La conformité légale et réglementaire s’apparente à un chantier permanent. Un dispositif juridique structuré s’impose au-delà de la production de la documentation juridique obligatoire : il constitue un levier de sécurité, un gage de transparence, de même qu’un atout stratégique, notamment lors des opérations de transmission ou d’audit. Pourtant, les obligations en matière de secrétariat juridique sont parfois abordées de manière superficielle.
Si la rigueur est indispensable, encore faut-il disposer des outils adéquats pour fluidifier le traitement des dossiers et éviter les erreurs qui pourraient s’avérer lourdes de conséquences. C’est ici que l’automatisation documentaire prend tout son sens.
« Beaucoup d’entreprises, même de taille conséquente, accordent une attention limitée à ces aspects, faute de temps ou de moyens dédiés. Or, une négligence dans ce domaine peut engendrer des risques majeurs, notamment en cas de changement de contrôle ou de restructuration »
Certes, il s’agit en premier lieu d’une modernisation des pratiques dans leur globalité. Mais, plus encore, cette transformation à travers l’intégration des nouvelles technologies modifie en profondeur la manière dont les documents juridiques sont générés et gérés.
En cela, l’automatisation documentaire permet d’accélérer la production des actes tout en réduisant le risque d’erreurs humaines.
PwC, en collaboration avec Legal Pilot, a ainsi mis en place dans son propre service un système d’arborescence décisionnelle qui permet de structurer la rédaction des documents en fonction de règles précises.
« Jusqu’ici, tout était réalisé de manière artisanale, avec un risque évident de dispersion des informations. Aujourd’hui, nous avons divisé par trois le temps nécessaire à la production d’un rapport de gestion », explique Céline Gadby, Avocat, Directeur, PwC Société d’Avocats.
Le système repose sur un questionnaire qui alimente automatiquement le document final. Selon les réponses apportées, les paragraphes se configurent en temps réel, pour un rendu adapté à la situation de chaque entreprise.
En limitant le travail manuel, les juristes peuvent ainsi se consacrer à des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme l’analyse des clauses complexes ou le conseil stratégique.
« L’un des écueils classiques du secrétariat juridique, c’est la multiplication des versions d’un même document, avec des divergences d’un collaborateur à l’autre. Grâce à cette approche standardisée, nous obtenons une uniformité parfaite, tout en préservant la souplesse nécessaire pour des ajustements »
Si l’automatisation accélère la rédaction des documents, elle ouvre aussi la voie à une gestion plus intelligente des données juridiques. Le recours aux tableaux de bord interactifs permet désormais d’obtenir une vision consolidée et en temps réel des obligations à respecter.
« Auparavant, tout reposait sur des fichiers Word et Excel disséminés dans différents services. Désormais, nous centralisons toutes les données, ce qui permet une lecture instantanée de l’état d’avancement des dossiers », explique Coline Alméras-Vaillant. “ Et ce, sans ajouter de tâche complémentaire aux différents intervenants sur le processus”
Ces outils offrent plusieurs avantages :
Un suivi précis des échéances légales, avec des alertes automatiques.
Une identification immédiate des tâches en attente, évitant les oublis et les retards.
Une meilleure communication entre les services, grâce à une information partagée en temps réel.
Les dirigeants peuvent ainsi accéder, en un clic, à l’état de conformité de leurs structures. Cette transparence facilite la prise de décision et réduit le temps perdu à rechercher des documents éparpillés.
« L’un des bénéfices majeurs de cette approche réside dans l’harmonisation des pratiques au sein d’un groupe. Fini le temps où chaque filiale appliquait des méthodes différentes : tout est centralisé, structuré et optimisé »
En outre, une des avancées les plus marquantes de cette transition numérique repose sur l’intégration directe des bases de données comptables et fiscales. Plutôt que de ressaisir manuellement les informations, les systèmes actuels permettent une alimentation automatique dans les documents juridiques à partir des fichiers comptables.
« L’un des principaux risques dans la gestion du secrétariat juridique, ce sont les erreurs de saisie. Un simple chiffre mal recopié peut invalider un document. Désormais, nous branchons directement les fichiers EDI et les liasses fiscales, garantissant une exactitude totale des données »
Si ces évolutions technologiques apportent des gains considérables en matière d’efficacité et de sécurité juridique, leur succès repose avant tout sur l’adhésion des équipes.
