En pratique, la clause de changement de contrôle dans un contrat commercial

15/03/23

La clause de changement de contrôle est une clause que l’on retrouve souvent aux dernières pages d’un contrat commercial et pour laquelle les parties n’ont pas toujours la volonté, l’intérêt ou l’énergie d’en négocier le contenu, et pourtant… 

Qu’est-ce qu’une clause de changement de contrôle ?

La clause de changement de contrôle est la clause qui permet de prévoir les conséquences, sur un contrat, d’un changement de contrôle d’une ou des parties cocontractantes.

En effet, un changement de contrôle peut modifier plus ou moins significativement la nature des relations commerciales entre deux parties : la stratégie commerciale, la gestion ou encore la gouvernance de la société peuvent être impactées et ne plus convenir à l’autre partie qui subit ces changements via l’exécution du contrat. De même un changement de contrôle pourrait amener à ce qu’un ou plusieurs concurrents d’une partie deviennent associés de l’autre partie contractante.

La clause de changement de contrôle permet de faire face à de telles situations et ouvre la possibilité de renégocier ledit contrat, voire de le résilier. Ainsi, pour une partie, la clause de changement de contrôle est utilisée comme un outil pour sécuriser la relation commerciale et pour s’assurer d’une certaine loyauté de son co-contractant. Pour l’autre partie, celle qui se voit appliquer ladite clause, il s’agit au contraire d’un instrument qui vient insécuriser la relation commerciale puisqu’elle ouvre la possibilité d’y mettre fin avant son terme.

La clause de changement de contrôle trouve souvent toute son utilité, prioritairement dans les relations dites « intuitu personae », c’est-à-dire notamment les relations dans lesquelles la personne des associés ou actionnaires (voire du management) de la société est importante aux yeux de l’autre partie, ainsi que dans des secteurs où la confidentialité des informations est primordiale (recherche et développement, protection des droits de propriété intellectuelle, secret des affaires etc.). Pour illustrer par un exemple pratique, la clause d’intuitu personae trouve son sens dans les contrats de franchise, pour lesquels le franchiseur s’engage généralement dans la relation avec la personne physique candidate à la franchise : dans ce cas, un changement d’actionnariat ou de personne à la tête de l’entreprise nécessite d’être validé par le franchiseur.

A l’inverse, pour les contrats dont il peut être considéré qu’ils sont facilement substituables ou dans lesquels l’existence de la société est plus importante que les personnes qui en détiennent le capital, la clause de changement de contrôle ne parait pas indispensable.

Il est vrai toutefois que ces clauses sont aussi parfois utilisées comme des armes anti-OPA et peuvent ainsi être présentes dans tous types de contrats commerciaux. En effet, une telle clause « conduit à faire douter l’initiateur potentiel de l’offre qui, par hypothèse, fonde sa stratégie sur une situation contractuelle et financière de la cible qu’il peut plus ou moins maîtriser. En présence de telles clauses, l’avenir de son investissement est clairement incertain puisque dépendant du bon vouloir des bénéficiaires de ces clauses »[1].

Comment rédiger la clause de changement de contrôle ?

Avant même la rédaction de la clause de changement de contrôle, le rédacteur doit s’interroger sur l’opportunité de l’insertion de la clause, au regard notamment de sa propre situation. En effet, s’il est envisageable que sur la durée d’exécution du contrat, le contrôle de l’entreprise du rédacteur soit amené à changer, la clause pourrait devenir handicapante (sauf à ce qu’elle ne soit pas réciproque, mais cela soulève d’autres questions, que nous évoquerons plus loin).

Une fois la décision prise d'insérer une clause de changement de contrôle, les 4 points clés à couvrir sont : la (ou les) parties concernée(s), le contrôle, le changement et les conséquences.

Partie(s) concernée(s) : A quelle(s) partie(s) du contrat la clause de changement de contrôle devrait-elle être appliquée en cas de changement de contrôle ?

Si la clause est classiquement réciproque et s’applique en cas de changement de contrôle de l’une quelconque des parties (personnes morales), le rédacteur peut souhaiter introduire une clause unilatérale, ne s’appliquant qu’à l’autre partie au contrat.

Il existe en effet des hypothèses où le changement de contrôle d’une des parties n’affecte pas, pour diverses raisons, les relations, alors que celui de l’autre partie peut générer des conséquences ou des risques que l’on essaie de prévenir.

