Corrections symétriques et droit à l’oubli : preuve du caractère délibéré de l’erreur ou omission

CE 15 juin 2023, n°464997 SCI Les Hameaux de Mucchiatana, mentionné au recueil Lebon  

A l’occasion d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2011 à 2013, l’administration remet en cause comme injustifiées dans leur principe et leur montant diverses sommes inscrites au passif du bilan d’une société. Par l’effet de la correction symétrique des bilans, ces sommes se trouvent rattachées au résultat fiscal de l’exercice 2011, premier exercice non prescrit.

La CAA confirme la position de l’administration au motif que la société ne justifie pas de la réalité, de l’ancienneté et du montant de ces dettes.

Après avoir cité les 2 et 4 bis de l’art. 38 du CGI, le CE rappelle qu’en application de ces dispositions : 

  • Les erreurs ou omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d’un exercice ou d’une année d’imposition qui entrainent une sous-estimation ou une surestimation de l’actif net de l’entreprise peuvent,

- à l’initiative du contribuable qui les a involontairement commises,

- ou à celle de l’administration fiscale exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan ;

  • Lorsque les mêmes erreurs ou omissions se retrouvent dans les écritures de bilan des exercices antérieurs telles que retenues pour la détermination du résultat fiscal,

- elles doivent y être symétriquement corrigées, 

- pour autant que l’administration n’établisse pas qu’elles revêtent, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré. 

  • Ces corrections ne peuvent toutefois affecter le bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit, 

- à moins que le contribuable n’apporte la preuve que les écritures correspondantes procèdent d’erreurs ou omissions commises au cours d’un exercice clos plus de sept ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit,

- dont l’administration n’établit pas qu’elles auraient revêtu un caractère délibéré.

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 Le regard de nos experts

La correction d’une erreur entachant le bilan d’une entreprise produit des conséquences fiscales par le jeu de l’article 38, 2 du CGI qui définit le bénéfice net comme la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, sous déduction, notamment, des suppléments d'apport réalisés le cas échéant par les associés. Lorsque l’erreur n’est pas délibérée, elle peut être corrigée non seulement à l’initiative de l’administration, mais aussi à celle du contribuable, et la correction peut en outre bénéficier du mécanisme des corrections symétriques (V. notamment CE 24 novembre 1971 n° 75549 et CE 5 décembre 2016 n° 398859). 

En cas de constatation d’un passif injustifié, la correction qui entraine la disparition de ce passif du bilan de clôture de l’exercice au titre duquel l’erreur est constatée produit en principe une variation d’actif net positive sur l’exercice concerné. Toutefois, par le jeu des corrections symétriques, cette même erreur, corrigée dans le bilan de clôture de l’exercice contrôlé, est ensuite corrigée dans le bilan d’ouverture de ce même exercice, puis ainsi de suite d’exercice en exercice. 

Dès lors que le bilan d’ouverture d’un exercice est nécessairement identique au bilan de clôture de l’exercice précédent, ce mécanisme efface toute variation d’actif net pour les exercices concernés et permet en théorie de faire remonter la variation d’actif net taxable à l’exercice au cours duquel l’erreur a été commise. Lorsque l’erreur est ancienne et a été commise durant un exercice prescrit, ce mécanisme se heurte à la règle d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit, prévue par l’article 4 bis du CGI. Dans cette hypothèse, les corrections symétriques ne peuvent remonter au-delà du bilan de clôture du premier exercice non prescrit et la variation d’actif net liée à la correction se produit au titre de cet exercice. Toutefois, par exception, ce même article 4 bis du CGI prévoit que la règle d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit ne s’applique pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que les omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. Cette règle dite du « droit à l’oubli » fait alors obstacle à tout redressement, puisque la variation d’actif net provenant de la correction du bilan intervient, par le jeu des corrections symétriques, au titre d’un exercice prescrit et ne peut donner lieu à aucun rehaussement.

La présente décision confirme les règles de preuve en la matière : s’il incombe bien au contribuable, conformément au texte légal, d’établir que l’erreur ou omission remonte à plus de sept ans avant l’ouverture du premier exercice non prescrit, il incombe le cas échéant à l’administration fiscale de démontrer que l’erreur était délibérée, ce qui fait alors obstacle à la correction symétrique des bilans et permet à l’administration de rectifier le bénéfice de l’entreprise sur la période non prescrite.


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Philippe Durand

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