Opposabilité de la doctrine administrative

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  • 09 juil. 2025

Seul le contribuable qui a appliqué la doctrine dans ses déclarations peut se prévaloir de la garantie édictée à l’article L. 80 A du LPF

 

Article de Catherine Cassan, Avocat, Associée, PwC Société d'Avocats initialement paru dans le numéro Option Finance du 24 juin 2025 

 

Dans une décision du 5 mai dernier (CE 5 mai 2025, n° 499387), le Conseil d’Etat rappelle que seul le contribuable qui a appliqué la doctrine dans ses déclarations peut se prévaloir de la garantie édictée à l’article L.80 A du LPF. Les contribuables ne peuvent en principe revendiquer l’application d’une doctrine administrative à l’appui d’une réclamation contentieuse.

La doctrine administrative doit avoir été appliquée

En vertu de l’article L. 80 A du LPF, l’administration fiscale ne peut procéder à aucun rehaussement d’impositions si la position fiscale adoptée de bonne foi par le contribuable repose sur l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause.

Si la garantie contre les changements de la doctrine a principalement vocation à s’appliquer concernant les règles d’imposition, sont également opposables à l’administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l’impôt et aux pénalités fiscales.

Afin que la doctrine administrative puisse être opposée par le contribuable, un certain nombre de conditions doivent néanmoins être remplies.

L’administration fiscale doit tout d’abord avoir pris position sur un texte fiscal. Par conséquent, seules les instructions ou circulaires administratives qui apportent des précisions sur le sens d’un texte fiscal de nature à caractériser une réelle interprétation dudit texte et qui règlent, d’une manière générale, une situation donnée, peuvent être considérées comme interprétant un texte fiscal.

Par ailleurs, la garantie prévue au troisième alinéa de l’article L. 80 A du LPF ne peut être utilement invoquée que si le contribuable satisfait l’ensemble des conditions d’application de l’interprétation admise par l’administration appliquée dans sa rédaction littérale et dans tous ses termes portant sur un même objet.

Enfin, la garantie instituée par le troisième alinéa de l’article L. 80 A du LPF demeure subordonnée à la condition que la publication de l’interprétation administrative soit intervenue antérieurement à la date à laquelle le contribuable a fait application de cette doctrine ou aurait pu en faire application, c’est-à-dire à la date limite impartie au contribuable pour souscrire sa déclaration ou, en l’absence d’obligation déclarative, à la date de mise en recouvrement de l’imposition primitive à laquelle est assimilée la liquidation spontanée de l’impôt.

Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, le contribuable n’avait pas appliqué la doctrine administrative lors du dépôt de ses déclarations de TVA mais avait entendu s’en prévaloir dans le cadre d’une réclamation contentieuse déposée ultérieurement.

Dans sa décision du 5 mai 2025, le Conseil d’Etat rappelle qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, dans un objectif de sécurité juridique, prémunir le contribuable contre les changements de doctrine de l’administration alors qu’il aurait appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que celle-ci avait alors formellement admise.

En revanche, selon la haute juridiction, il n’a pas souhaité, par ces dispositions, permettre à un contribuable, qui n’a pas lui-même fait application de la loi fiscale selon l’interprétation qu’en donnait l’administration, de se prévaloir de celle-ci pour demander la réduction d’une imposition établie, sur la base de sa déclaration, conformément à la loi fiscale.

Le Conseil d’Etat confirme ainsi sa jurisprudence antérieure (voir sur une demande de remboursement de crédit de TVA, CE 7 décembre 2015, n° 371403, Sté Holiday Autos UK and Ireland ; sur une réclamation en matière de CVAE, CE 23 novembre 2007, n° 268210, Arcelor France ; sur une demande de remboursement de CIR, CE 3 octobre 2012, n° 342386, Sté Welcome Real Time).

Plusieurs juridictions du fond ont par ailleurs statué récemment sur cette problématique en écartant l’application de l’article L. 80 A (TA Montreuil 19 décembre 2024, n° 2205525 sur une réclamation contentieuse en matière de CVAE ; TA Montreuil, 15 mai 2025, n° 2111117 pour un exemple concernant la taxe sur les locaux de bureau et l’interprétation de la notion de locaux spécialement aménagés pour l’exercice d’activités éducatives ; TA Strasbourg 31 mars 2025, n° 2306610 au titre de l’application du régime mère-fille concernant le versement d’intérêts excédentaires ; CAA Paris, 6 juin 2024, n° 22PA03343 et n° 22PA04258, Alstom, concernant la non-opposabilité de la doctrine administrative étendant le champ du taux réduit de retenue à la source prévu par la convention fiscale aux revenus réputés distribués dès lors que la société n’a pas initialement prélevé de retenue à la source).

Comme le relève Karin Ciavaldini dans ses conclusions sous la décision ici commentée, l’application de ce principe connaît toutefois un infléchissement en ce qui concerne les impôts non déclaratifs (CE 4 juin 1976, n° 98484, Sté Le Castelet).

