Si les nouveaux commentaires reconnaissent la possibilité de régulariser une facturation erronée de TVA, cette faculté est strictement encadrée par la nécessité d’émettre une facture rectificative dans un délai et un cadre restreint.
Pour rappel, les conséquences d’une facturation erronée sont strictement régies par les dispositions des articles 283 et 271 du Code Général des Impôts (CGI) qui prévoient, s’agissantdu fournisseur, que toute TVA est due du seul fait de sa facturation (et ce, quand bien même la facturation de cette TVA est incorrecte), et s’agissant du client, que ce dernier ne peut valablement déduire la taxe facturée à tort. Les jurisprudences, communautaire et nationale, ont néanmoins assoupli ces principes, eu égard au principe de neutralité de la TVA. Ainsi, le fournisseur peut procéder à cette régularisation, sans condition1 de bonne foi, s’il a éliminé le risque de perte de recettes fiscales. A l’inverse, si le risque de perte de recettes fiscales n’a pas été éliminé, la régularisation n’est ouverte qu’au fournisseur de bonne foi.
En outre, selon la jurisprudence communautaire, la régularisation d’une facturation erronée implique l’émission d’une facture rectificative lorsque le risque de pertes de recettes fiscales n’a pas été éliminé.2 A l’inverse, si ce risque a été complètement éliminé, une législation nationale ne peut conditionner la récupération de la taxe à la rectification de la facture erronée.3 Dans sa mise à jour des BOFIP, l’administration fiscale s’aligne avec la position précitée de la CJUE en admettant que la bonne foi n’est pas exigée lorsque le risque de perte de recettes fiscales est nul4 mais conserve la nécessité d’émettre une facture rectificative.
L’administration fiscale précise que le 3 de l’article 283 du CGI « vise à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer le droit à déduction de la TVA, dans le cas où cette taxe est indûment facturée » et que « la régularisation de la TVA [facturée à tort] auprès de l’administration fiscale [par le fournisseur] suppose l’émission préalable d’une facture rectificative adressée au client afin d’éliminer le risque de perte de recettes fiscales. »
L’administration fiscale adopte ainsi une position claire concernant la nécessité pour le fournisseur d’émettre une facture rectificative afin de rectifier une erreur de facturation, (que le risque de perte de recettes fiscales ait été éliminé ou non). Cette solution a le mérite de généraliser l’émission systématique par les opérateurs d’une facture rectificative sans avoir à s’interroger sur la situation du client et l’élimination ou non du risque de pertes de recettes fiscales.
L’administration fiscale se prononce explicitement sur la récupération de la TVA facturée à tort révélée à la suite de la remise en cause du droit à déduction chez le client, à l’exclusion d’une faculté de régularisation spontanée au-delà du délai de 2 ans.
➞ S’agissant du délai pour effectuer cette régularisation de la TVA facturée à tort L’administration fiscale indique que cette récupération de la TVA facturée à tort par le fournisseur doit s’effectuer dans les délais prévus à l’article R. 196-1 du LPF, à savoir en principe dans le délai de 2 ans à compter du versement de l’impôt ou de l’évènement qui motive cette réclamation.
Au-delà de ce délai, l’administration fiscale ne commente pas le cas particulier de la régularisation spontanée qui serait effectuée à l’initiative du fournisseur ou à la demande du client.
En particulier, l’administration fiscale prévoit que la remise en cause du droit à déduction du client constitue un élément nouveau au sens de ces dispositions « de nature à ouvrir, au bénéfice du fournisseur, un nouveau délai de réclamation jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation de cet évènement ».
Cet effort de simplification entrepris par l’administration fiscale est à saluer car il permet d’aligner les situations du fournisseur et du client en cas de contrôle fiscal, ainsi que les modalités de régularisation pouvant être effectuées dans des délais similaires. En effet, pour rappel, le BOFIP prévoyait déjà le cas du redressement du fournisseur au titre d’une TVA initialement non facturée qui, à la suite de ce contrôle, pouvait adresser à son client une facture rectificative. L’administration fiscale admet désormais explicitement que le client puisse également bénéficier de cette faculté.5
Ce nouveau cas de régularisation de la TVA indûment facturée en cas de redressement du client permet ainsi de mettre fin à une autre situation de rémanence de TVA. Pour rappel, cette situation était notamment constatée lorsque, compte tenu des règles de prescription, le client redressé d’une TVA non déductible au titre de la troisième année la plus ancienne (au regard du délai de reprise) sollicitait le remboursement de cette TVA auprès de son fournisseur qui lui opposait son propre délai de deux ans pour récupérer cette TVA facturée à tort.
