impôt était donc lié par cette constatation et ne pouvait considérer qu’il existait une telle intention chez le contribuable, élément nécessaire à la qualification de manquement délibéré conformément à l’article 1729 du code général des impôts.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel a donc logiquement été annulé par le juge de cassation.

La question qui demeurait en suspens était alors celle de la possibilité pour l’administration de substituer à la pénalité pour manquement délibéré de 40 % celle de 10 % prévue à l’article 1758 A du code général des impôts.

La jurisprudence (CE, 3e et 8e ss-sect., 4 août 2006, n°279873) relative à la substitution de base légale en matière de pénalités pose à ce titre deux conditions :

  • la substitution de base légale ne doit pas priver le contribuable des garanties prévues par la loi

  • les faits invoqués par l’administration pour l’application de la nouvelle pénalité ont déjà été retenus pour motiver l’application de la précédente pénalité.

Au cas d’espèce, il existait bien des inexactitudes au sein de la déclaration du contribuable qui avaient motivé l’application de la majoration pour manquement délibéré. Logiquement, le Conseil d’Etat a donc accepté la substitution à la demande de l’administration.

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Valérie Aelion

Valérie Aelion

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

Paul Mispelon

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Avocat, Senior Manager, PwC Société d'Avocats

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