Cependant, il est dans ce cas recommandé de pouvoir justifier le recours à une clause de changement de contrôle unilatérale, dans la mesure où cette dernière peut être considérée comme constitutive d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (CA Paris, 5 janvier 2022 ,Pôle 5, Ch. 4). Dans un tel cas, la responsabilité de la partie à laquelle la clause bénéficie peut-être sanctionnée au titre des pratiques restrictives de concurrence, notamment par l’annulation de la clause (voire du contrat), l’indemnisation de l’autre partie et d’autres mesures, dont une amende civile pouvant s’élever jusqu’à 5 millions d’euros (Article L.442-4 du code de commerce).

La notion de « contrôle » peut classiquement renvoyer à la notion définie à l’article L. 233-3 du code de commerce, à un ou plusieurs de ses alinéas. Mais, cette notion de contrôle au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce est large, et ne se limite pas à la seule situation où une société viendrait à détenir la majorité des droits de vote d’une partie contractante. Un « simple » renvoi à cet article pourrait ainsi être disproportionné par rapport aux objectifs poursuivis ou encore ne pas répondre auxdits objectifs poursuivis.

Nous ne pouvons ainsi que recommander aux parties d’un contrat de définir leur propre notion de « contrôle ». A cette fin, il convient de s’interroger sur les situations où la relation contractuelle pourrait ou devrait être remise en cause. Le contenu du contrat ou son existence même pourraient-ils être remis en cause en cas de modification, chez le cocontractant :

  • de la répartition de ses titres et/ou de ses droits de vote ?
  • de la direction? Ou plus globalement de la gouvernance ?
  • de la structure juridique ?
  • de l’interlocuteur attitré ?
  • du bénéficiaire effectif ?

Si, néanmoins, les parties entendent que la notion de contrôle soit celle de l’article L.233-3 du code de commerce, il est important de le préciser expressément, pour éviter toute autre interprétation (notamment dans les contrats internationaux pour lesquels l’application de la notion issue du droit français n’est pas nécessairement garantie).

Quant au changement, il s’agit de placer le curseur au bon endroit : 

  • La modification sur le contrôle doit-elle être significative (exemple : cession de plus de 50% des droits de vote et/ou des titres de la société à un tiers) ou simplement minime (exemple : toute modification dans l’actionnariat de la société, même si celle-ci n’impact pas le contrôle de la société) ?
  • A partir de quel pourcentage doit-on considérer que la clause de changement de contrôle peut être activée ?  
  • Le changement doit-il être direct ou indirect : c’est-à-dire directement concerner la société co-contractante ou doit-il s’étendre aux associés de la société co-contractante ?
  • Le changement doit-il couvrir toutes les opérations y compris les restructurations intra-groupes ou seulement celles impliquant un tiers, ou encore seulement celles impliquant l’entrée d’un concurrent au capital ?

Enfin, les dernières questions à se poser sont celles relatives aux conséquences d’un tel changement de contrôle :

  • le contrat pourrait-il/devrait-il être résilié en cas de changement de contrôle ou seulement renégocié ? S’il doit être renégocié, selon quelles modalités ?
  • un agrément préalable devrait-il être consenti ou une information préalable suffirait-elle ?
  • le contrat devrait-il être résilié sans préavis et de plein droit ?
  • un délai pour activer la clause devrait-il être prévu ?
  • des sanctions sont-elles associées à la mise en œuvre de la clause (ou encore au changement de contrôle intervenant sans respect de la clause) ?

Ainsi, la liberté contractuelle pour la rédaction de cette clause est très large, sa négociation est donc indispensable pour la personnaliser ce qui par ailleurs la rendra d’autant plus légitime, notamment en cas de litige.

La présence d’une clause intuitu personae suffit-elle à protéger d’un changement de contrôle?

Effectivement ces deux notions sont liées. Tout dépend de la rédaction de la clause d’intuitu personae, qui se limite souvent à indiquer que le contrat a été conclu en considération de la personne même du cocontractant sans plus de détails et à interdire le transfert du contrat à un tiers sans autorisation de l’autre partie.