Ce risque n’a désormais plus lieu d’être puisque le fournisseur pourra émettre une facture rectificative et obtenir le remboursement de la TVA indûment facturée sans que le délai de péremption du droit à déduction de la troisième année la plus ancienne ne lui soit opposé.
➞ S’agissant du point de départ de ce délai de régularisation La définition à retenir de l’évènement nouveau tenant à la remise en cause du droit à déduction de la TVA chez le client et qui permettrait au fournisseur de justifier de l’ouverture d’un nouveau point de départ du délai de réclamation au sens des dispositions de l’article R. 196-1 du LPF est susceptible de soulever des interrogations de la part des entreprises. Ce point de départ pourrait être différent selon l’évènement pris en compte : la date de la proposition de rectification, la date de l’avis de mise en recouvrement, celle du jugement devenu définitif statuant sur le redressement, de la décision de rejet (implicite ou explicite) d’un remboursement de crédit de TVA, de la confirmation par le client de l’absence de recours contre l’administration, etc.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 15 janvier 2025 illustre parfaitement cette difficulté6. En l’espèce, une société cessionnaire s’était vue remettre en cause la TVA facturée à tort à la suite d’une cession de travaux d’études. La société cédante avait alors émis une facture rectificative ne faisant plus mention de la taxe et porté le montant de TVA initialement facturée sur sa déclaration TVA et sollicité le remboursement du crédit de TVA en résultant. Malheureusement, cette demande avait été refusée par l’administration fiscale au motif que le redressement avait été contesté par la société cessionnaire et qu’il était donc nécessaire que cette dernière se désiste au préalable de l’instance en cours.
Il est fort probable que des discussions devront s’engager entre les différentes parties, ainsi qu’avec l’administration fiscale sur la définition de cet « évènement ». Dans tous les cas, il sera conseillé d’encadrer contractuellement l’exercice de ce droit afin d’éviter de longues et coûteuses discussions.
➞ S’agissant des modalités pratiques de récupération de cette TVA facturée à tort
Selon l’administration fiscale, cette récupération de la TVA facturée à tort devra s’effectuer par imputation, à savoir par « l’inscription distincte sur la ligne 21 prévue à cet effet sur les déclarations de TVA ».7 On remarquera à cet égard que l’administration fiscale s’exonère e faire référence à la notion de « restitution » lorsque la voie de la réclamation de l’article R. 196-1 du LPF est exercée. La question se pose alors de savoir si les modalités de récupération de cette TVA demeurent conditionnées par la position TVA créditrice ou débitrice du contribuable telles que prévues par la jurisprudence8.
L’actualisation des BOFiP est également l’occasion pour l’administration fiscale de reconnaitre officiellement l’action enrépétition de l’indu du client à l’encontre de son fournisseur en vue d’obtenir la restitution de la TVA facturée à tort.9 Selon les principes consacrés par la jurisprudencere pris à son compte par l’administration fiscale, le client doit en principe adresser sa demande de remboursement de la TVA facturée à tort directement au fournisseur, et seulement à titre subsidiaire l’exercer à l’encontre de l’administration fiscale.
