Qualification de titres de participation et erreur comptable délibérée

Dans un arrêt Vivendi du 13 décembre dernier, la CAA de Paris a jugé que constitue une erreur comptable délibérée non rectifiable, l’inscription initiale au bilan en « titres de participation » de «  titres de placement  » acquis dans une perspective de désendettement et de rentabilité financière, par une société qui maitrise parfaitement la législation fiscale dans la mesure où ce classement et ses implications ont nécessairement été expertisés (CAA Paris 13 décembre 2023 n° 22PA00602, Sté Vivendi).

Les faits ayant donné lieu à cet arrêt étaient les suivants. À la suite de la cession en 2004 de l’une de ses filiales à la société américaine General Electric (GE), la société française Vivendi a reçu un paiement constitué en partie de 20 % des titres de la société NBCU, société nouvellement créée.

D’abord détenus indirectement, les titres de NBCU ont été inscrits au bilan de Vivendi à compter de 2006 dans la catégorie « titres de participation », maintenant la qualification qui leur avait été donnée dès 2004. En 2008, Vivendi a procédé au reclassement de ces titres en « titres de placement » (dans un compte de « titres immobilisés de l’activité de portefeuille »), estimant avoir commis une erreur comptable. En 2010 et 2011, elle a cédé l’intégralité de ces titres, générant à cette occasion une moins-value à court terme de plus d’un milliard d’euros, qu’elle a intégralement déduite de ses résultats imposables.

À l’occasion d’une vérification de comptabilité de la société Vivendi, l’administration a remis en cause la qualification retenue de « titres de placement ». Elle a requalifié les titres en titres de participation et remis en cause la déduction de la moins-value à court terme relative à ces titres, considérant qu’elle relevait du régime du long terme.

Si la Cour fait droit à la demande de la société en jugeant que les titres constituaient bien pour elle des « titres de placement », elle considère toutefois qu’elle a commis une erreur comptable délibérée en les inscrivant initialement en tant que titres de participation, erreur qu’elle ne pouvait rectifier deux ans plus tard. 

1 – La qualification de « titres de placement » retenue par la Cour 

Il existe une parfaite connexion entre la comptabilité et la fiscalité en matière de classement des titres en titres de participation, les titres de participation au sens comptable figurant parmi les titres répondant à la définition fiscale des titres de participation (CGI art. 39, 1-5°-18e al. ; art. 219, I-a ter et 219, I-a quinquies).

Or, sur le plan comptable, constituent des titres de participation, les droits dans le capital d'autres personnes morales, qui (C. com. art. R 123-184 et PCG art. 221-3) :

  • « en créant un lien durable avec celles-ci ;

  • sont destinés à contribuer à l'activité de la société détentrice ».

En outre, selon la définition fournie par le PCG 82, les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de la société détentrice « notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle » (PCG 82, p. I.42). Cette utilité doit être démontrée à la date d'acquisition des titres.

Se fondant sur cette définition comptable, l’administration avait considéré que les titres détenus par la société Vivendi constituaient des titres de participation, en retenant les éléments suivants :

  • Dès 2003, le président-directeur général de Vivendi déclarait : « NBC Universal est une alliance bénéfique pour Vivendi Universal. Cet accord s'est construit dans un partenariat durable » ;

  • Depuis l’exercice d’acquisition des titres, le régime mère-fille (conditionné à un engagement de conservation de 2 ans) a été appliqué aux remontées de dividendes attachés aux titres NBCU ;

  • La cession des titres a été reportée de plusieurs années ;

  • La société NBCU a été consolidée selon la méthode de la mise en équivalence dans les comptes consolidés du groupe Vivendi, cette méthode étant prescrite par le Code de commerce pour les entreprises sur lesquelles est exercée une « influence notable » (présumée en cas de détention d’au moins 20 % des droits de vote, ce qui était le cas de la détention par la société Vivendi) ;

  • La société Vivendi détenait trois sièges sur quinze au conseil d'administration de la société NBCU, lui permettant ainsi de participer effectivement à la gestion de NBCU grâce notamment aux droits de représentation, d'information et d'approbation qui en découlaient et au pouvoir de s'opposer à toute opération entraînant une dilution de sa participation ;

  • La société Vivendi a participé plusieurs fois à des augmentations de capital afin de maintenir son taux de participation au sein de la société NBCU, se comportant ainsi en actionnaire actif.

