Une succursale peut avoir une clientèle distincte de celle de son siège

La cession par une succursale française à son siège établi hors de de France, à titre gratuit ou à prix minoré, de la clientèle rattachable à son activité peut caractériser un transfert indirect de bénéfices au sens de l’art. 57 du CGI.

CE 21 décembre 2022 n°450796, Sté Bupa Insurance Ltd, mentionné au recueil Lebon

Une société britannique absorbe une société d’assurance danoise, qui détient une succursale en France. La société britannique modifie à compter du 1er janvier 2009 la méthode de calcul des profits de la succursale. 

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration considère que ce changement de méthode révèle un changement de fonctions pour la succursale, qui a de ce fait transmis à titre gratuit sa clientèle à son siège, ce qui constitue un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’art. 57 du CGI. 

Le TA et la CAA donnent raison au contribuable. 

Après avoir visé l’art. 57 du CGl, le CE relève que :

- si la succursale française supportait jusqu’au 1er janvier 2009 le risque d'exploitation de l'activité d'assurance réalisée en France,

- avant cette date : 

  • les contrats d'assurance qu’elle proposait étaient régis par le droit danois et ne bénéficiaient d'aucune adaptation particulière à la situation française ;

  • l'ensemble des services proposés aux assurés, notamment le service d'assistance, était assuré au Danemark ;

  • les contrats passés avec les courtiers d'assurance chargés de prospecter sur le territoire français étaient en partie conclus par la société danoise ;

  • aucun élément versé au dossier n'établit que les salariés de la succursale française avaient pour fonction de développer une clientèle propre au profit de la succursale ;

  • l'enregistrement des clients français selon une cotation spécifique, s'il permettait de faire une analyse comptable propre aux clients ayant conclu des contrats avec des courtiers exerçant sur le territoire français, ne démontrait pas que l'activité de la succursale aurait consisté à développer une telle clientèle ;

  • le ministre n’établissant donc pas que la succursale disposait d’une réelle autonomie commerciale. 

Le CE juge en conséquence qu’à défaut pour la succursale française d’avoir disposé d'une réelle autonomie commerciale, la circonstance qu'elle ait supporté le risque d'exploitation inhérent à l'activité d'assurance exercée en France antérieurement au 1er janvier 2009 ne suffisait pas à établir l'existence d'une clientèle propre.

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts

Cet arrêt confirme qu’une succursale française doit être traitée comme une entité distincte dans ses transactions avec son siège étranger, peu important son absence de personnalité morale, au cas présent au titre de la cession gratuite de clientèle rattachable à son activité. L’arrêt s’inscrit à cet égard dans le droit fil de l’arrêt Sodirep Textiles (CE, 9 nov. 2015, n° 370974, Sté Sodirep Textiles SA-NV : Lebon T., p. 651 ; RJF 2/16 n° 121, concl. M.-A de Barmon) par lequel le Conseil d’Etat avait jugé que l’article 57 du CGI est opposable aux avances non rémunérées consenties par une succursale à son siège, et en reprend le considérant de principe.

Est en outre transposée à une relation succursale-siège, la grille d’analyse factuelle posée dans l’arrêt Piaggio France en vue de qualifier un transfert de clientèle naissant de la conversion en agent d’un acheteur-revendeur (CE, 4 oct. 2019, n° 418817, Min. c/ SAS Piaggio France, concl. A. Lallet : FI 1- 2020, n° 4, § 9, comm. P. Escaut ; RJF 12/19 n° 1128). Pour mémoire, la Haute Assemblée reconnaissait dans cet arrêt la clientèle propre d’un distributeur procédant à des ventes en nom propre, déterminant sa stratégie commerciale de manière autonome, et supportant un risque commercial. Au cas présent, le Conseil d’Etat n’aborde explicitement que ces deux derniers facteurs pour écarter au cas d’espèce tout transfert de clientèle par la succursale à son siège. Il relève que si la succursale supportait bien un risque d’exploitation, elle ne présentait pas d’autonomie commerciale réelle dans la mesure où le siège contrôlait les conditions contractuelles d’assurance, concluait une partie des contrats avec les courtiers tiers, et exécutait le service d’assistance, alors qu’ à l’inverse rien n’établissait que l’activité de la succursale aurait consisté à développer une clientèle propre.


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Fabien Fontaine

Fabien Fontaine

Associé, PwC Société d'Avocats

Mathilde  Libar

Mathilde Libar

Avocat, Associate, PwC Société d'Avocats

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