Réforme de la facturation électronique : état des lieux et perspectives

Un homme devant son ordinateur
  • 15 juil. 2025

Article paru dans la lettre Gestion des Groupes Internationaux - Numéro Option Finance du 30 juin 2025

 

A 15 mois de l’entrée en vigueur des premières obligations en matière de facturation électronique en France, ce n’est pas moins de 4,5 millions d’entreprises françaises qui passeront un cap dans la digitalisation de leurs processus de facturation achat, vente et TVA.

 

Avant de partager les grandes étapes d’un projet de transformation réussi pour les entreprises françaises (III), nous passerons en revue le cadre normatif et le champ d’application des obligations de la réforme (I) ainsi que les dernières actualités en la matière (II).

Rappels sur le cadre normatif et le champ d’application des obligations de la réforme française

S’inscrivant dans un mouvement de généralisation de la facturation électronique à l’échelle mondiale / européenne, lancée initialement en Amérique latine dans les années 2000, le Gouvernement français a décidé de mettre en place une réforme ambitieuse impliquant deux grandes familles d’obligations distinctes, dont le champ d’application s’avère parfaitement complémentaire.

La première obligation correspond à l’obligation dite de « e-Invoicing » laquelle correscorrespond à l’obligation, pour tous les assujettis à la TVA établis en France, d’être en capacité d’émettre et recevoir des factures dans un format structuré imposé. Cette obligation s’applique aux opérations domestiques de prestations de services et/ou de livraisons de biens, réalisées entre deux assujettis établis en France et pour lesquelles les règles de facturation françaises s’appliquent (article 289 bis du Code générale des Impôts - CGI). Le champ d’application territorial limité de cette obligation ne permettait pas à l’Administration fiscale d’avoir une vue complète des flux d’activité réalisés par les entreprises françaises, notamment lorsque celles-ci réalisent des opérations à l’internationale, ou encore, des opérations avec des non-assujettis (B2C). Afin d’atteindre les objectifs fixés par Bercy de pilotage des actions/mesures gouvernementales et de pré-remplissage des CA3 à moyen terme, l’administration fiscale française a donc complété l’obligation de « e-Invoicing » par l’obligation dite de « e-Reporting », laquelle consiste en l’obligation de transmettre des données transactionnelles, dans un format structuré défini et dans des délais imposés (sur un périmètre fonctionnel non couvert par l’obligation de e-Invoicing).

Grâce à ces deux obligations aux impacts différents, la première ayant un impact sur le format et le contenu des factures échangées, et, par conséquent, sur le processus facturier des entreprises, la seconde n’ayant pas d’impact direct sur le format des factures échangées mais sur la capacité des outils de facturation et/ou comptables de générer / transmettre des données transactionnelles dans un délai et format imposés. L’Administration fiscale disposera ainsi d’une cartographie complète et d’une vue exhaustive de l’ensemble des opérations réalisées par les entreprises françaises.

Enfin, venant compléter l’arsenal des obligations susmentionnées, le Gouvernement français a prévu une obligation de « e-Reporting » de données non transactionnelles, laquelle se subdivise en deux sous obligations :

  • D’une part, le « e-Reporting » des données de paiement qui s’appliquera aux opérations de prestations de services lorsque le fournisseur n’a pas opté pour la gestion de la TVA sur les débits en matière de prestation de service, ou lorsque ladite opération n’est pas soumise à autoliquidation par le preneur. Une spécificité à noter : même en cas d’option pour la gestion de la TVA sur les débits, cette obligation de transmission des données de paiement s’appliquera aux acomptes de prestations de services et livraisons de biens (ce dernier point faisant l’objet de discussions récentes au sein des groupes de travail) émis par le fournisseur, et
  • D’autre part, l’obligation de « e-Reporting » de cycle de vie des factures laquelle consiste, pour les parties à une opération et leurs PDP, à communiquer les statuts d’avancement du traitement des factures.

Dernières actualités relatives à la réforme française

Trois actualités principales font l’objet des développements ci-après :

  • 15 octobre 2024 : réduction du rôle du Portail Public de Facturation (PPF)

Ce changement majeur dans le circuit de distribution des factures électroniques remonte déjà à plus de 6 mois mais a eu un tel impact sur les projets des entreprises s’étant déjà mises en ordre de marche qu’il nous parait essentiel d’y revenir, ne serait-ce que succinctement.

