Le charme discret des sociétés de personnes

discussion entre femmes d'affaires
  • Juin 05, 2025

Article de Philippe Emiel, Avocat Of Counsel et Florian Louvet, Avocat, PwC Société d'Avocats initialement paru dans le numéro Option Finance du 20 mai 2025 

 

Le régime fiscal applicable aux sociétés de personnes est celui de l’article 8 du Code général des impôts (« CGI »), à savoir celui de la translucidité fiscale. Ce régime présente de nombreux avantages par rapport à celui applicable aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés (« société IS »). Ce constat se vérifie qu’il s’agisse de sociétés de personnes détenues par des sociétés IS ou par des personnes physiques.

 

Petit tour d’horizon de ces avantages.

Une consolidation fiscale « sauvage » des résultats plus favorable que le régime de l’intégration fiscale

Le régime fiscal des sociétés de personnes permet de consolider l’ensemble des résultats positifs et négatifs de plusieurs sociétés de personnes détenues en râteau par une entité holding, que celle-ci soit française ou étrangère.

Cette faculté de consolidation fiscale « sauvage » présente de nombreux avantages par rapport au régime de l’intégration fiscale.

Tout d’abord, en matière de déduction des charges financières nettes. Dans le cadre du régime de l’intégration fiscale, les seuils de 1 et 3 millions sont déterminés aux bornes du groupe fiscal intégré, c’est-à-dire en consolidant les charges financières nettes de l’ensemble des sociétés composant le groupe fiscal intégré. A l’inverse, dans la situation d’un groupe composé de plusieurs sociétés de personnes détenues par une société IS, les seuils de 1 et 3 millions sont déterminés au niveau de chacune des sociétés de personnes et de la société IS. Cette différence de traitement permet de bénéficier d’autant de différents seuils qu’il existe de sociétés dans le groupe. En outre, le bénéfice fiscal des sociétés de personnes sert non seulement au calcul de l’Ebitda fiscal de ces dernières mais également à celui de l’Ebitda fiscal de la société mère IS. En d’autres termes, l’Ebitda fiscal des sociétés de personnes est retenu deux fois1.

Ensuite, la consolidation fiscale des résultats (positifs ou négatifs) est atteinte en échappant aux obligations fiscales déclaratives contraignantes liées à l’intégration fiscale.

Enfin, le régime des sociétés de personnes permet d’échapper à la taxation de 0,25 %2 qui s’applique sur les distributions de dividendes entre sociétés du même groupe d’intégration.

Notons pour conclure que le régime des sociétés de personnes permet de consolider des résultats fiscaux sans la contrainte du seuil de détention de 95 %.

Absence de retenue à la source

Les dividendes distribués par une société IS française à une société étrangère entraînent le paiement d’une retenue à la source, en principe, au taux de 25 %. Les dispositions de la convention fiscale applicable peuvent soit réduire le taux de cette retenue, soit éliminer toute retenue à la source. Ceci étant rappelé, la société IS française doit pouvoir démontrer, en cas de contrôle fiscal, que la société étrangère est bien la bénéficiaire effective du dividende perçu. Si tel n’est pas le cas, le bénéfice du taux réduit ou de l’exonération de retenue à la source est remis en cause par l’administration fiscale. Notons que cette dernière recourt de plus en plus fréquemment à de telles remises en cause.

Les incertitudes liées à la notion de bénéficiaire effectif disparaissent lorsqu’une société de personnes est détenue par une société étrangère dans la mesure où aucune retenue à la source ne s’applique dans une telle situation.

Absence d’imposition des plus-values réalisées par un non-résident à raison de la cession de titres de sociétés de personnes qui ne sont pas à prépondérance immobilière en France

Les plus-values réalisées par un non-résident (personne physique ou morale) à raison de la cession de titres de sociétés de personnes ne font l’objet d’aucune imposition en France lorsque ces sociétés de personnes ne sont pas à prépondérance immobilière en France.

Sous réserve des dispositions des conventions fiscales applicables, tel n’est pas le cas lorsqu’un non-résident cède les titres d’une société IS française et que ce dernier a détenu, directement ou indirectement, à un moment quelconque au cours de cinq années précédant la cession, plus de 25 % des titres de la société cédée.

