Depuis 2023, le Code de commerce autorise la scission dite « partielle », permettant l’apport d’une partie de l’actif d’une société et, le cas échéant, d’une partie de son passif, avec la possibilité d’attribuer directement aux associés de la société apporteuse, les parts ou actions de la ou des sociétés bénéficiaires des apports1.
Sur plan comptable, l’Autorité des normes comptables a précisé dès 2023 les conséquences de cette opération2 :
Ce nouveau dispositif, très attendu par les entreprises et les praticiens, était toutefois peu retenu en pratique, dans l’attente de dispositions fiscales permettant d’assurer la neutralité fiscale de ces opérations.
C’est désormais chose faite. Sur le plan fiscal, la loi de finances pour 20256 a en effet étendu aux opérations de scission partielle donnant lieu à l’attribution directe aux associés de la société scindée des titres de la société bénéficiaire des apports, la définition fiscale des apports partiels d’actif. Ce qui permet à ces opérations d’être éligibles aux dispositifs fiscaux de faveur prévus pour les opérations de restructurations. Les scissions partielles peuvent donc désormais bénéficier du régime de report et de sursis d’imposition7 et de l’exonération d’impôt de distribution8.
Ce traitement comptable et fiscal n’est pas sans rappeler celui applicable à l’opération dite d’« apport-attribution », consistant à réaliser un apport partiel d’actif suivi dans un second temps de l’attribution, aux associés de la société apporteuse, des titres qu’elle a reçus en contrepartie de son apport, dans le cadre de l’article 115-2 du Code général des impôts. L’apport-attribution, jusqu’à présent très fréquemment utilisé en pratique, devrait être remplacé par le nouveau dispositif de la scission partielle.
En effet, dans le cadre d’un apport-attribution, deux opérations juridiques successives sont à réaliser : un apport partiel d’actif, suivi d’une distribution aux associés de la société apporteuse des titres que cette dernière a reçus en rémunération des apports. Cette opération n’est toutefois réalisable que si ses capacités distributives sont suffisantes pour permettre une telle distribution9.
En offrant la possibilité d’attribuer les titres des sociétés bénéficiaires des apports directement aux associés de la société apporteuse :
Attention toutefois, car seules peuvent bénéficier de ces dispositions favorables, les opérations dans lesquelles l’entité scindée apporte une branche complète et autonome d’activité, tout en en conservant au moins une après l’apport11. Dans l’hypothèse où ces conditions ne seraient pas remplies, il devrait toutefois être possible de réaliser l’opération en neutralité fiscale dans le cadre d’un agrément administratif.
Une branche autonome d’activité (« BCA ») est définie, tant sur le plan comptable que fiscal, comme l’ensemble des éléments d’actif et de passif d’une division d’une société qui constituent, du point de vue de l’organisation, une exploitation autonome, c’est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens12. Si les textes ne fournissent pas de précisions complémentaires sur la notion de branche autonome d’activité, une jurisprudence fiscale abondante permet toutefois d’en déterminer les contours.
L’identification d’une BCA nécessite un travail minutieux d’allocation des actifs et passifs de l’entité apporteuse, afin de répondre à cette définition, et notamment afin d’inclure la totalité des éléments essentiels de l’activité apportée. Rappelons en effet que, sur le plan fiscal, la branche d’activité doit également être considérée comme « complète ».
La mise en œuvre de cette allocation présente souvent des difficultés pratiques, en raison notamment de la diversité des éléments à identifier (contrats, passifs fiscaux et sociaux, immeubles, éléments incorporels, etc.), de la définition d’une méthodologie d’allocation pouvant différer selon les postes concernés, d’un accès parfois difficile aux données dans les systèmes et d’un volume souvent important de données à analyser.
En matière de contrats, comme l’indique Laurent Magne, associé PwC au sein de Strategy&, de nombreux contrats, notamment ceux portant sur des droits de propriété intellectuelle, sont conclus intuitu personae, c’est-à-dire en fonction des compétences et du savoir-faire spécifiques du cocontractant. Par conséquent, le consentement préalable des cocontractants est souvent nécessaire à la cession ou la duplication de tels contrats. L’obtention de ce consentement doit être organisée en amont de l’opération pour s’assurer du transfert de l’activité associée aux contrats, permettre la continuité des opérations et valider que les schémas contractuels sont adaptés à la nouvelle structure organisationnelle.
