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Le Conseil d’État rappelle que lorsque les formalités de cession d’une créance n’ont pas été respectées (C. civ. art. 1690 ancien), la preuve du transfert de cette créance peut être apportée par tout moyen.
CE 18 octobre 2023 n° 469148 EURL EP Belview Investments
Une société A est détenue à 0,01 % par un associé personne physique, M. X, et à 99,99 % par une société luxembourgeoise B, intégralement détenue par lui. En 2014, M. X cède à la société B la créance qu’il détient sur la société A pour un montant de 14 M€, par virement entre leurs compte-courants respectifs.
À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration considère que la réalité d’une cession de créance n’est pas démontrée, dès lors que le formalisme prévu par l’art. 1690 du C. civ. n’a pas été respecté (Ndlr : dans sa version en vigueur avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, l’art. 1690 disposait que « Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ») et que l’opération doit être regardée comme un abandon de créance consenti par M. X à la société A, augmentant à due proportion le résultat de la société A.
Tandis que le TA fait droit à la demande de décharge de la société A, la CAA confirme le redressement.
Le CE casse l’arrêt de la CAA et juge que :
une société est réputée établir qu'une créance d'un tiers n'a pas été éteinte mais transférée à un autre tiers dans le cas où ont été respectées les formalités de publicité prévues à l'art. 1690 du C. civ. ;
dans le cas où ces formalités n'ont pas été accomplies, elle peut cependant démontrer par tout moyen de preuve la réalité du transfert de créance.
Dans sa version initiale de 1804, l’article 1690 du Code civil prévoyait que la cession de créance devenait opposable aux tiers lorsque le débiteur en était informé au moyen de certaines formalités. Ces formalités pouvaient prendre la forme d’une signification de la cession de créance au débiteur, par voie d’huissier, ou d’une acception de celle-ci par le débiteur, dans un écrit notarié.
À défaut de réalisation de ces formalités, l’administration a, dans l’affaire ici soumise au Conseil d’État, considéré que la société n’avait pas démontré l’existence d’une cession de créance, et a en conséquence, qualifié l’opération d’abandon de créance.
Le Conseil d’État rappelle néanmoins ici, qu’en l’absence de respect des formalités de l’article 1690 du Code civil, et notamment de signification à l’entreprise débitrice, la réalité du transfert de créance peut être prouvée par tout autre moyen. La jurisprudence avait en effet déjà admis de longue date le principe d’une preuve par tout moyen dans une décision Sabe de 1997 (CE 28 février 1997 n° 127890), confirmé postérieurement à plusieurs reprises (V. notamment CE 9 novembre 2011 n° 319717, SARL Arches ; CE 11 juin 2014 n° 347006, SCI Imotel).
En l’espèce, bien que les preuves fournies par la société n’aient pas suffi à convaincre la Cour d’appel et la rapporteure publique auprès du Conseil d'Etat, à savoir un acte attestant de l’approbation du débiteur de la créance de la cession de ladite créance par virement entre comptes courants et les extraits de journaux comptables de la société cessionnaire comptabilisant le transfert de la créance, elles ont emporté la conviction du Conseil d’État.
Rappelons qu’aujourd’hui, les deux formalités alternatives prévues par l’art. 1690 du Code civil ne sont plus nécessaires pour rendre une cession de créance opposable aux tiers. En effet, la réforme du droit des contrats entrée en vigueur au 1er octobre 2016 requiert désormais un écrit, à peine de nullité (C. civ. art. 1322). Ce nouveau formalisme permet d’atténuer les conditions d’opposabilité de la cession de créance puisque celle-ci devient opposable aux tiers dès la date de cet écrit (C. civ. art. 1323).
Le principe est donc désormais celui d’une opposabilité immédiate de la cession de créance pour les tiers, alors qu’auparavant, en vertu des dispositions de l’article 1690 du Code civil, l’opposabilité aux tiers était différée au jour où le débiteur était formellement informé de la cession. À l’égard des tiers autres que le débiteur, le cessionnaire est ainsi réputé acquérir la créance à la date de la cession.
En application des nouvelles règles, les enjeux de l’opposabilité de la cession de créance devraient désormais être limités, celle-ci étant opposable à l’administration à la date de l’acte (C. civ. art. 1323), sans qu’il soit nécessaire de démontrer que les formalités d’opposabilité à l’égard du débiteur sont réalisées. La décision ici commentée du Conseil d’État ne présente donc plus qu’un intérêt contentieux.
Toutefois, reste l’enjeu de la preuve de la cession pour le contribuable. En effet, si l’écrit est requis à peine de nullité, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur la question de savoir s’il s’agit d’une nullité relative ou absolue. En l’absence de cet écrit, il existe un risque que d’une part, la cession soit considérée comme nulle et que d’autre part, la créance soit considérée comme abandonnée au débiteur et qu’elle constitue donc pour ce dernier un produit imposable, comme dans le cadre de l’arrêt Sabe précité.
Compte tenu de ces éléments, si la preuve de la cession de créance doit se faire par la production de l’écrit, le caractère certain de la date de la cession, date à laquelle la cession devient opposable aux tiers, peut se faire par tout moyen (C. civ. art. 1323 précité). Il conviendra donc pour les parties à l’acte de s’aménager un mode de preuve de la certitude de la date de l’acte établi sous seing privé.
On soulignera par ailleurs que le risque, pour les contribuables, de voir leurs actes déclarés inopposables à l’administration, ne concerne pas uniquement les cessions de créances. La Cour d’appel de Lyon a en effet récemment jugé qu’en l’absence de réalisation des formalités de publicité prévues à l’article L.123-9 du Code de commerce, la transformation d’une SARL en SAS n’était pas opposable à l’administration et en a déduit que la cession de droits sociaux ultérieurement réalisée devait dès lors être soumise aux droits d’enregistrement au taux de 3 % et non au taux de 0,1 %, en application de l’article 726 du CGI (CA Lyon 6 juillet 2023 n° 20/05110, Sté Cegid - sur ce sujet, V. l’analyse de nos expert dans la présente publication).