S’agissant du client qui solliciterait de sa propre initiative du fournisseur le remboursement d’une TVA indûment facturée, il convient de rappeler que les Etats membres sont contraints de prévoir, en l’absence de toute disposition dans la Directive 2006/112/CE, un mécanisme de correction. Les jurisprudences, communautaire et nationale, ont admis progressivement que l’acquéreur doit agir prioritairement contre le fournisseur pour obtenir le remboursement de la cette TVAacquittée à tort. Toutefois ce n’est que lorsque le remboursement de la TVA devient impossible ou excessivement difficile auprès du fournisseur, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, que le client peut adresser sa demande de remboursement contre les autorités fiscales.10
En droit français, dans la continuité de la décision Eye Shelter,11 le Conseil d’Etat est venu officialiser le recours à l’action civile en répétitionde l’indu exercée par le client à l’encontre de son fournisseur dans sa décision en date du 29 novembre 2023, EFS c/ Polyclinique desFleurs.12 Cette décision est désormais reprise par l’administration fiscale dans ses nouveaux commentaires publiés au BOFiP.13
Ainsi, « l’acquéreur doit prioritairement s’adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle,à son fournisseur sicelui-ci n’a pas pris l’initiative de lui rembourser l’indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l’administration fiscale si l’obtention de la restitutionde la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile ».14
Le principe selon lequel le client doit exercer prioritairement son recours à l’encontre de son fournisseur (conformément aux dispositions de l’article 1302 du Code civil) est ainsi consacré, si ce dernier n’a pas entrepris de manière spontanée de rembourser le client. Ce n’est qu’à titre subsidiaire qu’une action directe contre le Trésor peut être exercée par le client. On soulignera ici que la simple mise en demeure restée infructueuse à l’encontre du fournisseur de rembourser la TVA indue ne devrait pas suffire pour engager l’action directe à l’encontredu Trésor puisque la demande de restitution adressée au fournisseur devra, le cas échéant,être adressée « par la voie juridictionnelle », à l’instar de la récente jurisprudence s’agissantd’un bailleur qui avait facturé à tort de la TVA surdes loyers pour lesquels aucune option n’avait été exercée.15
On regrettera toutefois l’absence de précisions sur les diligences attendues que le client devraitent reprendre pour caractériser une demande de restitution devenue excessivement difficile ou impossible, l’autorisant à exercer une action directe contre le Trésor. Les illustrations jurisprudentielles limitées où cette action directe contre le Trésor a été admise sont toutefois reprises par l’administration. Il s’agit, en particulier, de la situation d’insolvabilité du fait de l’ouverture d’une procédure de faillite, de liquidation judiciaire ou de prescription de toute action civile à l’encontre du fournisseur.16
Si la consécration dans la doctrine administrative de l’action en répétition de l’indu est forte utile eu égard aux principes de neutralité de la TVA et de sécurité juridique, l’administrationfiscale aurait pu apporter des précisions surle fonctionnement de cette action et de sonarticulation avec les nouvellesmodalités derégularisation de la TVA facturée à tort.
En effet, comme indiqué précédemment, lesnouvelles modalités de régularisation commentées ne couvrent pas les cas de régularisation spontanée du fournisseur pour la période dépassant le délai de 2 ans prescrit par l’article R.196-1 du LPF. L’émission d’une facture rectificative dans ces conditions ne devrait pas être suffisante pour justifier la réouverture d’un tel délai et protéger les droits du fournisseur puisqu’elle n’est pas évoquée explicitement comme un évènement nouveau justifiant la réouverture du délai de réclamation.En particulier, s’agissant du délai encadrant l’exercice de l’action en répétition, les règles de droit commun de 5 ans devraient trouver à s’appliquer et placeront alors le client dans une situation plus confortable que son fournisseur.
En effet, une question essentielle demeure : dans quel délai le fournisseur pourra-t-il à son tour solliciter la restitution de laTVA indûment collectée et qu’il a lui-même remboursé au client ? A cet égard, on rappellera que ce point a été considéré par le Rapporteur public sousla décision du Conseil d’Etat précitée comme relevant d’un autre litige. Il serait souhaitable que l’administration fiscale commente également l’opposabilité de la prescription de l’action fiscale dans une telle situation. Nul doute que les réponses à ces questionsrelèveront d’un autre article.
1. CJUE, 19 septembre 2000, aff. C-454/98.
2. CJUE, 18 juin 2009, aff. 566/07.
3. CJUE, 11 avril 2013, Rusedespred OOD, aff. 138/12.
4. BOI-TVA-DECLA-30-20-20-30 n° 380 et 390
5. BOI-TVA-40-20-20250108 n° 80.
6. CE, 15 janvier 2025 n° 473736, Société RAGT Semences.
7. BOI-TVA-DECLA-30-20-20-30-20250108 n° 420. et BOI-TVA-DED-40-20-20250108 n° 60.
8. CE, 27 juillet 2009 n° 297474, SA General Electric Capital Fleet.
9. BOI-TVA-DED-40-10-10 n° 60.
10. CJUE, 15 mars 2007, C-35/05, Reemtsma, CJUE, 26 avril 2017, C-564/15, Tibor Farkas, CJUE, 7 septembre 2023, C-453/22, Michael Schütte.
11. CE, 15 novembre 2019, n° 420251, Eye Shelter.
12. CE, 29 novembre 2023, n°469111, EFS c/ Polyclinique des Fleurs.
13. BOI-TVA-DED-40-10-10 n° 60.
14. BOI-TVA-DED-40-10-10-20250108 n° 60.
15. Cass., 3ème Civ., 12 septembre 2024 n° 23-11.661.
16. CJUE, 11 avril 2019 aff. C-691/17; CJUE, 13 octobre 2022, aff. C-397/21, CJUE, 07 septembre 2023, aff. C-453/22.