Trop souvent, l’évaluation de l’efficacité juridique se résume à un décompte quantitatif : nombre de contrats négociés, de contentieux traités, de consultations délivrées. Si ces indicateurs d’activité apportent une vision fonctionnelle, ils restent insuffisants pour apprécier l’impact réel de la fonction juridique. Ce constat impose donc un changement de paradigme : il s’agit d’identifier des indicateurs pertinents qui transcendent la simple productivité pour refléter l’influence de la direction juridique sur la création de valeur, la maîtrise des risques et l’optimisation des processus décisionnels.
C’est ainsi que cette fonction dans l’entreprise - longtemps perçue comme un poste budgétaire à encadrer - devient un levier stratégique, qui permet de structurer les relations contractuelles et les mécanismes de gouvernance. L’enjeu principal est par conséquent de démontrer, avec des indicateurs précis, l’apport réel de la fonction juridique à la dynamique de l’entreprise.
« La performance de la direction juridique ne se mesure pas de façon isolée. Elle doit s’inscrire dans la performance globale de l’entreprise, car son rôle est précisément de la soutenir et de l’améliorer »
L’analyse des résultats d’une direction juridique repose sur une différenciation essentielle entre indicateurs d’activité et indicateurs de performance. Les premiers mesurent le volume de travail réalisé : nombre de contrats finalisés, de contentieux traités ou de consultations juridiques effectuées. Ces données permettent de quantifier la charge de travail et d’optimiser les ressources, mais elles n’expriment pas à elles seules l’impact stratégique du service.
Les indicateurs de performance, en revanche, s’intéressent à la valeur créée. Ils s’articulent autour de trois axes fondamentaux :
« Tout est une question de perspective. On parle parfois d’« indicateur de valeur », mais cette notion peut recouvrir des réalités différentes. Tout dépend de ce que l’on cherche à mesurer : l’apport de la direction juridique à l’entreprise ou simplement son niveau d’activité ? Si l’on prend un indicateur quantitatif, comme le nombre de contrats traités, on peut considérer que la performance est atteinte si l’on dépasse un objectif fixé. Mais cela ne dit rien de l’impact réel sur la création de valeur pour l’entreprise. »
Pour illustrer cette approche, prenons l’exemple d’une entreprise qui mise sur la croissance externe. Son expansion par acquisition impose une forte mobilisation de la direction juridique. Ainsi, mesurer son action ne peut se résumer au comptage des contrats conclus. Il convient aussi d’évaluer :
« Si mon directeur général me dit qu’il veut doubler le nombre de contrats d’acquisition, je dois évaluer la capacité de production de mon équipe et adapter les ressources en conséquence, qu'elles soient internes ou externes. » Olivier Chaduteau
Choisissons un autre exemple : la simplification contractuelle. Une direction juridique qui parvient à réduire de 8 à 2 mois le temps de négociation standard d’un contrat ne se contente pas d’améliorer son efficacité. Cette rationalisation se traduit par une facturation plus rapide, laquelle influe directement sur la trésorerie et les besoins en fonds de roulement.
Attention cependant, piloter une direction juridique ne revient pas à empiler des indicateurs. Il s’agit de sélectionner quelques mesures importantes qui reflètent à la fois l’activité et la contribution stratégique du service :
« Plus vous avez d’indicateurs, moins c’est efficace. Il vaut mieux en sélectionner trois à cinq qui font vraiment sens pour votre activité. »
Chaque opération commerciale intègre des coûts liés aux échanges contractuels et aux procédures juridiques associées. Une direction juridique performante travaille dès lors à réduire ces coûts, en s’appuyant sur plusieurs leviers :
« Quand vous dites à un PDG : « Nous allons contribuer à la réduction des coûts de transaction », cela capte immédiatement son attention, car il en comprend parfaitement l’enjeu. Les indicateurs qui en découlent parlent d’eux-mêmes et apportent une valeur tangible. Affirmer que la direction juridique joue un rôle clé dans cette diminution de coûts a un impact immédiat, car cela correspond à une réalité concrète et mesurable pour l’entreprise »
Le service juridique peut aussi anticiper les évolutions réglementaires et transformer ces contraintes en opportunités. Une analyse prospective des normes à venir permet notamment d’identifier des marges de manœuvre insoupçonnées, voire de créer un avantage concurrentiel. À titre d’exemple, certaines entreprises ont su tirer parti des exigences liées au RGPD pour renforcer la transparence et la confiance client, se distinguant ainsi sur leur marché.
Autre cas d’école : la contractualisation innovante. Certains modèles économiques, comme la franchise ou l’économie des plateformes, reposent sur une démarche contractuelle inédite qui nécessite une expertise pointue. Un service juridique capable de structurer ces nouveaux schémas transactionnels apporte un atout stratégique majeur.
Quand les indicateurs sont définis, leur mise en perspective auprès des parties prenantes internes devient déterminante. La direction juridique doit alors adapter son discours aux attentes du comité de direction et des équipes financières.
Or, au lieu de mettre en avant le nombre de contrats optimisés, il est plus pertinent d’expliquer en quoi ces modifications ont permis d’accélérer la génération de revenus ou d’améliorer la gouvernance des engagements contractuels.
Alors que les exigences légales se complexifient et que les nouvelles technologies transforment les pratiques, les directions juridiques doivent redéfinir leurs priorités. Une démarche à « valeur stratégique ajoutée », adossée à des outils performants et une communication efficace, leur permet d’affirmer leur rôle au sein des instances dirigeantes. La capacité à démontrer la portée de leurs actions devient un levier déterminant pour asseoir leur légitimité et peser dans les décisions stratégiques de l’entreprise. Ainsi, en dépassant leur image de centre de coûts, elles se positionnent comme un moteur de compétitivité et de pérennité pour l’entreprise.