En ce qui concerne les contrats de travail, comme le rappelle Corinne Guyot Chavanon, avocat, associée en droit social, PwC Société d’Avocats, s’assurer de l’existence d’une entité économique autonome et de ses contours conformément aux dispositions du Code du travail13 est essentiel lors d’un transfert d’activité, afin de protéger les salariés en maintenant leurs contrats, d’éviter des litiges et des sanctions pour l’entreprise, tout en respectant la procédure requise concernant leur statut collectif. En outre, poursuivant sur les enjeux opérationnels du détourage ou « carve-out », Laurent Magne précise que l’identification des salariés à rattacher à la branche constitue également un enjeu considérable. En effet, les employés dédiés à l’activité apportée sont généralement aisément identifiables et transférables. En revanche, pour les employés partagés, il convient de définir les critères d’allocation (dont le temps passé sur chaque activité, le niveau de séniorité, la criticité de l’expertise...) afin d’identifier les fonctions à rattacher à la branche d’activité, et, in fine, les personnes associées. Ce processus d’allocation des employés puis de leur transfert nécessite un dialogue social constructif et une approche spécifique.
L’activité devant constituer une exploitation autonome, le travail d’allocation requiert en outre une analyse poussée du fonctionnement de la branche apportée, non seulement au sein de l’entité scindée, afin d’identifier les actifs et passifs qui s’y rattachent, mais également pour l’avenir, afin de s’assurer de la pérennité économique de l’activité, une fois l’apport réalisé.
Ainsi, il est notamment nécessaire d’anticiper le besoin en trésorerie de la branche d’activité pendant les mois suivant l’apport pour s’assurer de son autonomie financière. Dans ce cadre, un apport de trésorerie peut devoir être nécessaire pour permettre cette autonomie.
L’identification d’une BCA nécessite ainsi d’avoir une vision d’ensemble des enjeux de l’opération et de combiner plusieurs dimensions (fiscal, comptable, social, systèmes d’information, finance…) tout en ayant une solide connaissance opérationnelle de l’activité scindée.
Une coordination centrale forte est donc indispensable pour mener ce type d’opération. Comme l’indique Martial Thomazo, associé PwC au sein de Strategy&, du fait de sa complexité, la scission partielle implique de nombreuses étapes juridiques, fiscales, comptables mais aussi opérationnelles. Une coordination centrale doit permettre d’identifier toutes les étapes à franchir, puis de s’assurer que les plans d’actions pour atteindre ces objectifs sont définis par direction, portés par des chefs de projet clairement nommés et avec des échéances connues et partagées.
Une fois le recensement des actions effectué, il est indispensable de construire un plan d’action robuste, intégrant les interdépendances entre les différentes fonctions et les parties prenantes. Les responsables de ces actions doivent porter le projet, communiquer régulièrement sur leur avancement, sur les difficultés rencontrées et sur les éventuels besoins d’arbitrage. Le pilotage central doit être le garant de la coordination des différentes actions, de leur cohérence, mais aussi de la bonne allocation des ressources pour mener à bien les actions définies dans le temps imparti.
Une coordination centrale forte permet également de s’assurer que toutes les exigences légales et fiscales sont respectées, évitant ainsi d’éventuelles complications ultérieures tout en sécurisant la continuité de l’activité.
En conclusion, selon Laurent Guérin, associé PwC au sein de Strategy&, head of deal practice, une opération de « carve-out », qu’elle soit réalisée par apport partiel d’actif ou par scission partielle, est un projet d’entreprise qui nécessite d’embarquer largement l’organisation afin de créer la valeur attendue et d’assurer une exécution efficace. Il est essentiel de commencer par bien définir la stratégie et le périmètre opérationnel qui répondra aux critères d’une telle opération puis d’affecter et de transférer les ressources fonctionnelles nécessaires au bon fonctionnement du nouvel ensemble autonome selon le modèle opérationnel cible.
Pour assurer le parfait pilotage d’un tel projet transverse, il faut se doter d’une structure de projet centrale forte couvrant toutes les fonctions de l’entreprise et ayant le niveau d’expertise requis pour correctement identifier les enjeux, anticiper et résoudre les difficultés, garantir le bon niveau de communication envers les différentes parties prenantes, et enfin, s’assurer que les exigences légales, fiscales sont dûment prises en compte et satisfaites.
1. C. com. art. L. 236-27 créé par l’ordonnance 2023-393 du 24 mai 2023 transposant la directive européenne 2019/2121 sur les transformations, fusions et scissions transfrontalières.
2. Règl. ANC n° 2023-08 du 22-11-2023 modifiant le règl. ANC n° 2014-03 relatif au Plan comptable général (« PCG »).
3. PCG art. 740-1.
4. PCG art. 747-1.
5. PCG art. 747-2.
6. Article 65.
7. Prévu à l’article 210 B du Code général des impôts.
8. Prévue à l’article 115, 2 du Code général des impôts.
9. Opération soumise aux articles L. 232-11 et L. 232-12 du Code de commerce relatifs à la distribution de dividendes.
10. En ce sens, Com. Ansa n° 23-030, réunion du 05/07/2023.
11. PCG art. 710-2 et CGI art. 115-2.
12. Définition donnée par la directive communautaire n° 2009/133/CE du 19 octobre 2009, reprise au BOFiP (BOI-IS-FUS-20-20 n° 10) et par le Plan comptable général (commentaire IR3 sous l’article 710-2).
13. Article L. 1224-1 du Code du travail.