Or, dans le cas du changement de contrôle, la personne du cocontractant ne change pas et le contrat n’est pas transféré à un tiers. En effet, la société dont contrôle a été modifié est toujours la même (conformément au principe d’autonomie de la personne morale, dont l’identité est distincte de celle de ces associés/actionnaires) et elle demeure titulaire du contrat.

A ce sujet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est déjà prononcée : « en raison du principe d'autonomie de la personne morale, cette dernière reste inchangée en cas de cession de la totalité des parts ou actions d'une société ou de changement de ses dirigeants et [en] l'absence de stipulation contractuelle autorisant la rupture avant échéance dans de telles hypothèses, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir qu'il n'était pas établi que la convention de distribution exclusive ait été conclue en considération de la personne du dirigeant, en a déduit à bon droit, sans écarter le caractère intuitu personae du contrat, qu'en l'absence d'une stipulation particulière, la convention était maintenue en dépit des changements survenus »[2]. Cette position a été réitérée à plusieurs reprises dans la jurisprudence[3].

La clause de changement de contrôle peut ainsi venir renforcer le caractère intuitu personae d’un contrat mais elle ne s’y substitue pas et inversement : une clause intuitu personae ne couvre pas nécessairement le changement de contrôle.

Ces clauses sont-elles licites ?

« Ces clauses sont parfaitement licites, mais ne peuvent toutefois être exercées que dans les limites de la bonne foi et ne peuvent contrevenir à des dispositions impératives d’ordre public [4]».

Cette clause ne doit pas être l’outil, le « parfait » prétexte pour rompre le contrat de manière anticipée et sans délai, permettant ainsi au cocontractant de se dégager sans conséquence de ses propres obligations (engagement de volume, engagement d’exclusivité, prix figé sur la relation contractuelle, etc.).

En effet, rappelons que l’article L. 442-1, II du code de commerce (disposition d’ordre public) prévoit l’obligation de respecter un préavis suffisant pour rompre une relation commerciale établie. Mais, ces dispositions « ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations … ». La jurisprudence précise en outre que pour justifier la rupture immédiate de relations commerciales établies ladite inexécution doit être suffisamment grave. Ainsi, en cas de changement de contrôle non notifié, ou non approuvé par le cocontractant, contrairement aux dispositions contractuelles, le juge ne sera pas tenu par lesdites dispositions du contrat qui pourraient prévoir une résiliation sans préavis. Au contraire, le juge devra rechercher si le manquement invoqué est d’une gravité telle qu’il justifie de déroger aux dispositions de l’article L. 442-1, II du code de commerce (3ème Chambre de la Cour d’Appel de Paris du 28 octobre 2020 (n°20/12867)). La résiliation du contrat pour cause de changement de contrôle ne sera en conséquence très probablement pas retenue par les instances judiciaires comme justifiant une rupture sans préavis ou avec un préavis court, si la clause a été rédigée de manière disproportionnée par rapport à l’objectif recherché, ou encore si elle est activée de mauvaise foi.

Cette clause ne peut non plus pas être utilisée à des fins frauduleuses, c’est-à-dire avec une intention de nuire.

Enfin, comme cela a été précédemment évoqué, il convient de veiller à ce que la rédaction de la clause ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, sous peine d’annulation et de potentielles sanctions financières.

Comment négocier la clause de changement de contrôle ?

En premier lieu, si votre cocontractant souhaite vous imposer une clause de changement de contrôle, vous pouvez en demander la justification. Bien souvent, elle aura été proposée car elle figure dans le « clausier » classique du rédacteur de l’acte. Ensuite, à défaut de pouvoir l’exclure, il conviendra de pouvoir en limiter la définition et d’en réduire les conséquences (sauf, bien entendu, si les deux parties souhaitent lui donner un effet large). Par exemple, il est tout à fait possible de prévoir un délai dans lequel cette clause pourrait être activée ou encore de préciser qu’elle ne s’applique pas aux opérations intra-groupes/de restructurations internes.

Vous pouvez bien entendu en demander la réciprocité si cela n’était pas initialement envisagé, afin de contraindre également votre co-contractant, qui pourrait donc être plus susceptible d’en accepter les limitations. Toutefois, cette réciprocité doit, à notre sens, pouvoir se justifier, à défaut la validité de la clause pourrait être remise en cause devant les instances judiciaires.

