Intégration fiscale et plafond d’imputation des déficits

Lorsqu’une société absorbe la société mère d’un groupe fiscalement intégré et constitue un nouveau groupe fiscal, elle ne peut opérer une imputation sur ses résultats propres des déficits de l’ancien groupe éligibles à l’imputation sur une base élargie, au delà du plafond de l’article 209, I, 3 du CGI. 

CE 9 décembre 2022 n° 451553, Min c/ Sté Direct Énergie

La société mère d’un groupe intégré est absorbée par l’une de ses filiales non-intégrée avec effet rétroactif au 1er janvier 2012. En application de l’art. 223 L, 6, c du CGI, la société absorbante constitue un nouveau groupe intégré comprenant les sociétés membres de l’ancien groupe.

A cette occasion la société absorbante sollicite de l’administration deux agréments : 

  • un premier agrément en application des dispositions de l’art. 209 II du CGI pour obtenir le transfert des déficits de la société absorbée, antérieurs à l’intégration fiscale (déficits propres),

  • un second agrément, en application des dispositions de l’art. 223 I, 5 et 6 du CGI pour obtenir le transfert des déficits d’ensemble de l’ancien groupe fiscal, de telle sorte que ces déficits puissent à l’avenir être imputés de manière élargie sur les résultats de la société absorbante et sur ceux des filiales A et B.

Les deux agréments sont accordés par l’administration.

En l’absence de bénéfice d’imputation, aucun déficit n’est imputé au titre de de l’exercice de réalisation de la fusion.

Lors de l’exercice suivant, la société mère du nouveau groupe réalise sur ses résultats propres les imputations suivantes : 

  • les déficits correspondant aux déficits dont elle disposait elle-même avant l’intégration,

  • ainsi que les déficits pré-intégration de l’ancienne société mère transférés sur agrément,

  • le tout dans les limites prévues par l’art. 209, I du CGI (i.e. dans la limite de 1 m€ majorés de 50 % du bénéfice imposable excédant le seuil de 1 m€). 

Puis elle impute également sur le résultat d’ensemble, le déficit subi par le nouveau groupe au titre de l’exercice précédent, en faisant à nouveau jouer le plafond d’imputation prévu à l’art. 209, I, 3ème alinéa. 

Dans un second temps, elle sollicite, via une réclamation contentieuse, l’imputation sur une base élargie des déficits de l’ancien groupe sur ses résultats propres avec application à nouveau du plafond de l’art. 209, I, 3ème alinéa.

L’administration rejette la demande de la société au motif que les dispositions de l’art. 209, II du CGI posent le principe d’un plafond d’imputation unique et font donc obstacle au cumul des dispositifs.

Le TA donne raison à la société. La CAA confirme le jugement. Elle considère qu’il est possible de cumuler les dispositifs d’imputation (CAA 11 février 2021 n° 18VE02536).

Le CE rappelle qu’en vertu des dispositions des art. 223 S, 223 I, 5 et 223 L, 6, c du CGI : 

  • les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré ayant cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe ;

  • lorsque cette société mère est absorbée par une société qui constitue un nouveau groupe intégré avec les sociétés de l’ancien groupe, ces déficits sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante, sous réserve de l’obtention de l’agrément prévu à l’art. 223 I, 6 du CGI ;

  • ces mêmes déficits peuvent également sous cette même réserve, être imputés sur les résultats des sociétés membres de l’ancien et du nouveau groupe, 

Il juge que : 

  • en permettant l’imputation sur les bénéfices de la société absorbante, des déficits constitués par l’ancien groupe, transférés en vertu de l’art. 223 I, 6 du CGI, 

  • alors qu’il résulte des dispositions précitées que celles-ci ne permettent l’imputation des déficits constitués par l’ancien groupe que sur les résultats des sociétés membres de ce groupe et qui font partie du nouveau groupe,

  • la CAA a méconnu le champ d’application de ces dispositions. 

Réglant ensuite l’affaire au fond il annule la décision du TA jugeant que :

  • les déficits subis par la société absorbante antérieurement à la constitution du nouveau groupe fiscalement intégré ainsi que les déficits de la société absorbée qui lui avaient été transférés en vertu des agréments délivrés par l’administration pouvaient uniquement être imputés sur ses bénéfices propres ultérieurs dans la limite du plafond prévu par le troisième alinéa du I de l'art. 209.

  • il résulte de l'instruction que :

  • les déficits antérieurs effectivement imputés par la société absorbante sur ses bénéfices propres lui ont permis d'obtenir une déduction égale au plafond mentionné ci-dessus, 

  • quand bien même n'auraient pas été pris en compte les déficits constitués par l'ancien groupe et transférés en vertu du 6 de l'art. 223 I du CGI ;

  • par suite, en jugeant que le 5 de l'art. 223 I du CGI autorisait la société, au titre de ces déficits, à opérer sur ses bénéfices propres une imputation supplémentaire, le TA a méconnu le champ d'application de ces dispositions. 

Découvrir l'arrêt 

Le regard de nos experts

Cette décision intervient dans une situation qui peut être qualifiée de “cas d’école”, puisque la société absorbante, mère du nouveau groupe d’intégration fiscale, détenait trois catégories de déficit pré-intégration. Elle est intéressante à double titre. Elle rappelle d’abord de manière claire que l’imputation des déficits sur une base élargie n’est ouverte qu’aux sociétés membres de l’ancien groupe qui appartiennent également au nouveau groupe, ce qui au cas d’espèce, n’était pas le cas de la société absorbante. Elle précise ensuite que les déficits de l’ancien groupe qui sont transmis à la société absorbante et qui sont éligibles à l’imputation sur la base élargie constituent pour cette société un sous-ensemble de ses déficits antérieurs à l'intégration (qui incluent également les déficits antérieurs à l’intégration (qui incluent également les déficits propres antérieurs à l’intégration et ceux de l’absorbée antérieurs à l’intégration - éventuellement transmis sur agrément) et qu’à ce titre ils ne peuvent être imputés que sur ses résultats propres dans la limite d’un plafond unique, sans qu’une deuxième imputation soit possible. 

La rapporteure rappelle que le mécanisme d’imputation sur une base élargie a pour objectif “que l’absorption d’un groupe fiscalement intégré ne se traduise par un rétrécissement de la base d’imputation des déficits déjà subis, ce qui entraverait les restructurations d’entreprises. Le plafonnement des déficits reportables a, quant à lui, pour objet de sanctuariser une fraction des bénéfices annuels de l’entreprise pour qu’ils demeurent imposables, quelle que soit l’ampleur des déficits enregistrés par le passé”. 

Les commentaires administratifs relatifs à la base élargie n’ont pas été mis à jour pour tenir compte de l’introduction du plafonnement général d’imputation des déficits. L’articulation de ces deux dispositifs soulève plusieurs questions, notamment celle résolue par le Conseil d’Etat dans la présente affaire. Les situations d’acquisition de groupes fiscaux (article 223 L, 6 d du CGI) et la mécanique pratique d’imputation pour les filiales éligibles au mécanisme demeurent en effet source d’interrogations.


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Alexa Lecoeur

Alexa Lecoeur

Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats

Valérie Aelion

Valérie Aelion

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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