Se fondant sur la même définition comptable, la CAA considère au contraire que les titres détenus ne constituaient pas des titres de participation, mais des « titres de placement » pour les raisons suivantes : 

  • À la date d’acquisition des titres NBCU, Vivendi se trouvait en situation de très fort endettement et avait déjà publiquement fait état de sa volonté de se désendetter en cédant ses actifs américains dans le domaine d’activité de la société NBCU ;

  • Les titres de NBCU sont entrés dans le patrimoine de la société Vivendi en tant que simple moyen de paiement aux termes de l'accord, conclu entre les sociétés Vivendi et GE, qui garantissait à cette dernière la perception de dividendes trimestriels provenant de la trésorerie de la société NBCU, indices que la motivation de la société Vivendi était de valoriser au mieux cet investissement dans un objectif patrimonial devant lui permettre de réduire sa dette ;

  • Selon les éléments portés au dossier, la communauté financière avait analysé les titres NBCU ainsi détenus comme relevant des éléments de liquidités ;

  • La société Vivendi s’était contractuellement réservé la possibilité de revendre ces titres à partir du 19ème mois de détention ;

  • Selon la CAA, le pourcentage de détention ne suffisait pas à caractériser la possibilité, ni la volonté pour Vivendi d'exercer une influence et encore moins un contrôle sur la société émettrice. Les 80 % restants des titres de NBCU étant détenus par la seule société GE, les droits que les 20 % de détention du capital de NBCU conféraient à la société Vivendi ne pouvaient être que défensifs.

La CAA considère en outre que le fait que la société Vivendi ait, en définitive, conservé ces titres durant sept années est sans incidence sur la qualification en tant que titres de participation, cette qualification étant réalisée à la date d’acquisition des titres.

2 – Le caractère délibéré de l’erreur comptable commise par la société

Faisant droit à la demande de qualification des titres en « titres de placement » de la société (voir ci-avant), la Cour s’est ensuite penchée sur la demande de substitution de motifs de l’administration qui soutenait devant les juges du fond que la société avait délibérément commis une erreur comptable en inscrivant les titres en « titres de placement » de 2006 à 2008 et qu’en conséquence, elle ne pouvait rectifier cette erreur.

Outre la question de la qualification des titres analysée ci-avant, l’arrêt ici étudié est intéressant à plusieurs égards pour la matière fiscale, d’abord en matière de procédure et ensuite sur l’appréciation du caractère délibéré de l’erreur comptable.

Incompétence de la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires sur l’appréciation du caractère délibéré de l’erreur comptable 

Pour faire échec à la substitution de motifs, la société se prévalait de la violation des garanties de procédure, notamment de celle prévue à l’article L. 59 du Livre des procédures fiscales, au motif que la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires s’était prononcée sur la qualification des titres en cause, mais pas sur le caractère délibéré ou non de l’erreur comptable commise alors.

La Cour a fait droit à la demande de substitution de motifs de l’administration et jugé que la question de savoir si une erreur comptable revêt un caractère délibéré, interdisant au contribuable de procéder à sa rectification, n’est pas susceptible de donner lieu à des questions de fait au sens des dispositions l’article L. 59 A, II, al. 1 du Livre des procédures fiscales et ne relève donc pas de la compétence des commissions départementales et nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires.

Si la Cour administrative d’appel de Versailles a déjà statué en ce sens en jugeant que l'appréciation du caractère délibéré d'une erreur commise par un contribuable est une question de droit qui, en vertu de l'article L. 59 A du LPF, échappe à la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, c’était, en l’espèce, dans un contexte relatif à l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CAA Versailles, 18 février 2016 n° 13VE02491, SA Orange).