Il convient également de noter une précédente décision du 23 novembre 2015 ayant retenu une approche favorable au contribuable (CE 23 novembre 2015, n° 370712, Sté Exxonmobil France Holding) dans le cas particulier où l’instruction prévoyait la possibilité de réclamer une imposition initialement acquittée. Dans cette affaire, la requérante avait invoqué l’instruction du 3 août 2000 référencée 4 I-2-00, relative aux fusions de sociétés et opérations assimilées, qui prévoit que lorsque « la date d’effet rétroactif est fixée au premier janvier ou à une date antérieure (…) il est admis que l’imposition forfaitaire annuelle de l’année de la fusion ou de la scission n’est pas due par la société absorbée », afin de solliciter la restitution de l’IFA postérieurement à la fusion. Le Conseil d’Etat avait alors jugé qu’« eu égard à l’objet de l’instruction en cause, c’est seulement par voie de réclamation présentée postérieurement à la conclusion de la convention de fusion qu’elle (la société) pouvait en faire application ».

Hormis ces quelques exceptions, les choix opérés par le contribuable lors du dépôt de sa déclaration peuvent ainsi s’avérer irréversibles lorsque le traitement fiscal diffère selon que le contribuable applique ou non la doctrine administrative.

Il convient de noter que d’autres hypothèses sont également de nature à entraîner cet effet cliquet à l’égard du contribuable. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé dans une récente décision en date du 12 mars 2025 (n° 491714, Vivendi) que l’inscription en compte de titres de participation de titres de placement constitue une erreur comptable délibérée faisant obstacle à sa réparation par la voie de la réclamation contentieuse.

L’impossibilité d’invoquer la doctrine dans le cadre d’une réclamation ne constitue pas une discrimination

En l’espèce, le contribuable, estimant que l’impossibilité d’invoquer la doctrine administrative dans le cadre de sa réclamation contentieuse constituait une discrimination, avait sollicité la transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Le contribuable invoquait plus particulièrement le fait que les dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales et plus particulièrement les mots « elle ne peut poursuivre aucun rehaussement » figurant au second alinéa de l’article, dans sa version applicable au litige, méconnaissaient le principe d’égalité devant les charges publiques au motif qu’elles ne seraient applicables qu’à l’égard des contribuables ayant fait l’objet d’un rehaussement d’impositions antérieures.

Le contribuable soutenait qu’il se trouvait dans la même situation de surévaluation de son imposition primitive, que soit en cause une demande de dégrèvement ou un rehaussement. Le contribuable avait d’ailleurs eu gain de cause sur la base de la doctrine administrative au titre d’une autre période où il avait fait application de la doctrine administrative dans sa déclaration.

Il soutenait dès lors que l’impossibilité d’opposer la doctrine constituait une discrimination contraire au principe d’égalité devant les charges publiques qui découle de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Saisi de sa demande, le Conseil d’Etat juge, en premier lieu, que la différence de traitement ainsi instituée est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet des dispositions en cause. Par suite, la société n’est pas fondée à soutenir que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi.

Comme le relève le rapporteur public Karin Ciavaldini sous cette affaire, le Conseil d’Etat avait déjà refusé d’admettre la comparabilité des situations entre d’une part un contribuable faisant l’objet d’un rehaussement et d’autre part un contribuable ayant introduit une réclamation à propos d’un litige relatif à la différence des délais de reprise applicables (CE 6 novembre 2019, n° 433682, Sté Sodico).

Dans cette précédente affaire, le contribuable s’était plaint du fait que l’administration disposait d’un délai d’instruction illimité de la demande de remboursement d’une créance de crédit d’impôt recherche (laquelle équivaut à une réclamation en vertu de la jurisprudence, pour laquelle une décision de rejet total ou partiel n’a pas le caractère d’une procédure de reprise ou de redressement) alors qu’elle dispose en revanche d’un délai spécifique dans le cadre du délai général de reprise prévu à l’article L. 169 du Livre des procédures fiscales et du délai spécial de reprise pour les créances de crédit d’impôt recherche édicté à l’article L. 172 G du Livre des procédures fiscales prévus en matière de contrôle fiscal de ladite créance.

En second lieu, le Conseil d’Etat justifie dans cette nouvelle décision son refus de transmission d’une QPC par le fait que le mécanisme de garantie contre les changements de doctrine prévu à l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, qui n’a ni pour objet ni pour effet de permettre à l’administration de définir des règles de taxation, ne peut être utilement contesté au regard du principe d’égalité devant les charges publiques qui découle de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil d’Etat refuse par conséquent de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Le contribuable se heurte ainsi au fait que l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales ne constitue qu’une garantie offerte au contribuable et ne saurait donner aucun pouvoir réglementaire à l’administration en matière de taxation compte tenu de la compétence exclusive du législateur en matière fiscale en vertu de l’article 34 de la Constitution.

En conclusion, la multiplication récente du nombre de cas de jurisprudence rappelle aux contribuables qu’en cas de doute, il est préférable d’appliquer la doctrine dans sa déclaration, l’emploi cumulatif d’une mention expresse pouvant par ailleurs être envisagé, sous peine de ne plus pouvoir l’invoquer par la suite.

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Catherine Cassan

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