Cette annonce du Gouvernement du 15 octobre 2024 a eu pour objectif de recentrer les rôles du Portail Public de Facturation (PPF) lequel aura vocation à être le concentrateur de l’ensemble des données / flux à transmettre au système d’information de l’administration fiscale française ainsi que le gestionnaire de l’annuaire centralisé, pierre angulaire du bon fonctionnement du schéma en Y.

Cette annonce a eu un impact tant au niveau des entreprises françaises qu’au niveau du monde des opérateurs de dématérialisation (OD et PDP). En effet, les Groupes français et/ou entreprises qui avaient envisagé d’utiliser le PPF comme plateforme de réception et d’émission se sont vu obligé de modifier leur macro-modèles IT et d’entamer un processus de sélection d’un partenaire privé (PDP) répondant à leurs besoins fonctionnels et métiers (sélection parmi 91 PDP candidats sous réserve existants), afin d’assumer le rôle de transmission et de réception des factures entrant dans le champ d’application de l’obligation du « e-Invoicing ». Du côté des opérateurs de dématérialisation, cette annonce a eu pour effet un ajustement de la feuille de route de certains opérateurs qui souhaitaient ne rester que « simple » OD et qui, compte tenu probablement d’enjeux business importants, ont dû adapter leur feuille de route et s’aligner pour devenir candidat PDP (exemple : SAP).

  • 18 décembre 2024 : publication de la version 3.0 des spécifications externes

Le 18 décembre 2024 correspond à la publication de la version 3.0 du dossier des spécifications externes, corpus de documents ayant vocation à détailler le contexte général et les objectifs de la réforme, son contexte règlementaire ainsi que la description fonctionnelle de la solution du PPF mise en place.

Cette nouvelle version des spécifications externes se recentre sur « la description des services proposés par le PPF et les modalités d’échanges avec les PDP » mais ne contient pas de mise à jour ni des cas d’usage, ni des formats sémantiques, contrairement à la version 2.4 publiée le 19 juin 2024.

  • Janvier 2025 à aujourd’hui : mise en place des commissions

Conséquence directe du Communiqué de presse du 15 octobre 2024, le mois de janvier 2025 correspond à la genèse de trois commissions :

– La commission Administration, avec deux groupes distincts :

➞ Groupe Administration 1 « Régulation» ayant en charge les travaux sur les flux F1, F6 et F10 ainsi que les travaux sur les sujets règlementaires, en lien avec les travaux de normalisation ;

➞ Groupe Administration 2 « Cas d’usage Annuaire » réalisant des travaux sur les cas d’usage Annuaire.

– L’Autorité PEPPOL France laquelle travaille sur la facilitation de l’interopérabilité des acteurs (définition des règles, participation aux travaux, gouvernance des points d’accès, etc.) ;

– La commission AFNOR en charge de la normalisation du socle commun de la réforme, avec la constitution de 5 groupes en charge de travailler sur des thématiques différentes :

➞ Sous-groupe AFNOR 1 « Factures et statuts » avec des travaux sur les flux F2, F6, F8 et F9 et sur la production des XSD, schématrons et des exemples ;

➞ Sous-groupe AFNOR 2 « Cas d’usage B2B » ayant pour rôle de mettre à jour les cas d’usage B2B et maintenance des cas d’usage B2B ;

➞ Sous-groupe AFNOR 3 « e-Reporting B2C » ;

➞ Sous-groupe AFNOR 4 « Normalisation internationale » avec une participation continue au TC434 ;

➞ Sous-groupe AFNOR 5 « API OD / PDP » ayant en charge les travaux sur les modalités de raccordement à une PDP.

Ces trois commissions qui rassemblent l’ensemble des acteurs de l’écosystème de la réforme facturation électronique (i.e., les entreprises, opérateurs et partenaires de dématérialisation, conseils, administration fiscale, etc.) ont pour objectif de capitaliser sur les travaux déjà menés par la DGFIP et l’AIFE et sécuriser le cadre règlementaire pour l’ensemble des entreprises françaises. La commission AFNOR est chargée de publier les travaux de ces groupes tous les trois mois à compter d’avril 2025, les premières publications ayant eu lieu le 13 mai 2025 (avec la mise en ligne des formats et profils des messages factures et cycle de vie) et de nombreuses autres publications restant à venir qui apporteront des modifications et des clarifications attendues (i.e., BOFiP, cas d’usage, etc.).

