Stocks se dépréciant de manière homogène : inutilité d’une répartition en catégories distinctes

CE 13 novembre 2023 n°466464, SAS CEJECA 

Une société exerce une activité de vente en gros de produits de visserie et de boulonnerie à destination du secteur industriel. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration remet en cause le caractère déductible des provisions pour dépréciation de stocks à rotation lente constituées par la société. 

La CAA décharge la société des rehaussements d’IS mis à sa charge. 

Ndlr : au cas d’espèce, la société calculait la durée prévisible de couverture des ventes par les stocks et appliquait une provision de 15 % lorsque cette durée était comprise entre 2 et 5 ans, de 33 % lorsqu’elle était comprise entre 5 et 10 ans, de 50 % lorsqu’elle était comprise entre dix et vingt ans et de 66 % lorsqu’elle était supérieure à 20 ans.

Se fondant sur les dispositions combinées des art. 39 et 38 du CGI et 38 decies de l’annexe III au CGI, le CE rappelle que : 

  • lorsque l’entreprise constate que tout ou partie des matières ou produits qu’elle possède en stock a, à la date de clôture de l’exercice, une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient, elle est en droit de constituer, à concurrence de l’écart constaté, une provision pour dépréciation, 

  • si une telle provision peut être évaluée par des méthodes statistiques, c’est à la condition que son évaluation soit faite de manière précise et suffisamment détaillée selon les catégories de produits en stock. 

Le CE considère que :

  • c’est par une appréciation souveraine des faits que la CAA a estimé que les pièces figurant dans les stocks de la société devaient être regardées comme subissant, en cas de rotation lente, à raison des effets de leur obsolescence, une dépréciation homogène. 

  • c’est sans erreur de droit qu’elle a jugé :
    • qu'il n'était ni utile ni raisonnable que, 
    • au-delà de ce qui résultait de la prise en compte de l'importance des ventes observée au cours du dernier exercice pour ces différents produits, 
    • la société définisse, au sein de son catalogue, des catégories distinctes de références en vue de la mise en œuvre de la méthode statistique adoptée pour la détermination de la provision pour dépréciation de stocks en litige,
    • dont l'évaluation s'avérait ainsi suffisamment précise et détaillée.

Le CE juge en outre que la CAA n’a pas commis d'erreur de droit :

  • en écartant l’argument du Ministre tiré du caractère vicié de la méthode statistique retenue par la société au motif que certaines références avaient fait l’objet d’un réapprovisionnement,  

  • cette circonstance, 
    • qui ne concernait au demeurant qu'un pourcentage très limité des articles en stock, 
    • étant seulement susceptible de permettre à l'administration, si elle s'y croyait fondée, de remettre en cause les provisions constituées à raison des seuls produits pour lesquels pouvait être établie l'incohérence des pratiques de la société. 

Enfin, il estime que la CAA a pu juger sans erreur de droit que :

  • la circonstance que les produits ayant fait l'objet de provisions étaient vendus à un prix excédant la valeur moyenne unitaire nette de ces articles en comptabilité, 

  • n'était pas, par elle-même, de nature à invalider la méthode statistique adoptée par la société, 

  • l'inscription en provision d'un montant correspondant à la valeur de la fraction des produits détenus en stock qu'une société estime ne pas pouvoir vendre à terme conduisant par construction à ce que la valeur moyenne unitaire globale des stocks correspondants, nette de ces provisions, soit inférieure à la valeur courante de ces produits.

Découvrir l'arrêt 

Le regard de nos experts

Sur le plan comptable comme sur le plan fiscal, une dépréciation des stocks fondée sur l’obsolescence des biens est susceptible d’être admise afin de traduire le risque lié à la perte de la valeur d’usage d’articles figurant dans les stocks d’une entreprise (CE 25-9-1989 n° 62934).  A ce titre, un taux de rotation faible en raison de l’obsolescence technique de pièces détachées peut constituer un indice de perte de valeur du stock.

Cette (provision pour) dépréciation peut être évaluée au moyen de calculs statistiques sous réserve qu’ils reposent sur des données tirées de l’expérience de l’entreprise et présentent un caractère fiable permettant d’en déterminer le montant avec une approximation suffisante. Un tel calcul impose, en principe, de distinguer les différentes catégories et durées d’utilisation des éléments concernés. Ainsi, plusieurs jurisprudences favorables, notamment dans le secteur textile, concernent des hypothèses dans lesquelles l’entreprise distingue le niveau de dépréciation par catégorie homogène de produits (CE 3-2-1989 n° 57456 ; CE 7-11-1975 n° 86136). 