 

Elimination d’un niveau de fiscalité latente lorsque le sous-jacent est immobilier

La détention d’une filiale IS par une société mère IS engendre deux niveaux de fiscalité latente : fiscalité latente sur les titres de la filiale IS et fiscalité latente sur les actifs détenus par cette dernière3. Ainsi, si la société mère IS cède les titres de sa filiale et que celle-ci détient un actif immobilier, la plus-value réalisée à cette occasion sera taxée au taux de 25 % (ou 25,825 % si la contribution sociale est applicable). En outre, la société mère IS cédante devra généralement accorder à l’acquéreur une décote sur le prix de cession à raison de la fiscalité latente sur l’actif immobilier détenue par la filiale cédée4. Le recours à des sociétés de personnes pour la détention d’un actif immobilier permet non seulement d’éliminer un niveau de fiscalité latente mais aussi de recouvrer une base amortissable en franchise d’impôt. Cet objectif est atteint en procédant, juste avant la cession des titres, à la réévaluation de l’actif immobilier dans les livres de la société de personnes et de la clôture anticipée de l’exercice en cours. En conséquence, le profit de réévaluation sera taxé. Toutefois, aucune plus-value taxable ne sera dégagée par la société mère IS à raison de la cession des titres de la société de personnes dans la mesure où le prix de revient fiscal de ces titres sera, conformément à la jurisprudence Quemener, augmenté du profit de réévaluation taxé5.

Bénéfice pour le nouvel acquéreur des titres d’une société de personnes (SCI) de la durée de détention acquise préalablement à l’acquisition

En matière de plus-values immobilière des particuliers, un abattement6 s’applique sur le montant de la plus-value imposable, après la cinquième année de détention. Cet abattement aboutit à une exonération totale après 22 ans de détention s’agissant de l’impôt sur le revenu et après 30 ans pour les prélèvements sociaux. La durée de détention s’apprécie soit au niveau des titres de la SCI si ces derniers sont cédés, soit au niveau de l’actif immobilier si la SCI cède ce dernier. Ainsi, dans l’hypothèse où une personne physique cède les titres d’une SCI (qui a été constituée au moment de l’acquisition d’un actif immobilier) qu’elle détient par exemple depuis plus de 30 ans, la plus-value est totalement exonérée. Si l’acquéreur des titres de cette même SCI est une personne physique, cette dernière pourra par exemple, cinq ans plus tard décider, que la SCI cède son actif immobilier. La plus-value réalisée sera de même totalement exonérée dans la mesure où la SCI a détenu l’actif immobilier pendant plus de 30 ans.

Qu’en est-il des inconvénients à recourir à des sociétés de personnes ?

Il existe cependant certains inconvénients à recourir à l’utilisation de sociétés de personnes mais qui ne sont pas tous insurmontables.

Tout d’abord, un inconvénient non fiscal : la responsabilité des associés de sociétés de personnes est indéfinie et dans certains cas également solidaire (cas des sociétés en nom collectif (SNC)). Cet inconvénient peut être éliminé lorsque les associés de la société de personnes sont des sociétés dont la responsabilité des associés est limitée et qui ne détiennent aucun autre actif. Ce cantonnement de la responsabilité trouve sa limite lorsqu’une société holding détient plusieurs sociétés de personnes notamment en vue de consolider les résultats fiscaux et que cette holding porte alors la responsabilité pour toutes ses filiales sociétés de personnes.

Ensuite, la cession de titres de sociétés de personnes (SCI et SNC) qui ne sont pas à prépondérance immobilière entraîne le paiement d’un droit d’enregistrement de 3 %, à comparer avec celui de 0,1 % qui est dû en cas de cession d’actions de sociétés de capitaux. Un endettement important de la société de personnes cédée pourra toutefois réduire l’assiette du droit d’enregistrement de 3 % et donc son impact financier. La possibilité de transformer, préalablement à la cession des titres, la société de personnes en société de capitaux doit être examinée avec prudence et en tenant compte des motifs qui la justifient. Les droits d’enregistrement applicables à la cession d’une société de personnes ne sont pas un désavantage par rapport à la cession d’une société IS lorsqu’elles sont chacune à prépondérance immobilière : dans les deux cas, le droit d’enregistrement de 5 % s’applique.

Enfin, le recours à des sociétés de personnes soulève certaines complexités en cas de restructuration et en particulier de fusion et de TUP. En effet, le régime de faveur des fusions en matière d’IS n’est pas applicable lorsque l’absorbée est une société de personnes. En conséquence, la fusion ou la TUP d’une société de personnes dans sa société mère IS emporte (a) la taxation des plus-values latentes sur les actifs de la société absorbée ; et (b) la taxation au niveau de la société mère IS de la plus-value latente sur les titres de la société de personnes (avec application des ajustements Quemener). En matière de droit d’enregistrement, les apports d’immeubles et de fonds de commerce7 sont respectivement soumis aux droits spéciaux de mutation de 5 %8 et de 3 à 5 %9. Ces droits ne sont pas exigibles si un engagement est pris de conserver pendant trois ans les titres reçus en contrepartie de l’apport10. Force est de constater que le régime des droits d’enregistrement est plus favorable en matière de TUP que de fusion. Hormis le cas de l’application de la théorie de la mutation conditionnelle11, les TUP sont enregistrées moyennant le paiement des droits des actes innomés, excepté pour les seuls immeubles qui entraînent le paiement de la taxe de publicité foncière et de la contribution de sécurité immobilière de 0,815  % (sur leur valeur vénale à la date de la TUP).