Pour y parvenir, plusieurs leviers sont actionnés :
Des formations ciblées, pour que les juristes maîtrisent progressivement ces nouveaux outils.
Une autonomie renforcée, permettant à chaque service d’adapter les modèles documentaires à ses besoins.
Un suivi régulier, afin d’ajuster l’outil en fonction des retours d’expérience des utilisateurs.
« L’un des enjeux majeurs d’un tel projet, c’est d’embarquer les collaborateurs dans cette transition. Il ne suffit pas d’imposer un outil : il faut démontrer son utilité et accompagner son adoption »
Si l’automatisation documentaire et la visualisation des données ont déjà bouleversé le secrétariat juridique, l’intelligence artificielle (IA) reste encore à l’état d’expérimentation dans ce domaine. Les équipes juridiques de PwC explorent son potentiel, mais son intégration dans les processus de gestion documentaire suscite encore des interrogations.
Comme l’explique Coline Alméras-Vaillant : « Pour l’instant, nous n’avons pas intégré d’IA dans notre système, en particulier pas d’intelligence artificielle générative, car nous réalisons encore de nombreux tests. Notre priorité est la standardisation et la sécurité des documents, et nous n’avons pas encore trouvé la manière d’intégrer l’IA dans un cadre suffisamment rigoureux. »
L’un des enjeux majeurs repose en effet sur la nécessité d’éviter toute imprévisibilité dans les résultats générés. Un acte juridique ne tolère aucune approximation ni excès de créativité, ce qui rend complexe l’adoption de modèles génératifs dans la production de documents normalisés. « Nous avons besoin d’un cadre strict qui sécurise nos actes. Un contrat ou une AGOA (Assemblée Générale Ordinaire Annuelle) ne doit pas contenir une clause aléatoire suggérée par une IA sous prétexte qu’elle semble pertinente », ajoute-t-elle.
En revanche, des expérimentations sont en cours sur des usages plus ciblés. L’IA pourrait par exemple assister les équipes dans la rédaction de clauses spécifiques, notamment lorsqu’un contexte nécessite une formulation ou une adaptation sur mesure.
L’enjeu, à terme, est de trouver un équilibre entre automatisation stricte et flexibilité rédactionnelle, en évitant tout risque juridique lié à une production de contenu non maîtrisée : « Nous avons constaté, sur d’autres types d’activités, que l’IA générative pouvait accélérer la mise en forme de trames et proposer des idées pertinente et enrichissante. Il faut maintenant réussir à faire cohabiter ces deux approches sans compromettre l’exigence de conformité », analyse Coline Alméras-Vaillant.
De son côté, Christophe Guénard rappelle que l’intégration de nouveaux outils doit toujours s’accompagner d’une réflexion approfondie sur leur impact et leur adoption par les équipes :
« Ce type de transformation ne peut pas être imposé sans préparation. Nous avons observé des services juridiques adopter des outils numériques sans accompagnement suffisant, ce qui a souvent conduit à une forme de rejet de la part des équipes. Le processus doit être itératif, progressif et adapté aux réalités du terrain »
La digitalisation du secrétariat juridique ouvre la voie à une organisation plus fluide, plus fiable et moins chronophage. En premier lieu par l’automatisation, la visualisation des données et l’interconnexion des bases, les entreprises peuvent dès aujourd’hui optimiser leur gestion et réduire leur exposition aux risques.
Cependant, cette transformation digitale ne se décrète pas : elle doit être menée avec méthode, pédagogie et pragmatisme. L’accompagnement des équipes demeure en effet le facteur clé de réussite. Car la technologie ne remplace pas l’expertise humaine, elle la renforce.
L’ère du secrétariat juridique numérique ne fait que commencer. Les prochaines années verront sans doute émerger de nouvelles synergies entre le droit et l’intelligence artificielle, ouvrant la voie à une profession encore plus stratégique.
Directrice Technologies, Transformation & Innovation, PwC Société d'Avocats