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Lorsqu’une société étrangère alloue à sa succursale française des dividendes, le respect des conditions relatives aux titres s’apprécie au niveau de la société étrangère, et non au niveau de la succursale, même si les titres ne sont pas inscrits à l’actif de cette dernière.
CE 20 juin 2023 n° 456719, Sté QBE Insurance Europe Limited (QIEL), mentionné au recueil Lebon.
Une société d’assurance de droit britannique, assujettie à l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni, dispose en France d’une succursale constitutive d’un établissement stable. Dans le cadre d’une réclamation contentieuse, elle sollicite pour cette dernière l’application du régime mère-fille, prévu aux art. 145 et 216 du CGI, au titre de produits de participations remplissant les conditions pour bénéficier de ce régime et dont une partie a été réallouée à la succursale.
L’administration rejette sa demande au motif qu’en l’absence d’inscription des titres à l’actif de son bilan fiscal la succursale ne remplit pas la condition de conservation des titres fixées par l’art. 145 du CGI.
Le TA donne raison au contribuable.
La CAA confirme la position des premiers juges. Après avoir rappelé qu’il résulte :
des termes mêmes de l’art. 145 du CGI que le régime fiscal de sociétés mères n’est applicable qu’aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés qui détiennent des participations satisfaisant à certaines conditions ;
des art. L.233-2 et L.233-4 du C. de commerce qu’à défaut d’indication expresse contraire, une participation dans une société consiste en la détention directe d’une fraction de son capital ;
La Cour juge que :
le respect de la condition, prévue par le c. du 1. de l'art. 145 du CGI, de détention depuis plus de deux ans des titres de participation ne saurait s'apprécier au niveau d'une succursale, laquelle ne jouit pas d'une personnalité morale ni d'un patrimoine distincts de ceux de la société mère ;
Il est constant en l’espèce que les titres de participation des sociétés distributrices étaient détenus par la société depuis plus de deux ans et remplissaient l'ensemble des conditions prévues par le 1. de l' art. 145 du CGI ;
il n'est pas contesté que la part des dividendes perçus par la succursale à raison de la participation de sa maison mère dans ses deux filiales figurait dans le résultat taxable déclaré par la société auprès de l'administration française à raison de l'établissement stable dont elle disposait en France ;
La circonstance que les titres de participation ayant généré les dividendes n'ont pas été mentionnés dans la rubrique " titres de participation " de la déclaration de résultats déposée par la société dans le cadre de ses obligations fiscales en France est à cet égard sans incidence.
C'est donc à tort que l'administration a refusé à la société le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères aux revenus alloués à sa succursale française à raison de sa participation dans les sociétés distributrices.
Saisi d’un pourvoi, le CE considère pour sa part qu’il résulte des dispositions de l’art. 145 du CGI que :
Lorsqu’une société non-résidente alloue à une succursale établie en France des produits de participations, le respect des conditions relatives aux titres correspondants prévues aux a à c du 1. de cet article s’apprécie au niveau de la société, et non pas uniquement au niveau de la succursale
La seule circonstance que les titres ne sont pas inscrits à l’actif fiscal de la succursale française n’est pas un obstacle à l’application du régime mère-fille
Le CE, se fondant sur les mêmes éléments de fait relevés par la CAA, confirme la position de cette dernière et juge qu’elle n’a pas commis d’erreur de droit ou inexactement qualifié les faits qui lui ont été soumis.
L’article 145, 1 du CGI fixe les conditions que doivent satisfaire les titres de participation afin d’ouvrir droit au régime fiscal des sociétés mères. Il est notamment prévu que les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans. La détention des titres devant être directe, le critère qui permet d’apprécier le respect de cette condition est l’inscription des titres au bilan de la société bénéficiaire des dividendes.
S’agissant du cas des succursales qui ne possèdent pas une personnalité morale distincte et qui ne sont pas de ce fait, tenues d’établir un bilan comptable au même titre qu’une entreprise disposant de la personnalité morale, la doctrine administrative énonce que le régime mère-fille bénéficie aux établissements stables ou succursales en France de sociétés étrangères, sous réserve que les titres de participation figurent à l'actif du bilan fiscal de l'établissement stable et que celui-ci soit effectivement soumis à l'impôt sur les sociétés (BOI-IS-BASE-10-10-10-10, n°90).
La présente décision infirme donc la doctrine de l’administration dont on notera à titre anecdotique que la dernière version a été publiée le même jour que la présente décision.