Dans les matières pouvant être soumises à son appréciation, la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. Par dérogation toutefois, elle peut se prononcer sur le caractère anormal d'un acte de gestion, sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ainsi que sur le caractère de charges déductibles ou d'immobilisation (LPF, art. L. 59 A). Dans ces derniers cas en effet, les faits et le droit sont intimement liés.

La jurisprudence considère de longue date qu’il existe une question de fait au sens de ces dispositions, dès lors qu'il existe entre le contribuable et l'administration un désaccord sur des éléments de fait, qu'il s'agisse de la matérialité des faits eux-mêmes ou de l'application qu'il convient de porter sur les faits, eu égard, notamment, à la situation de l'entreprise ou aux pratiques du commerce ou de l'industrie auxquels celle-ci appartient (CE, plén., 27 juill. 1988, n° 50020, SARL « Boutique 2 M »).

Dans le cas particulier de l’existence d’une erreur comptable délibérée, on peut s’interroger sur la solution retenue par la Cour relative à l’absence de caractère factuel de la détermination du caractère délibéré ou non d’une erreur comptable dès lors que de nombreux paramètres sont en jeu pour l’apprécier, notamment si l’on doit faire référence, comme le fait la Cour (V. ci-après) au fait que la société « maitrise parfaitement la législation fiscale » et si l’on doit examiner dans quelles conditions le choix du classement des titres a été expertisé.

Caractère délibéré de l’erreur comptable commise par la société Vivendi

Pour rappel, le Conseil d’État a reconnu la possibilité d’une correction en cas d’erreur non délibérée en jugeant que l’inscription de titres au compte de titres de participation :

  • ne matérialise aucune décision de gestion puisqu’elle est commandée par le respect de la réglementation comptable et ne traduit donc pas l’exercice par l’entreprise d’un choix entre plusieurs possibilités offertes par la loi fiscale ;

  • et peut en conséquence, si elle est erronée, être corrigée à l’initiative de l’entreprise, sauf erreur délibérée (CE 29 mai 2017 n° 405083).

Au cas présent, pour conclure au caractère délibéré de l’erreur comptable commise par la société, la Cour a retenu plusieurs éléments déterminants mais surtout le fait que les titres ont été reçus dans une perspective de désendettement et de rentabilité financière.

Elle s’est aussi fondée sur les arguments de l’administration selon lesquels :

  • la société Vivendi maitrise parfaitement la législation fiscale, de sorte que le classement comptable des titres en 2006 a nécessairement été expertisé, ainsi que ses implications, au nombre desquelles figure le bénéfice d’une exonération des plus-values escomptées,
  • tandis qu'en l'absence de changement dans les conditions et les perspectives de détention de ces titres entre 2006 et 2008, rien ne justifiait une modification de leur classement, 

  • sinon qu'il est apparu au fil du temps que les titres en cause se déprécieraient de façon durable, perspective qui rendait plus attractif le régime fiscal des titres de placement qui permet, à la différence de celui des titres de participation, de déduire du résultat fiscal les provisions pour dépréciation ainsi que les moins-values de cession sur titres.

L’argument tiré de la maitrise de la législation fiscale par la société Vivendi peut surprendre, dès lors qu’il pourrait conduire à une certaine systématisation du caractère délibéré des erreurs comptables commises par les « grandes entreprises » qui peuvent bénéficier d’une expertise fiscalo-comptable. Toutefois, cet argument ne peut, selon nous, être érigé en règle absolue, dans la mesure où il nous semble que la Cour se fonde ici principalement sur le fait que les titres avaient, selon elle, dès l’origine, le caractère évident de « titres de placement ».

On ne peut qu’espérer que le Conseil d’État, qui a été saisi d’un pourvoi le 13 février dernier, sera effectivement amené à se prononcer sur ces diverses questions car elles suscitent de nombreuses interrogations, tant sur le terrain du droit que sur celui des faits.

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Bénédicte le Maux

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Marie-Hélène Pinard-Fabro

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Charlotte Guincestre Carpentier

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