Une autre stratégie, selon la position que vous défendez, pourrait être d’accepter une clause suffisamment large, sachant que sa validité pourrait alors être plus facilement contestée en cas de litige (aléa juridique) ; a contrario, plus cette clause aura été négociée et plus elle sera précise, plus il sera difficile d’en contester l’interprétation. Il demeure que cette stratégie comporte des risques et implique des coûts dans la mesure où l’invalidation de la clause n’est pas garantie et que la constatation d’une potentielle invalidité nécessitera l’introduction d’une action judiciaire, qui engendre des frais et surtout peut durer plusieurs années, ce qui est rarement compatible avec la vie des affaires.

Les clauses de changements de contrôle dans le cadre des opérations de M&A :

Dans le cadre des phases de due diligence, dont le principal but est d’obtenir une vision objective de situation de la société cible afin de la valoriser et de sécuriser l’investissement envisagé, le potentiel acquéreur s’enquerra très probablement de l’existence de contrats qui contiendraient des clauses de changement de contrôle et de leur éventuelle activation dans le cadre de la transaction envisagée. En pratique et bien souvent, les contrats de la société cible ne sont pas tous revus lors de cette phase mais seulement les contrats dits « clés », considérés comme essentiels à l’activité de la société cible. Pour ces contrats, le potentiel acquéreur sollicitera des garanties spécifiques de la part des cédants quant à la poursuite de ces contrats ou des waivers de la part des co-contractants, c’est-à-dire la confirmation, souvent écrite, que la clause de changement de contrôle telle que prévue au contrat ne sera pas activée suite à l’investissement/au rachat par le potentiel acquéreur. Un avenant peut aussi être conclu avant la finalisation de l’opération, pour retirer la clause du contrat concerné, avec l’accord du cocontractant. Bien entendu, pour des questions évidentes de confidentialité et/ou de stratégie, ces waivers ne doivent pas être sollicités trop en amont de la phase d’acquisition sans l’accord du potentiel acquéreur.

L’obtention de ces waivers ou les négociations des garanties du cédant sur ces sujets sont parfois complexes et peuvent faire l’objet de tension voire être un deal breaker, ce qui justifie là encore de la nécessité de ne pas prévoir/ ou d’accepter systématiquement des clauses de changement de contrôle dans vos contrats, ou à tout le moins pas dans les contrats les plus importants pour l’activité de l’entreprise.

Enfin, nous ne pouvons que recommander de tenir un tableau de suivi de vos contrats qui contiennent une clause de changement de contrôle, pour faciliter ensuite la mise à disposition desdits contrats au potentiel acquéreur. En l’absence de contrat spécifique, l’existence d’une telle clause devrait également être recherchée dans les conditions générales de votre co-contractant (ex : conditions générales de vente) si ces dernières sont applicables à votre relation contractuelle.

***

Ainsi, la clause de changement de contrôle n’est pas une clause qui peut être standardisée. Elle peut s’avérer en pratique très contraignante. En effet, la présence d’une telle clause, licite, peut bloquer ou tout au moins rendre plus difficile une levée de fonds, une cession de société ou encore un changement de gouvernance. Elle peut également être utilisée, à tort ou non, pour mettre fin à une relation commerciale établie et être un point d’entrée pour renégocier un contrat. Cette clause doit donc faire l’objet d’une rédaction personnalisée et adaptée afin de s’assurer de sa portée et de n’imposer que des contraintes strictement nécessaires et proportionnées à l’objectif choisi.


[1] Les clauses de changement de contrôle comme arme anti-OPA – Option Finance – l’Analyse juridique par Jean Robert Bousquet - Entreprise & Expertise

[2] Cass. com., 29 janvier 2013, n°10-27.603

[3] CA Lyon, 27 octobre 2016, n°15-05.204, Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-23.676

[4] Les enjeux des scissions transfrontalières au sein de l’Union Européenne. A l’aube d’une nouvelle ère de mobilité transfrontalière – François Bernard. Collection de la Faculté de Droit, d’Economie et de Finance de l’Université de Luxembourg – Larcier. 

Pour aller plus loin

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Frédéric Danos

Frédéric Danos

Professeur des universités en droit privé, Of Counsel, PwC Société d'Avocats

Alice  Gueye-Mirandel

Alice Gueye-Mirandel

Avocat, Manager, PwC Société d'Avocats

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