Dans cette nouvelle affaire soumise au Conseil d’Etat, l’entreprise disposait d’un stock important de pièces détachées comportant environ 20 000 références, lui permettant de faire face dans les meilleurs délais aux besoins de ses clients en matière de maintenance industrielle. Elle avait établi une distinction entre un stock dormant (références n’ayant fait l’objet d’aucune entrée et d’aucune sortie au moins depuis le début de l’exercice considéré) et un stock à rotation lente.

En ce qui concerne le stock dormant, la société avait appliqué un taux de dépréciation de 70 % en l’absence de mouvement depuis un an, et de 90 % en l’absence de mouvement depuis trois ans. L’administration n’a pas remis en cause ces modalités de dépréciation.

En ce qui concerne le stock à rotation lente, les taux de dépréciation avaient été fixés à 15 %, 33 %, 50 % ou 66 % suivant que la durée de couverture des ventes par les stocks s’avérait respectivement comprise entre deux et cinq ans, entre cinq et dix ans, entre dix et vingt ans ou supérieure à vingt ans. L’administration a contesté la pertinence de cette méthode pour cette partie du stock, estimant que la société n’établissait pas le caractère probable ni la réalité de la dépréciation, dès lors que la rotation lente de certains stocks était inhérente à sa politique commerciale, consistant à disposer d’un stock important pour pouvoir répondre instantanément à la demande de sa clientèle.

La Cour administrative d’appel avait relevé que les pièces concernées, consistant essentiellement en des éléments métalliques stockés dans des conditions optimales, ne subissaient pas d’altération physique avec le temps. Cependant, selon la Cour, il résultait de l’instruction et il n’était pas sérieusement contesté que la valeur d’usage de certains des articles stockés était susceptible de diminuer, les ventes de nombreuses références ayant tendance à se réduire dans le temps, voire à atteindre un niveau nul, en raison d’une obsolescence technique de pièces spécifiques à certaines activités industrielles en déclin ou de l’évolution technologique des machines, des modifications des normes techniques ou des fluctuations, difficiles à anticiper, des besoins de la clientèle. 

La Cour avait ainsi jugé que, compte tenu de l’absence d’altération physique des pièces figurant dans les stocks constitués par la société, ces pièces devaient être regardées comme subissant une dépréciation homogène, de sorte qu’il n’était ni utile ni raisonnable que cette société se livre à une individualisation de cette dépréciation pour les 20 000 références de pièces que comptait son stock au cours des deux années vérifiées, ni qu’elle définisse, au contraire, des catégories de références en tenant compte de leurs caractéristiques intrinsèques, la méthode mise en œuvre par elle permettant de tenir compte de manière satisfaisante de l’obsolescence technique propre à chacune de ces références.

Bien que l’écoulement du temps ne soit pas en lui-même un critère suffisant pour justifier d’une dépréciation (CE 8-7-2015 n° 367767 ; CE 17-11-2000 n° 181459), le Conseil d’Etat, à la lumière des conclusions de la rapporteure publique Karin Ciavaldini, valide la position de la cour selon laquelle l’existence d’une dépréciation homogène résultant de l’obsolescence technique de l’ensemble des pièces selon une trajectoire identique ou comparable peut valablement dispenser l’entreprise de définir des catégories distinctes de références fondées sur les caractéristiques intrinsèques des diverses pièces. 

En conséquence, la méthode utilisée est considérée comme suffisamment précise compte tenu de la nature spécifique des biens concernés.

En conclusion, cette solution qui admet l'utilisation d’une méthode de calcul statistique d’évaluation de la provision pour dépréciation de biens non différenciés par catégories de référence doit être saluée, même si elle elle doit être interprétée avec précaution et ne devrait en pratique trouver à s’appliquer que dans la situation particulière où la nature même des biens et leurs conditions d’obsolescence sont homogènes pour l’ensemble des stocks comme cela était le cas en l’espèce dans le cadre de l’activité de maintenance industrielle de pièces détachées de visserie et de boulonnerie.

NB : la décision aborde également la question de la dépréciation des créances douteuses, thème non abordé dans le cadre du présent commentaire.

Pour aller plus loin

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Philippe Durand

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