Dans un contexte où le cadre règlementaire n’est pas encore intégralement arrêté, il est essentiel pour les entreprises françaises de mettre en place une veille règlementaire quotidienne afin de pouvoir prendre en compte l’ensemble des nouvelles publications et garantir ainsi leur mise en conformité.

 

La mise en place d’un projet de transformation réussi

Afin de mener à bien ce type de projet de transformation et être prêt, au plus tard, pour la première date butoir du 1er septembre 2026 ou plus tôt pour la phase Pilote, l’ensemble des entreprises françaises ont dû / doivent mettre en place un programme EIR (« e-Invoicing et e-Reporting ») au sein de leur structure.

Ce programme EIR consiste à (i) définir une équipe projet avec un RACI clair et structuré, (ii) identifier les contributeurs clé côté métiers et côté IT (car rappelons-le, ce type de projet est un projet transverse, faisant intervenir tous les corps de métiers, à des degrés d’implication différents en fonction de l’étape d’avancement du projet et enfin (iii) établir un rétroplanning de déploiement réaliste.

A ce programme EIR doit être associé un budget permettant de couvrir le coût des ressources mobilisées en interne, notamment pour les activités de RUN pouvant faire l’objet d’un renfort opérationnel, mais également les coûts externes à anticiper (consultants AMOA/intégration, coûts d’implémentation de la Solution retenue, coûts de gestion du changement (« change ») auprès des opérationnels, coûts de RUN de la Solution, etc.).

Enfin, afin de s’assurer de maintenir une dynamique dans l’avancement du projet ainsi qu’une adhésion continue à ce dernier, il est primordial que ce projet bénéficie d’un sponsorship fort, accompagné d’une communication globale au sein de l’entreprise /du Groupe.

Une fois le programme EIR posé et l’équipe projet constituée, il s’agit de mettre en oeuvre les principales étapes du rétroplanning afin de mener à bien le projet, dans les temps impartis.

Les trois grandes phases d’un projet sont :

  • La phase de diagnostic : cette première phase, essentielle, consiste à faire un état des lieux de l’existant sur des thématiques clés telles que les flux, les schémas de facturation, ou la gestion des masterdata pour permettre de définir des macro Modèles IT cibles et une feuille de route adaptée ;
  • La phase de choix du modèle et du / des prestataires laquelle consiste à sélectionner un ou plusieurs prestataires répondant le mieux aux besoins techniques, fonctionnels et métiers identifiés lors de la phase de Diagnostic ;
  • Enfin, la troisième et dernière phase de design et d’implémentation du modèle retenu laquelle consiste au déploiement du modèle qui englobe notamment le chantier de refonte des processus achats et ventes de bout-en-bout, le chantier structurant autour de la donnée, sans négliger le chantier du change afin de sensibiliser l’ensemble des collaborateurs qui seront impactés par les changements opérés. Ces trois phases sont applicables, que les entreprises/Groupes envisagent un projet franco-français, ou plus largement un projet européen, voire mondial, afin notamment de se préparer aux implications de la Directive VIDA.

Ces projets d’envergure de transformation digitale nécessitent certes une mobilisation et une charge certaine pour les entreprises/ groupes, mais ils constituent l’opportunité, à moyen terme, d’aller chercher une efficience opérationnelle des processus et d’améliorer le contrôle interne.

Enfin, nous terminerons par un aparté sur une thématique clé, présente comme un fils d’Ariane à chaque phase de tout projet, français comme européen ou monde : la donnée. La donnée doit être au coeur de chaque projet pour la simple et bonne raison que ces données, transactionnelles et référentielles, seront demain communiquées à l’Administration fiscale, et ce, quasiment en temps réel. Dès lors, il est crucial que les entreprises soient en capacité non seulement de transmettre l’ensemble des données attendues mais aussi, et surtout, certaines de transmettre des données qualitatives.

Cet accès à la donnée des entreprises françaises par l’Administration a vocation à faire évoluer le contrôle fiscal de demain vers une vérification à distance sur la base des données transmises en temps réel à l’Administration. Une attention particulière devra être observée quant au respect des garanties procédurales qui encadrent aujourd’hui la procédure du contrôle fiscal informatisé afin que celles-ci soient bien respectées de bout-en-bout. 

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José Manuel Moreno

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Avocat, Associé TVA & Indirect Tax, PwC Société d'Avocats

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Avocat, Associé, TVA & Indirect Tax Technology, PwC Société d'Avocats

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