L’option à l’IS par la société de personnes préalablement à sa fusion (ou à sa TUP) dans sa société mère IS permet d’éviter la taxation en matière d’IS grâce au régime de l’atténuation conditionnelle et au régime de faveur des fusions. A cet égard, l’administration fiscale a indiqué, dans un rescrit12, que l’option à l’IS exercée par une société de personnes suivie de sa fusion placée sous le régime fiscal de faveur ne constituait pas un abus de droit13. En matière de droit d’enregistrement, l’assujettissement de la société de personnes à l’IS ne déclenche pas le paiement de droits d’enregistrement, sauf s’agissant des biens immeubles ou fonds de commerce14 qui lui ont été apportés. La fusion de la société de personnes dans sa société mère IS après son assujettissement à l’IS n’entraîne le paiement d’aucun droit d’enregistrement. L’enchaînement des opérations (assujettissement à l’IS suivi de la fusion) permet une économie substantielle en matière de droit d’enregistrement lorsque l’absorbée détient un bien immobilier ou un fonds de commerce qu’elle a acquis/créé. Il serait donc opportun que, comme en matière d’IS, l’administration fiscale se prononce sur le sujet en matière de droits d’enregistrement. Par mesure de prudence, il peut être envisagé de procéder à une TUP (plutôt qu’à une fusion) lorsque la société de personnes détient un actif immobilier ou un fonds de commerce. En effet, dans une telle hypothèse, le régime fiscal est identique à celui qui se serait appliqué si la société de personnes n’avait pas opté pour son assujettissement à l’IS, à savoir 0,815 % pour les biens immobiliers et absence de droit d’enregistrement pour les fonds de commerce et clientèles. 


1. Cet avantage se renverse dans l’hypothèse où les sociétés de personnes réalisent des pertes fiscales.

2. Imposition d’une quote-part de frais et charges de 1 % × taux de l’IS de 25 %.

3. Dénommée dans le monde anglo-saxon « outside and inside latent tax liability».

4. En pratique, la décote est fréquemment égale à 50 % de l’IS sur la plus-value latente. La logique qui sous-tend cette pratique de marché est que l’acquéreur des titres de la filiale IS ne cédera pas l’actif immobilier sous-jacent et ne déclenchera donc pas la fiscalité latente.

5. Alternativement, l’acquéreur peut atteindre le même objectif en procédant, immédiatement après l’acquisition, à la réévaluation de l’actif immobilier dans les livres de la société de personnes puis en « tupant » celle-ci dans son véhicule d’acquisition.

6. Dont le cadencement est différent en matière d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux.

7. Et clientèle, droit à un bail.

8. Augmenté (a) de la taxe Grand Paris au taux de 0,6 % s’il s’agit de locaux à usage de bureaux, de locaux commerciaux ou de stockage ; (b) de la contribution de sécurité immobilière de 0,1 % ; et (c) des émoluments notariés de 0,3995 %.

9. 3 % sur la fraction comprise entre 23 000 euros et 200 000 euros et 5 % sur la partie excédentaire.

10. S’agissant des immeubles, pour bénéficier de ce régime, ces derniers doivent en outre être compris dans l’ensemble des éléments d’actif immobilisé affectés à l’exercice d’une activité professionnelle, ce qui exclut de ce régime de faveur l’absorption d’une société de personnes qui détient exclusivement un actif immobilier faisant l’objet d’une location.

11. Situation où la société de personnes « tupée » aurait bénéficié d’un apport à titre pur et simple exonéré portant sur un immeuble, un fonds de commerce, une clientèle ou un droit à un bail et que ces actifs du fait de la TUP sont recueillis par une personne autre que celle qui les a apportés.

12. Décision de rescrit du 01/11/2011 n° 2011/29 FE ; BOI-IS-FUS-10-20-20, 10/04/2019, n° 60.

13. Notons, cependant, que ce rescrit est antérieur à l’introduction au 1er janvier 2021 du mini-abus de droit.

14. Clientèle ou droit à un bail.

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Philippe  Emiel

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Florian  Louvet

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