Pour fonder sa décision, la cour administrative d’appel avait considéré qu’en l’absence de personnalité morale de la succursale, c’est au niveau de l’entité juridique, donc de la société étrangère, que devaient s’apprécier les conditions de durée et de taux de détention des participations ouvrant droit au bénéfice du régime des sociétés mères et filiales. Quant à la condition d’inscription à un compte de titres de participation dans les écritures de la succursale française, la cour l’avait écarté comme inopérante dès lors que l’appréciation devait se faire au niveau de la société et pas à celui de la succursale.
Le Conseil d’Etat s’il confirme la position de la Cour administrative d’appel et rejette donc l’erreur de droit et l’inexacte qualification des faits invoquées par le Ministre dans son pourvoi ne semble pas, contrairement à la Cour administrative d’appel, fonder sa décision sur l’absence de personnalité juridique de la succursale.
Il ressort en effet des conclusions de la rapporteure Emilie Bokdam-Tognetti sous la présente décision que la réponse à la question de savoir à quel niveau les conditions de seuil et de durée de conservation devaient être satisfaites n’allait pas de soi et que plusieurs éléments militaient en faveur d’une appréciation des conditions de seuil et de durée de conservation au niveau de la succursale
Dans le sens de « l’autonomisation » de la succursale la rapporteure rappelle notamment la jurisprudence Sté Sodirep Textiles du Conseil d’Etat (CE 9 novembre 2015, n° 379974) qui concernait des avances sans intérêt consenties par une succursale française à son siège situé à l’étranger, qui a considéré que les dispositions de l’article 57 du CGI relatives au transfert indirect de bénéfices à l’étranger s’appliquaient entre une succursale et son siège en dépit de l’absence de personnalité morale de la succursale.
L’absence de personnalité juridique de la succursale n’apparaît donc pas déterminante pour exclure dans la présente affaire toute appréciation des conditions de seuil et de détention au seul niveau de la succursale.
En revanche, la lettre même de l’article 145 du CGI selon laquelle « le régime fiscal des sociétés mères, tel qu’il est défini à l’article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : … » semble avoir dicté la décision du Conseil d’Etat. Lu en lien avec les dispositions de l’article 206 du CGI, les juges semblent considérer que l’article 145 du CGI ne saurait viser au travers de l’expression « autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés » les succursales de sociétés étrangères soumises à l’IS en France mais seulement les organismes autres que les sociétés qui sont soumis à l’IS. Or, c’est bien la société étrangère qui est redevable de l’IS. Ainsi, comme le mentionne la rapporteure, « …dès lors que l’on considère que la clé d’entrée dans le champ de l’article 145 réside, pour les sociétés étrangères exploitant des succursales en France, dans la référence à cet article aux « sociétés » soumises à l’IS, il semble logique d’apprécier les conditions relatives à la participation détenue, non au niveau de l’établissement français, mais au niveau de la société qui en demande le bénéfice à raison des dividendes compris dans le bénéfice imposable à l’IS de son établissement français ».
S’agissant par ailleurs de l’argument du Ministre concernant, en amont, la nécessaire inscription des titres de participation au bilan fiscal de la succursale, les juges l’écartent comme inopérant. A cet égard, Emilie Bokdam-Tognetti relève dans ses conclusions que ni le texte des articles 145 et 216 du CGI ni la directive ne posent une condition de cette nature pour être éligible au régime mère-fille. Il ressort de l’analyse de la rapporteure que si dans la généralité des cas l’inclusion des produits des titres de participation dans les résultats d’une succursale s’accompagne de l’inscription desdits titres au bilan fiscal de la succursale, cette constatation ne saurait pour autant être érigée en règle de droit impérative ainsi que l’illustre la situation de la succursale dans le cas de l’espèce.
La maison mère britannique avait perçu des dividendes de deux sociétés dont les titres étaient inscrits à son bilan puis avait réalloué ces dividendes à ses différentes succursales en fonction de la nature et de l’activité de chacune d’elles, selon une clé de répartition déterminée sur la base de la quote-part représentée par chacune des succursales dans le montant total des provisions techniques. Cette pratique, courante dans le secteur de l’assurance, correspond à l’exigence de nombreux Etats de faire bénéficier les succursales des revenus provenant du placement des actifs venant en garantie des risques qu’elles couvrent alors qu’elles n’ont pas d’obligation légale d’avoir des fonds propres du fait de leur statut de succursale et de leur absence de personnalité morale. Il est donc fréquemment exigé par les Etats de localisation des succursales qu’une quote-part des revenus procurés par les actifs détenus par le siège et venant en représentation des engagements portés par les succursales soient alloués à ces dernières afin de garantir à ces Etats une base imposable identique à celle dont ils auraient bénéficié si l’activité avait exercé par une filiale.